Le 17 août 1988, l'avion du président-dictateur pakistanais Zia ul-Haq s'écrase. Outre le président, des hauts gradés de l'armée pakistanaise et des diplomates américains se trouvent à bord. Aucun survivant et surtout, aucune explication à ce crash. Classé accidentel, sans pouvoir toutefois écarter d'autres hypothèses.
C'est le point de départ qu'à choisi Mohammed Hanif, auteur pakistanais de langue anglaise, pour son roman "attentat à la mangue" (en poche chez 10/18).
Mais attention, il ne s'agit pas d'un simple roman historique, mais bel et bien d'une satire, comme on le verra dans un moment. Pourtant, pour bien comprendre ce roman, un petit point historique s'impose.
Zia ul-Haq devient général en chef de l'armée pakistanaise au milieu des années 70. En 1978, il renverse le pouvoir en place et fait condamner à mort le précédent chef de l'Etat, Ali Bhutto, père de Bénazir. S'en suit une période de pouvoir totalitaire qui prendra fin avec ce mystérieux crash aérien. En près de 12 ans à la tête du Pakistan, Zia ul-Haq a rompu avec la politique laïque de Bhutto pour fonder une république islamique et, s'appuyant sur les mollahs d'un côté et les USA de l'autre, il va financer les rebelles Afghans en lutte contre l'invasion Soviétique. Pour creuser un peu plus la question, voici une brève biographie (en anglais) de Zia ul-Haq
Refermons cette parenthèse géopolitique et revenons à notre "attentat à la mangue". C'est le titre, d'abord, qui a attiré mon attention, un dimanche au Virgin de la Gare de l'Est, alors que j'attendais un train. Aussitôt, je notais ses références en me disant que dès que l'occasion se présenterait, je m'y attaquerai. C'est chose faite et pour mon plus grand plaisir de lecteur.
Shigri est sous-officier dans l'armée pakistanaise. Il est en charge du bataillon de parade muette (le genre de régiment qui défile lors des fêtes nationales, mais sans musique) et est placé sous la houlette d'un officier de la CIA. Shigri est le fils d'un héros du Pakistan, un colonel ultra-décoré, retrouvé pendu quelques années plus tôt. Son fils en est certain, son père ne s'est pas suicidé, il a été assassiné et il connaît le coupable. Et s'il est entré dans l'armée, c'est pour se venger.
Son ami Obaid, rencontré lors de leur entrée dans l'armée, est un pakistanais occidentalisé, cultivé, sans cesse un livre à la main, aux orientations sexuelles peu en rapport avec les visée morales du pouvoir. Il regrette le Pakistan laïc de Bhutto et lui aussi, se verrait bien rendre un service au pays en mettant fin à tout ça.
Et puis, il y a le général Akhtar, nouveau chef des armées, bras droit de Zia mais un peu jaloux quand même. Celui qui se verrait bien, sans mauvais jeu de mot, calife à la place du calife et qui y travaille déjà activement.
Il y a les diplomates américains qui doivent faire avec cet illuminé au pouvoir, pourtant paravent idéal à l'impérialisme soviétique dans cette région du monde. Mais ils doivent composer avec un dirigeant instable et peu fiable, sujet aux sautes d'humeur, à qui ils refilent du matériel militaire périmé pour faire illusion.
Sans oublier le responsable syndical des balayeurs, fervent communiste, qui pourrit au fond d'une geôle après une grève qui a déplu au pouvoir mais qui sait que la révolution est proche et que le peuple va abattre le tyran. Il espère qu'une alliance avec les grands producteurs de mangues du pays réussira à créer les conditions favorables ; ou encore une femme aveugle, dont le viol embarrasse Zia, car il ne sait comment traiter son cas, comment l'interpréter selon les lois sainte. Traitée comme une coupable, emprisonnée, elle va maudire le pouvoir...
Enfin, il y a Zia al-Huq. Un tyran qui doute. De tout. De l'amour que lui porte son peuple, de son entourage, de ses alliés américains. Il doute de plus en plus car, il a l'habitude de lire chaque matin un passage du Coran choisi au hasard et qu'il interprète comme un oracle ou un horoscope. Et, en ce moment, les passages sont mauvais, en particulier le passage concernant Jonas, avalé par une baleine. Cela l'inquiète tant, qu'il s'enferme dans son palais et annule tous ses rendez-vous, demande à son fidèle aide de camp de tout surveiller. Son épouse, lassée du peu d'attention qu'il lui porte, et son corps, malade, s'en mêlent, le poussant encore plus dans l'isolement.
Il faudra des trésors d'imagination et d'obséquiosité pour le faire sortir de là... Et c'est alors que se produira le crash. Lui qui a échappé, sans vraiment le savoir, à des complots incessants, va finalement subir le sort que tous semblent lui souhaiter.
Mais ni la vengeance, ni la jalousie, ni l'ambition ne seront les instruments de tout cela. Non, des mangues, un corbeau, des vers et le hasard. Ou l'accomplissement des prédictions coraniques ?
Hanif dresse le portrait d'un tyran paranoïaque, mégalo, coupé du monde, obsédé par la puissance de son pays et son importance comme barrage au communisme, qui entend bien faire du Pakistan le vrai pendant islamique de l'Inde, mais qui confond de plus en plus religion et superstition, délaisse son épouse pour se laisser attirer par les sirènes occidentales et néglige sa santé.
Un tyran d'opérette décrit avec drôlerie et férocité, comme tous les personnages de cette galerie d'hurluberlus par Hanif, dont la satire annonce aussi les revers de fortune de l'Occident et des USA en particulier : en s'alliant avec des franges musulmanes radicales pour lutter contre le communisme, ils ont fait entrer le loup dans la bergerie.
Mais il faut aussi saluer le courage de Hanif. Certes, la mort de Zia a plus de 20 ans, mais sa dénonciation du Pakistan islamisé, très violente, accentué par le ridicule des personnages, a forcément des résonances dans la situation actuelle.
Son éducation très britannique se ressent dans son écriture et son humour, mais c'est bien la culture orientale dont il est issue qui domine le récit. Je me suis bien amusé, malgré la gravité des thèmes abordés et l'écriture et la construction narrative de Hanif m'ont conquis.
Le titre était prometteur, le résultat est un excellent moment de lecture et un dépaysement total. On n'est ni chez Clancy, ni chez Forsyth, mais on a là de bons éléments pour entrevoir la complexité de cette région du monde, tout en gardant le sourire.
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