lundi 8 août 2011

Là où il y a Blue Gene, peut-être trouverez-vous du plaisir...

Après "Torturez l'artiste !" (excellent roman !), Joey Goebel, auteur américain à peine trentenaire, revient avec Blue Gene, toujours publié chez Héloïse d'Ormesson.




Eugene Mapother, alias Blue Gene, a 27 ans, porte une coiffure mulet (cheveux courts sur le dessus et les côtés, longs sur la nuque), arbore des tatouages sur des biceps mis en valeurs par les t-shirts sans manches qu'il porte. Aux pieds, d'éternelles tongs noirs et, autour de la taille, une bouée façonnée par un usage quelque peu immodéré de bières fortes. Il vivote dans une caravane et gagne sa vie tant bien que mal en vendant des jouets sur un marché aux puces minable dans un bled paumé d'un comté du fin fond de l'Amérique profonde. Il passe ses soirées à regarder des combats de catch ou des compétitions de "monster trucks". Ses idées sont ultra-conservatrices, pro-guerre, anti-gays et il se montre prompt à la bagarre...

Bref, Blue Gene est un plouc.

Mais pas n'importe quel plouc. Car les Mapother sont une famille très, très riche. Le père de Blue Gene est à la tête d'une des grandes entreprises de tabac du pays. Un père qui a eu des ambitions politiques et qui a décidé de les reporter désormais sur John, son fils aîné, le frère de Blue Gene. Et le père verrait bien son fils ne pas s'arrêter au Congrès mais briguer mieux encore, concentrant entre ses mains pouvoir économique et politique.

La mère, elle, est confite en dévotion, prie sans arrêt et est persuadé de recevoir en songe des messages mystiques lui annonçant que John a un destin divin, précurseur du retour du Messie.

John, un peu falot, sentant peser le poids des attentes familiales sur ses épaules, a connu une jeunesse agitée. Mais, à la quarantaine, il s'est rangé, est devenu un père de famille et s'est persuadé de son destin divin. Il est donc candidat dans le Comté de Commonwealth et brigue un siège au Congrès.

Mais, pour se faire élire, John doit montrer que sa famille est unie autour de lui. Or, Blue Gene a coupé les ponts avec cette même famille depuis 4 ans. John et ses parents vont donc essayer de faire revenir la brebis égarée dans le troupeau Mapother. Une nécessité qui va devenir un impératif quand John et son père vont réaliser que Blue Gene et son mode de vie d'Américain d'en bas peuvent leur ouvrir un accès inespéré à l'électorat populaire.

D'abord réticent, Bleu Gene va finalement accepter d'intégrer l'équipe de campagne de son frère et essayer de convaincre ses amis et connaissances, de voter pour John Mapother.

Mais le doute va petit à petit s'instiller dans l'esprit de Blue Gene. D'abord par la rencontre de Jackie, une jeune femme aussi paumée que lui mais aux idéaux diamétralement opposés. La sincérité de Jackie va attendrir Blue Gene qui, dans le même temps, va découvrir que sa famille repose sur des secrets et des mensonges inavouables lorsque l'on veut se faire élire...

A partir de là, la bombe à retardement Blue Gene, assemblée 27 ans plus tôt, va s'amorcer et menacer de faire exploser le monde si bien ordonné des Mapother...

"Blue Gene" est une satire de l'Amérique profonde mais aussi une critique de ces notables, riches à millions sans avoir rien fait d'autre que toucher des héritages. Des notables qui mettent sans cesse en avant un système de valeurs très nobles, qu'ils sont le plus souvent les premiers à ne pas appliquer à leur vie publique comme privée. sans oublier une intransigeance morale qui confine à l'intolérance et aux discriminations des minorités.

Mais Goebel met aussi le doigt sur les paradoxes de la démocratie : pourquoi les tranches les plus modestes de la population, pauvres, occupant des emplois non qualifiés ou ne travaillant pas, n'ayant pas fait d'études et n'ayant finalement que bien peu de droits, choisissent-elles pour les représenter, des personnalités issues des tranches les plus élevées, riches, dirigeant les plus grandes entreprises et dont l'avenir est tracé dès la naissance ? Ou encore, pourquoi ces mêmes tranches modestes soutiennent-elles, sous couvert d'un patriotisme aveugle, des guerres dont elles sont les premières victimes ? Enfin, pourquoi retrouve-t-on dans ces classes délaissées les votes les plus conservateurs alors qu'elles sont elles-mêmes victimes des inégalités et des discriminations les plus flagrantes ?

Moins acerbe que son premier roman, "Blue Gene" reste une vrai satire de l'Amérique actuelle. Mais, Goebel a une vraie tendresse pour son Blue Gene, qui doit lui ressembler pas mal. On a envie de savoir comment ce garçon bien paumé va réussir à se tirer d'une situation qui le dépasse complètement. Et la tournure que donne Goebel à la vie de son personnage vaut le coup d'oeil. Dommage que la fin soit, à mon goût, ratée, en tout cas, pas d'une grande clarté.

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