jeudi 26 juillet 2012

« Celui qui n’a jamais connu la guerre n’a pas connu Dieu. »


Ouf ! Voilà la preuve qu’on peut encore écrire au XXIème siècle de véritables romans épiques ! Il m’a fallu une bonne journée pour me remettre d’une lecture intense, rude, violente mais au combien fascinante et m’atteler à la rédaction de ce billet. Embarquons donc pour Malte, au XVIème siècle, dans un monde de bruit, de fureur et de fanatisme religieux. « La Religion », de Tim Willocks (en poche chez Pocket), un pavé de 950 pages, m’a fait passer quelques journées de lecture d’une rare intensité et pleines d’émotions souvent contraires.


Couverture La Religion


En cette année 1565, les troupes du sultan ottoman Soliman le Magnifique, après avoir échoué aux portes de Vienne, quelques décennies plus tôt, relancent un assaut pour reconquérir l’Europe occidentale. Et cette reconquête passe par ce qu’on pourrait qualifier de « simple rocher », perdu au milieu de la Méditerranée : Malte. Mais, ce « rocher » prend une importance stratégique décisive, car s’y est installé depuis plusieurs années, l’ordre des Hospitaliers, les fameux « Chevaliers de Malte », placé sous la protection de Saint Jean-Baptiste. Un ordre de moines soldats qui se sont donnés pour mission de soigner leurs prochains (enfin, surtout si ce sont de bons catholiques…).

L’Ordre, ou plutôt, « la Religion », comme il se fait (modestement) appeler, a connu nombre de revers lors des derniers siècles. Des revers militaires qui ont poussé les Chevaliers de Malte à quitter dans un premier temps Jérusalem, puis la Terre Sainte et, plus récemment, Rhodes, à chaque fois après des batailles sanglantes. Mais, cette fois, le Grand Maître de l’Ordre, le sieur de la Valette, et ses conseillers, savent pertinemment qu’à Malte, il n’y a plus de recul possible. Il faudra tenir cette île à tout prix, malgré l’infériorité numérique (on s’attend à ce que les Turcs viennent avec une armée 5 fois supérieure en nombre à celui des chevaliers et des forces combattantes présentes à Malte…), car, dans le cas contraire, la porte serait grande ouverte pour Soliman.

Avec une ambition : gagner la Sicile et, de là, la botte italienne, mais aussi, dans un autre temps, la péninsule ibérique où Soliman espère bien rapidement réinstaller un califat à Grenade… Et, faire encore mieux qu’au VIIIème siècle, en conquérant cette fois l’Europe entière et la convertir, de gré ou de force, à l’Islam.

Le siège est attendu pour l’été et, malgré la foi ardente qui les anime, les chevaliers ont du mal à imaginer d’autre issue qu’un combat à mort, jusqu’aux dernières forces du dernier homme présent sur l’île, en espérant des renforts venant d’Espagne ou d’Italie, afin de rejeter l’Ottoman à la mer. Mais l’Ordre s’est fait beaucoup d’ennemis dans son propre camp au fil des ans… Rome le soutient comme la corde le pendu, l’Espagne a d’autres chats à fouetter et l’Inquisition trouve que la foi des chevaliers de Malte a des relents d’hérésie… Bref, il va d’abord falloir compter sur ses propres forces pour se sortir de ce mauvais pas, avec, en perspective, la possibilité de revendiquer, en cas de victoire, somme toute miraculeuse, le titre de sauveurs de la chrétienté…

Comme prévu, le siège va se mettre en place, la flotte turque se dressant au plus proche des côtes maltaises. Mais, au lieu de durer quelques jours, quelques semaines tout au plus, c’est une bataille terrible de 111 jours qui va commencer. Un massacre abominable, où les artilleries seront aussi meurtrières que les combats au corps à corps. Une guerre de position fracassante qui, au fil des jours et des assauts, va transformer l’île fortifiée en ruines sanguinolentes, laissant des champs de bataille dans un état horrible et obligeant les combattants à marcher littéralement sur les corps de ceux qui les ont précédés, obligeant les deux camps à organiser des hôpitaux de campagne qui débordent de victimes mutilées, brûlées, éventrées, plus mortes que vives, n’attendant, côté chrétien, bien souvent, qu’une extrême-onction en urgence…

Dans ce chaos, Tim Willocks nous fait suivre le destin de quelques acteurs de ce siège, des combattants, une noble d’origine maltaise et son étrange amie, des chevaliers, un inquisiteur et son âme damnée, un gamin maltais que « la Religion » et son prestige font rêver… Et beaucoup d’autres qui, hélas, font un passage fugace dans cette histoire, en tant que principal ingrédient de la chair à canon produite en grande quantité au cours de ces 3 mois et demi de siège…

Commençons par l’acteur principal de ce roman, Matthias. Né en Europe centrale, le jeune Matthias se destinait au noble métier de forgeron. Mais, en 1540, alors qu’il n’a que 12 ans, sa vie a basculé quand sa mère et ses deux sœurs sont assassinées par des mercenaires appartenant à l’armée ottomane. Lui-même ne doit la vie qu’à la rage qu’il l’a envahi à la vue des corps martyrisés de ses proches, ainsi qu’à l’intervention d’un officier ottoman qui va le prendre sous son aile.

Intégré au fameux corps des janissaires, il va devenir un véritable homme de guerre, se formant à cette rude école pendant plus d’une dizaine d’années. Puis, pour des raisons qui lui appartiennent, il va quitter ce corps d’élite et se lancer dans une vie de liberté, de débauche, disons-le, et de commerces pas toujours très légaux. Avec un atout majeur : sa connaissance parfaite des deux mondes, le monde chrétien dont il est originaire et le monde musulman dont il a appris les us et coutumes pendant son adolescence.

Des connaissances qui lui seront bien utiles pendant la durée du siège, puisque, arrivé du coté chrétien, il n’hésitera jamais à franchir la ligne de front, au risque d’être considéré comme un espion par les deux camps, à la fois pour commercer mais aussi se renseigner sur les stratégies mises en place par l’état-major ottoman… Ne choisissant aucun camp si ce n’est le sien avant tout, Matthias doit, pour mener à bien la mission qu’on lui a confiée, permettre à « la Religion » de tenir le plus longtemps possible, avant de s’éclipser discrètement et de laisser à leur massacre les fanatiques des deux bords.

Matthias, qui, dès son jeune âge, a connu le pire, est donc un véritable chien de guerre (connu sous le nom de guerre qu’il s’est choisi : Tannhauser, en référence à un héros de la mythologie germanique), roublard, doué et intraitable en affaires, débrouillard à souhait et n’ayant guère qu’une faiblesse, mais quelle faiblesse ! Un intérêt un peu trop marqué pour les femmes et leurs appas…

C’est d’ailleurs ainsi qu’il va se retrouver, presque malgré lui, à Malte, au commencement du siège. Car la Valette, et son bras droit, Starkey, qui connaissent les qualités de Tannhauser, mais aussi le double rôle qu’il peut remplir pendant le siège, voudraient bien le voir se joindre aux Chevaliers, à « la Religion » pour vaincre l’Ottoman. Ils savent tout aussi bien que Matthias, après des années à guerroyer aux quatre coins du monde connu, en a assez et qu’il aspire à devenir avant tout un homme d’affaires.

Mais c’est sans compter l’existence d’une femme d’une rare beauté, qui saura convaincre, en lui exposant ses désirs les plus ardents, de rejoindre l’île peu avant le début des combats… Entre la mission qu’elle va, sous l’amical conseil de Starkey, soumettre à Matthias, et sa séduction naturelle, le chef de l’ordre ne doute pas une seconde que les défenses de Tannhauser s’effondreront et qu’il saura se montrer l’homme de la situation. La Valette et Starkey sont décidément de fins connaisseurs de l’âme humaine, car le charme de la dame aura raison du refus initial de Matthias de se jeter dans la nasse maltaise. Mais, Tannhauser, lui aussi, est un rusé… Son idée : remplir sa mission et décarrer au plus vite avant que la situation maltaise ne tourne au vinaigre… Le martyre n’inspire pas cet homme qui s’est éloigné des religions à force de les côtoyer d’un eu trop près…

La femme au charme ensorcelant, justement, s’appelle Clara Le Penautier. Née à Malte, issue d’une famille noble de l’île, elle l’a quittée à l’adolescence, dans des conditions dramatiques (que je vais vous laisser découvrir) qui lui valurent d’être reniée et mariée de force à un vieil homme de la noblesse d’Aquitaine, mort peu de temps après leur mariage. Après ces douloureuses expériences, elle a choisi de rester célibataire, malgré un pouvoir de séduction certain qui aurait pu lui permettre de se trouver un nouveau parti tout à fait acceptable, et d’assumer un rôle de veuve à la chasteté irréprochable, tout en gérant son domaine. Jusqu’en cette année 1565. Ayant eu vent de ce qui allait se passer à Malte et du fort risque de voir l’île dévastée de fond en combles, la jeune femme a pris la décision de se rendre coûte que coûte sur ses terres natales afin d’y renouer avec son passé avant qu’il ne soit trop tard.

Clara est accompagnée toujours et partout par une curieuse demoiselle, Amparo. Clara l’a découverte en mauvaise posture quelques années plus tôt et l’a prise sous son aile jusqu’à en faire sa meilleure amie, sa confidente, sa sœur (et on se demande même par moments si leur relation ne va pas même plus loin que tout cela…). Mais Amparo est une jeune femme qui a de quoi intriguer le lecteur : apparemment exempte de sentiments humains (souffrirait-elle d’autisme ?), elle est plus attachée à la nature qui l’entoure qu’aux êtres humains qui, il faut le dire, ne l’ont guère épargnés dans sa courte existence. Jeune adulte, elle réagit souvent plus comme une enfant qui vivrait dans un corps d’adulte, et un corps particulièrement désirable, malgré quelques imperfections. Enfin, Amparo semble posséder un pouvoir divinatoire qu’elle met à l’épreuve chaque jour grâce à un curieux appareil de cuivre et de verre… Mais ce qu’elle y voit reste ensuite à interpréter, même si, souvent, les présages ne sont pas toujours très optimistes.

Bors de Carlisle, comment dire ? Bors est à Mattias ce que Porthos est à D’Artagnan ou Petit Jean à Robin des Bois : une montagne de muscles, aussi bon vivant qu’il est bagarreur. Ami indéfectible de Matthias, il est aussi son associé en affaires, qu’il s’agisse de trafiquer des armes ou de l’opium, ou d’organiser des commerces d’épices ou de marchandises diverses, des commerces particulièrement lucratifs, puisqu’ils contournent le plus souvent les barrières douanières qui se dressent habituellement entre les producteurs et les négociants… Bors, c’est le ressort comique du roman, en tout cas, sa perpétuelle touche d’optimisme, capable de trouver des vivres à profusion en plein siège et toujours partant pour une cuite, un trip à l’opium ou un assaut, selon les circonstances. Au cours du siège, il ne donnera pas sa part aux chiens, ferraillant bravement dans les plus terribles conditions et servant de protection à Matthias, aussi bien lorsqu’ils se battent côte à côte que lorsque Matthias passe du côté turc.

Fra Ludovico Ludovici est inquisiteur. Eh bien oui, il faut bien un méchant, même dans ce contexte effroyable ! Affectant le comportement modeste et tenace qui sied à sa fonction, l’homme, remarquablement intelligent, est en fait un homme rongé par une soif de pouvoir et un orgueil inextinguibles. Mais le véritable défaut de la cuirasse de ce prêtre, en apparence irréprochable et défenseur acharné et infatigable de la Vraie Foi, c’est une tendance prononcée vers la luxure. Oh, certes, il parvient à la réprimer, quitte à se punir et à prier deux fois plus intensément, mais ce désir pour les femmes, non, pour une femme en particulier, le ronge de l’intérieur, le pousse à commettre des folies. Un lien ambigu aux sentiments que l’on retrouve dans une phrase prononcée par l’inquisiteur : « le crime, c’est de tomber amoureux. Et pour cela, la punition est terrible. »

Car, si Fra Ludovico se retrouve sur l’île de Malte alors que le siège bat son plein, c’est qu’il est animé par deux ambitions, pas franchement complémentaires, pas franchement antagonistes, mais qui vont sérieusement lui compliquer la vie… D’une part, il y a des ambitions politiques encore souterraines, mais que l’on découvre rapidement et dont on comprend l’ampleur exceptionnelle, que le siège de Malte pourrait servir, quelle qu’en soit l’issue finale ; et d’autre part, il y a un passé délicat qui le rattrape, un passé qui a eu Malte pour cadre, lui aussi, un passé avec lequel Ludovico entend renouer pour en faire son avenir, loin des affaires complexes de l’Eglise mais qui lui permettrait enfin de laisser libre cours à sa lubricité… Partout où il va, Ludovico est accompagné d’un hidalgo espagnol à la beauté remarquable, Anacleto… Mais, c’est la beauté du diable, car, derrière les apparences, se cache un pervers de la pire espèce, dénué de tout scrupule et prêt à mettre en œuvre chaque ordre reçu de son maître.

Orlandu est un gamin maltais comme les autres, ou presque. Lorsqu’on le découvre, ce gamin des rues, abandonné très jeune, vendu, même, aux marins du port pour y nettoyer les coques des bateaux, travail terriblement ingrat et dangereux, a pour activité principale… la chasse aux chiens ! En effet, à la fois pour des raisons d’intendance mais aussi parce que les chiens, par leurs aboiements, peuvent faire échouer des opérations militaires importante, « la Religion » a donné l’ordre de tuer tous les cabots de l’île, qu’ils soient domestiqués ou errants. Sans le soupçonner, le gamin, plutôt dégourdi, va devenir l’enjeu majeur du roman, celui qu’on se dispute, qu’on veut sauver à tout prix, celui vers qui convergent les intérêts les plus divergents. Le siège mais aussi l’intérêt que des personnages impressionnants vont lui porter, vont mettre du plomb dans la cervelle de ce gamin dégourdi et intrépide mais souvent inconséquent dans ses choix. A 12 ans, environ, il va gagner énormément en maturité au cours de ces 3 mois, abandonner ses rêves de gloire, devenus potentiellement mortelle dans le combat sans merci auquel il assiste, pour des rêves d’une vie meilleure, loin des ruelles maltaises et de la misère crasse qu’il a toujours connue et qui n’est en rien plus supportable au soleil. Par son ingénuité et son caractère, il va émouvoir Matthias, sans doute aussi parce que le guerrier se reconnaît dans ce bonhomme plein de naturel.

Enfin, je les cite parce qu’ils jouent un rôle majeur dans les évènements, moindre dans l’intrigue du roman, mais aussi parce qu’ils sont les personnages réels du récit : le grand maître de l’Ordre des Hospitaliers, La Valette (dont le nom sera donné plus tard à la capitale reconstruite de l’île) et son bras droit, Oliver Starkey, dernier membre de langue anglaise parmi les Chevaliers, suite au schisme anglican. Aussi bien chefs de guerre que défenseurs de la foi chrétienne, ils savent que tout, même le plus terrible, même ce qui contredit les préceptes de leur foi, doit être tenté pour résister aux assauts musulmans. Leurs décisions auront aussi bien pour conséquences les terribles massacres qui ensanglanteront l’île pendant le siège, que l’incroyable résistance déployée par les Chevaliers, les soldats qui les ont rejoints et les Maltais qui refusent de voir les Ottomans prendre Malte. La Valette a pour lui cette foi inébranlable qu’on peut assimiler aussi à un fanatisme religieux difficile à comprendre et à accepter, des valeurs que sa force et son charisme vont transmettre à tous les combattants de l’île, jusqu’à les exhorter au martyre, à une gloire posthume mais éternelle... Pour Matthias, qui oscille entre admiration et répulsion envers le vieil homme, la Valette « est un de ces hommes dont le seul véritable amour est la guerre. (…) sans guerre, il serait rabougri ou mort, inutile, décrépit. Mais la guerre lui rajeunit le sang. (…) Ses propres hommes le voient comme un demi-dieu. » Depuis Rhodes, qu’il a évacué in extremis, près de 40 ans plus tôt, lors d’une bataille proche de celle qu’il s’apprête à livrer à Malte, la Valette avait su gagner le respect de ses adversaires, qui lui avaient laissé la vie sauve.

Voilà pour les personnages. Le reste je vous le laisse découvrir, car le récit, au quotidien, du siège, des batailles, de l’évacuation et des soins donnés aux blessés est un incroyable moment de lecture. Guerre, pouvoir et amour s’y côtoient dans un maelström terrifiant où l’homme se mue aussi bien en monstre qu’en saint, ivre de croyance, de colère et de violence. Matthias redoute d’ailleurs par-dessus tout de se laisser envoûter complètement par cette violence inouïe qui fait rage partout où l’on pose le regard. Et pourtant, qu’il est tentant de « se laisser séduire par la fraternité » qui se dégage de cet ordre chevaleresque métamorphosé en armée de fortune ! Mais, réalise vite Matthias, cette fraternité célèbre un culte de mort quand lui ne rêve que de quitter Malte en vie et indemne pour aller, ailleurs, loin du fracas des armes, vivre une vie qu’il se permet enfin, après tant d’années difficiles, d’envisager heureuse.

Sans doute un reste de philosophie acquise en terre d’Islam, lorsque son protecteur lui expliqua que les vents dispersants, qui soufflent sur Malte en ces mois terribles, vont séparer le grain et la paille. « Et la différence entre le grain et la paille, c’est la différence entre ceux qui aiment la vie et ceux qui aiment la mort. »

La mort, elle est omniprésente tout au long de ce roman, comme imbriquée dans l’époque. Chacun laissera dans ces évènements, au pire, sa vie, au mieux, un morceau de son âme. Mais tous vont sortir profondément changés de ces évènements, qu’ils survivent ou pas. « La Religion », évidemment, met en exergue la folie qui peut s’emparer de l’homme au nom de Dieu, de n’importe quel dieu. Le mécanisme d’entraînement que décrit Willocks, celui qui pousse les uns à s’arc-bouter aux murailles démolies de Malte et celui qui pousse les autres à se jeter à l’assaut de ces mêmes murailles, inlassablement, sans espoir de sortir de là en vie, est remarquablement mis en évidence.

Les descriptions de combats, sous toutes les formes, sont impressionnantes, on se croirait même, et à plusieurs reprises, au cœur de la bataille, les sens tous mis en éveil, car on voit, on entend, on sent, on goûte, on touche presque les combattants et leurs fluides vitaux s’échappant par toutes les parties de leur corps.

En cela, et aussi parce qu’il est beaucoup question d’amour et de sexe, « la Religion » est un roman extrêmement sensuel. Ca pue autant que cela sent bon, l’Orient et ses effluves nous mettent l’eau à la bouche, quand les massacres nous poussent à la nausée par le réalisme du récit.

C’est un roman comme on en fait peu, une somme, un monstre roman plein d’humanité autant que d’inhumanité. C’est aussi la découverte d’un héros, complexe, déroutant, agaçant autant qu’attachant, à la morale fluctuante mais à l’intelligence aiguisée. Un homme qui se découvre dans ces conditions terribles, et ce, malgré sa longue expérience de la guerre, un vase que les fleuves de sang déversés sur les rivages maltais ont fait déborder au point de le dégoûter de ce qui a constitué l’essentiel de sa vie jusque-là. Ce héros, c’est Matthias Tannhauser, le genre de personnage romanesque dont on se souvient longtemps, au travers duquel on en apprend aussi sur soi et qui, blasé, cynique, en début d’histoire, va, malgré ou grâce à l’horreur qui s’est déchaînée autour de lui et à laquelle il a participé, trouver un sens à sa vie, une voie à suivre, une existence moins égocentrée, une spiritualité propre, bien loin de tout cette haine, de ces fois, parfois admirables dans leur mysticisme mais qui mènent trop souvent les fidèles à la folie…

J’ai été un peu plus long que d’habitude (et, me concernant, c’est peu de a dire !) mais il y avait énormément à dire sur « la Religion », un roman complet qui nourrit l’âme et le cœur pour longtemps, à condition de les avoir bien accrochés (je parle de cœur et de l’âme, bien sûr), un livre extraordinairement violent et pourtant, qui transpire la beauté (parfois vénéneuse, néfaste) à chaque page.

Une vraie expérience de lecture comme on a peu l’occasion d’en faire et qui nous retrace un évènement méconnu et pourtant important de notre Histoire. Pas vraiment une lecture détente, donc, mais une lecture d’une intensité remarquable et dont on ne sort pas indemne. Comme la plupart des personnages de ce magnifique roman épique, d’ailleurs.


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