Je vous propose une découverte aujourd’hui. Un jeune auteur
britannique, 34 ans, qui nous propose un premier roman assez original dans le
fond et dans la forme. Un polar mené à 100 à l’heure et mettant en scène un
flic… Pas tout à fait comme les autres, et c’est sans doute mieux comme ça.
Voici « Sur le fil du rasoir », d’Oliver Harris, publié en grand
format au Seuil, une virée dans Londres à la recherche d’un homme invisible, ou
presque (le titre original est d’ailleurs « the Hollow Man »)…
Nick Belsey est un bon flic. Peut-être le meilleur enquêteur
de son commissariat situé dans les beaux quartiers de Londres. Un bon flic,
c’est certain, mais un homme bien moins recommandable : ivrogne, flambeur,
voleur quand ça l’arrange, criblé de dettes au point de ne plus avoir de
logement et, à ses trousses, des banques et des institutions de crédit qui
aimeraient bien récupérer ce que Belsey leur doit…
D’ailleurs, lorsque s’ouvre « Sur le fil du
rasoir », Nick Belsey est dans un sale pétrin. Pas seulement financier,
professionnel, aussi… En effet, à l’issue d’une soirée particulièrement arrosée
au cours de laquelle il a fait la tournée des grands ducs, il a piqué la clef
d’un temple maçonnique dans la maison de son directeur, après y avoir été
conduit par la femme de celui-ci, s’est introduit dans le temple en question, y
a dérobé un chandelier de taille conséquente en vue de le revendre et finit sa
folle soirée dans un arbre au volant de sa voiture de patrouille… Un bilan, ma
foi, fort honorable pour une seule soirée de beuverie…
Belsey n’est donc guère surpris, au lendemain de cette folle
parenthèse, de se retrouver sur la sellette. Au point d’envisager une mutation
loin de Londres, voire de quitter carrément la police. Mais pour quoi
faire ? Et avec quels moyens, puisqu’il n’a pas un rond en
poche ?
C’est alors qu’on lui confie une affaire qui pourrait bien
tout changer dans sa vie, à condition de bien s’y prendre… Dans le riche
quartier d’Hampstead Heath, un milliardaire a disparu sans laisser de trace, si
ce n’est une lettre d’adieu qui laisse présager un possible suicide. Mais, à
peine l’enquête entamée, Belsey se rend compte que personne ne semble capable
de décrire le milliardaire, qui semble vouer un culte à la discrétion…
A partir de ce simple élément, germe dans la tête de Belsey
un plan qui pourrait le sortir de l’ornière de plus en plus profonde dans
laquelle il s’enfonce un peu plus chaque jour. Et s’il profitait de la
disparition de ce milliardaire invisible pour… tout lui piquer, sa maison, ses
comptes en banque, ses affaires, etc. Une bonne base, surtout une fois cette
fortune potentielle placée dans quelque paradis fiscal, pour refaire sa vie
loin de Londres et de son brouillard…
Seulement, si l’idée apparaissait bonne sur le moment, des
complications imprévues vont vite refroidir le flic. D’abord, le corps,
retrouvé dans la chambre forte de la maison d’Alexei Devereux, oligarque russe
ayant fait fortune dans l’industrie du loisir et des jeux, et désormais,
officiellement porté disparu. Ensuite, des complications d’ordre administratif,
qui vont empêcher Belsey de mener à bien son projet de razzia : les
comptes en banque de Devereux sont bien protégés, il va falloir ruser
sérieusement pour effectuer les transferts escomptés…
Plus grave encore, alors que son enquête piétine, autant
parce que Belsey souhaite qu’elle piétine que parce que les indices ne se
bousculent pas, des actions violentes vont intervenir, visant soit Belsey
lui-même, soit des personnes impliquées dans la vie de Devereux… Bizarre, très
bizarre, même, car les éléments que rassemble petit à petit Belsey à propos du
milliardaire se contredisent, ne semblent guère cohérents et laisse entrevoir
une affaire bien plus complexe qu’au début…
A tel point que Belsey, qui joue les coucous en profitant
allègrement du nid de feu Alexei Devereux, commence à se sentir en danger.
Désormais, il ne craint plus seulement les décisions de sa hiérarchie, mais
bien plus de s’être embringuer dans une histoire particulièrement dangereuse,
dont il ne comprend ni les tenants, ni les aboutissants…
Mais Belsey, malgré tous ses défauts, reste un flic et un
bon : certes, il a dissimulé pas mal d’éléments à ses supérieurs, mais du
coup, il est le seul à embrasser la totalité de l’affaire, en tout cas la
partie visible de l’iceberg… Du coup, la police londonienne patine sévèrement
pour remonter la piste des auteurs de fusillades qui ensanglantent Londres…
Seul Belsey a compris que ces morts et ses cibles, dont lui-même, sont des
témoins gênants qu’on cherche à éliminer.
Alors, malgré les différentes épées de Damoclès qui se
multiplient au-dessus de sa tête, il poursuit son enquête tout en essayant de
mener à bien ses projets d’exil ensoleillé et à l’abri du besoin… Envers et
contre tous, il va démêler un écheveau particulièrement complexe, impliquant la
puissance économique de la City et des personnalités peu recommandables
évoluant dans des sphères où l’argent est roi. Sans oublier le toujours
énigmatique Devereux, sur lequel, décidément, il y a bien peu d’éléments biographiques
disponibles… De quoi se créer effectivement quelques ennemis bien décidés à
l’effacer pour de bon de la surface de la Terre, des ennemis dont Belsey ne
connaît ni le visage, ni les motivations.
Car, si son enquête avance et si elle lui a permis de mettre
au jour un mystérieux projet baptisé « Boadicée », qui semble se
trouver au cœur de son dossier, il se retrouve bien impuissant à comprendre en
quoi ce projet consiste et qui tire les ficelles.
Il lui faudra des trésors de roublardise, des talents
d’usurpateur d’identité, puisqu’il va carrément s’approprier la vie de Devereux
dans le but de prêcher le faux avant de découvrir une partie de la vérité, une
sacrée dose de courage pour braver les dangers qui se multiplient sur son
chemin et une insolence de tous les instants pour mener son enquête en marge de
l’enquête officielle dont il a été clairement écartée, dès que le grabuge a
éclaté aux yeux du grand public.
Mais Belsey n’a que très peu de temps pour comprendre ce qui
se cache derrière le projet « Boadicée » et comprendre pourquoi cela
a déclenché une telle vague de violence… Très peu de temps avant d’être la
prochaine victime… ou de pouvoir enfin refaire sa vie loin de Londres, avec ou
sans l’argent de Devereux.
« Sur le fil du rasoir » est vraiment un thriller
très efficace, à grand spectacle, avec comme principal protagoniste un flic qui
sort vraiment de l’ordinaire, affranchi qu’il est de toute morale et de tout
scrupule… Nick Belsey, et cela explique le choix du titre de ce billet, m’a
fait penser au Belmondo des années 70, toujours à la limite de la légalité
quand il incarnait des personnages de flics aux méthodes expéditives et
toujours prêt à remettre en cause l’ordre établi, ce qui lui valait de
profondes inimitiés, y compris dans son propre camp.
Harris (quel nom, pour un jeune auteur de thriller !)
joue d’ailleurs très bien sur les relents de corruption qui entourent le monde
de la haute finance dans cette période de crise économique aiguë, mais aussi
les relations pas toujours brillantes qu’entretiennent les hommes de pouvoir,
qu’ils soient hommes d’affaires, hommes politiques… ou policiers de haut rang.
Le personnage de Devereux est aussi très symptomatique de
notre époque, particulièrement pour les Anglais : un oligarque, donc un
russe enrichi on ne sait trop comment après la chute de l’empire… Là encore, ce
pedigree sent le danger, danger que peut provoquer un homme qu’on pourrait
aussi bien qualifier de mafieux que d’oligarque, danger que peuvent aussi
endurer ces personnages qui ont dû quitter un pays devenu trop dangereux pour
eux (à Londres, on se souvient bien des règlements de comptes à la ricine, par
exemple…).
Le mystère qui plane autour de ce personnage enfume autant
Belsey que le lecteur, qui, comme le héros, n’a finalement que très peu de
points de repères pour s’y retrouver, en tout cas jusqu’à la dernière partie du
roman. A ce moment, les éléments glanés par Belsey, ajoutés à ceux réunis par
une journaliste, Charlotte, qui a flairé l’embrouille et donc le possible
scoop, avant même que Devereux ne disparaisse, vont nous éclairer sur les
véritables enjeux de cette affaire et sur les responsabilités de ses différents
acteurs.
Le dénouement de « Sur le fil du rasoir » est
inattendu, dans le fond comme dans la forme, là aussi, car on est loin des
schémas habituels du thriller. Mais, cela illustre aussi à merveille le fait
que la puissance et les moyens financiers illimités ne suffisent pas toujours à
échapper aux entourloupes. Une forme de morale, pourrait-on croire, si les
évènements que retracent les dernières pages du roman d’Oliver Harris ne
venaient pas battre en brèche cette idée un tantinet naïve…
En brouillant toutes les limites, entre bien et mal, entre
gentils et méchants, entre cibles et poursuivants, entre vivants et morts,
entre réel et fiction, Oliver Harris nous offre un roman très bien troussé,
tendu à souhait d’un bout à l’autre, finalement assez drôle, tant les
comportements de Belsey sortent de l’ordinaire, avec une intrigue tortueuse à
souhait et une scène d’anthologie dans un aéroport londonien, que ne
démentirait pas un scénariste hollywoodien (je ne serais d’ailleurs pas surpris
si ce roman était prochainement adapté pour le grand écran…)...
J’ai dévoré « Sur le fil du rasoir » avec
énormément de plaisir et, contrairement à ce qui se produit parfois lorsqu’on
tient une excellente idée de départ, je n’ai absolument pas été déçu par la
trame et par la conclusion de l’histoire. Sans doute y a-t-il quelques défauts
par-ci, par-là, mais c’est un premier roman, ne l’oublions pas !
J’espère simplement que ce jeune romancier, à mes yeux très
prometteur, saura poursuivre dans la voie très originale, pleine de vie et
d’impertinence qu’il a ouverte avec son premier livre. Dans ce genre aussi
battu et rebattu qu’est le thriller, savoir se démarquer est vraiment une
immense qualité, Harris semble la posséder.
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