mardi 10 juillet 2012

"Etre vivant, c'est accepter de ressentir la douleur".


Ce titre est une maxime prononcée par Nick Bottom, le personnage principal du roman dont nous allons parler dans quelques instants. Une phrase prononcée à la toute fin du livre mais qui me semble parfaitement en résumer la tonalité générale. Bienvenue dans l’Amérique de 2035 vue (et corrigée ?) par Dan Simmons et avis aux amateurs de romans dystopiques, comme on dit de nos jours ! Avec « Flashback », publié en grand format chez Robert Laffont, dans sa fameuse collection de SF « ailleurs et demain », l’un des maîtres du genre nous propose un thriller d’anticipation à la fois passionnant, mais aussi plein de pistes de réflexion sur notre monde et son évolution (et on a même le droit de ne pas toujours être d’accord avec ce qu’écrit l’auteur…).


Couverture Flashback


En cette année 2035, le monde a bien changé par rapport à ce que nous connaissons aujourd’hui. Suite à la terrible crise qui a frappé l’économie mondiale à la fin de la première décennie du XXIème siècle, les Etats-Unis se sont effondrés comme un château de cartes. Le pays n’est plus que l’ombre de la superpuissance qu’il a été, le dollar a été terriblement dévalué, le chômage fait rage, la société dans son ensemble paraît être en ruines, au sens propre comme au figuré. A tel point que la très grande majorité de la population a sombré dans l’addiction à une drogue nouvelle : le flashback. On en respire une fiole et l’on revit comme on veut, tant qu’on veut, les meilleurs moments de sa vie passée, au temps de la splendeur ou du bonheur…

Il n’y a plus que 44 Etats et demi au sein de l’Union, certains ayant choisi de faire sécession, Hawaii est passée sous le giron japonais, tandis que les Etats du sud-ouest sont en cours de reconquête par la population mexicaine qui fuit la guerre civile instaurée au sud du Rio Grande par les cartels de la drogue… Et cette Reconquista, puisque c’est ainsi qu’on nomme ce mouvement de population qui sait se montrer violent, lorgne désormais sur la Californie mais aussi sur le Texas, redevenu de son côté une République.

J’ai évoqué le Japon, celui-ci a semble-t-il mieux digéré la crise que les autres. Des concentrations ont eu lieu au sein de l’économie nippone et moins d’une douzaine de grands groupes industriels très puissants dirigent désormais l’archipel, avec comme ambition de remettre au goût du jour le féodalisme d’antan en recréant un shogunat. Mais, contrairement au passé, ces ambitions nationales n’ont pas éliminé pour autant les ambitions expansionnistes et, tandis que certains rêvent de conquérir à nouveau la Chine, où un conflit fait rage, les maîtres du Japon ont déjà pris plus ou moins les commandes de ce qui reste des Etats-Unis.

Ajoutons à tout cela que l’Etat d’Israël, où, dit-on, le flashback a été inventé avant de déferler sur le monde et particulièrement sur les Etats-Unis, a été rayé de la carte par le feu nucléaire iranien, sans que l’Etat hébreu ne riposte. Une République Islamique d’Iran qui a su constituer autour d’elle un Nouveau Califat qui s’étend bien au-delà du monde musulman, puisque l’Europe, apathique depuis la crise des années 2010, est passée sous la coupe des Islamistes les plus radicaux…
Voilà rapidement esquissé le décor que nous propose Dan Simmons dans « Flashback ». Au milieu de ce chaos, on découvre Nick Bottom, ex-inspecteur de la police de Denver, Colorado. Ex, car il a été viré quelques années plus tôt pour cause d’addiction au flashback, incompatible avec le métier de flic. En fait, Bottom a sombré après la mort accidentelle de sa femme, Dara, 5 ans auparavant dans un accident de la circulation. Le flashback lui permet de revivre les meilleurs moments de sa vie aux côtés de Dara, quitte à en perdre de plus en plus le contact avec la réalité. Au point d’avoir presque oublié l’existence de son fils Val, 16 ans désormais, confié à la mort de sa mère à son grand-père maternel, un universitaire spécialiste de littérature. Val vit désormais à Los Angeles où il remâche sa haine de son père et plonge, petit à petit, dans une délinquance qui risque, tôt ou tard, de sérieusement dégénérer…

Mais le réveil de Nick va être brutal. Devenu, enfin quand il est lucide, c’est-à-dire rarement, détective privé, Bottom est contacté, convoqué serait plus juste, par une huile nippone, Nakamura-San, un des maîtres les plus ambitieux de l’archipel. La raison de cette convocation : une enquête à lui confier. Une enquête qui concerne la mort du fils de Nakamura, assassiné 6 ans plus tôt, sans qu’on ait jamais pu, malgré plusieurs enquêtes et de gros moyens, retrouver son meurtrier.

Le hic, c’est qu’il y a 6 ans, c’est justement l’inspecteur Nick Bottom, alors encore figure émérite de la police de Denver, qui avait mené l’enquête sur la mort de Keigo Nakamura. Alors, pourquoi faire appel à lui, qui a échoué lors de l’enquête initiale et qui est devenu une épave, pas franchement en état de relever ce défi ?

Acceptant, à la fois malgré lui et parce que Nakamura ne lui laisse pas vraiment le choix, de replonger dans cette affaire sordide, Bottom n’imagine pas dans quel bourbier il va s’engager… Accompagné sans répit par le charmant Sato, homme de main de Nakamura au physique imposant et à la réputation impitoyable, Bottom va devoir reprendre le dossier à zéro, ce qui, dans un pays aussi décrépit que ne le sont devenus les Etats-Unis, promet d’être une vraie partie de plaisir.

Pour l’aider, il a à disposition ce fameux flashback, grâce auquel il peut revivre les évènements qui se sont déroulés lors de sa première enquête, revoir les témoignages, y compris de ceux qui ont disparu depuis, retrouver les dossiers perdus ou effacer, bref, se remettre vraiment dans l’ambiance d’il y a 6 ans. Avec le risque de se perdre un peu plus dans cette addiction qui a accru de façon conséquente l’écroulement de la société américaine… Nakamura met aussi à sa disposition des moyens technologiques et financiers qui semblent infinis et lui promet une récompense phénoménale, des millions d’anciens dollars, en cas de réussite.

Alors, Bottom s’y remet, plus ou moins facilement. Persuadé qu’il n’arrivera à rien, surtout dans le délai trop court qu’on lui a fixé, il se verrait bien profiter de l’avance confortable qu’on lui a versé pour s’immerger définitivement dans le flashback et revenir une fois pour toutes aux côtés de Dara. Bien sûr, Nakamura et ses sbires ne voient pas les choses de la même façon et, sous la surveillance étroite de son « chaperon » Sato, Bottom va devoir remettre les mains dans le cambouis.

Lui qui n’aspirait qu’à se perdre dans un passé aussi heureux qu’artificiel, il va, au cours de cette enquête de tous les dangers, voir resurgir dans sa nouvelle vie bien réelle, des éléments de ce passé qu’il aurait voulu probablement oublier. Et voilà que Bottom mais aussi sa famille, autrement dit son fils et le père de sa défunte épouse, vont se retrouver en grand danger…

Une source de motivation bien plus forte que l’argent ou la drogue, pour Bottom, qui va, au cours de cette éprouvante quinzaine, renouer les fils du passé et du présent, avec, en tête, de sauver un avenir de plus en plus hypothétique… Et comprendre beaucoup de choses sur sa vie, qu’il n’avait su percevoir quelques années en arrière.

Mais aussi découvrir que, derrière l’assassinat du jeune Nakamura, se cache en fait un bien sinistre projet qui pourrait, encore un peu plus, faire basculer le monde entier dans un cauchemar sans fin…

Avec « Flashback », Dan Simmons sou dresse le portrait d’une Amérique à genoux, qui, depuis le début du XXIème siècle, a renoncé à ses idéaux historiques et s’est résignée à ne plus contempler sa grandeur passée qu’au travers du prisme d’une puissante drogue. Derrière l’anticipation, Simmons critique donc violemment l’Amérique de l’ère Obama, accusé entre les lignes, d’avoir fait plonger le pays dans une crise dont elle ne se remet pas. Soit.

On sent aussi, au travers des descriptions géopolitiques de Simmons, que l’auteur redoute particulièrement l’expansion d’un Islam politique et militaire radical et ses possibles conséquences. Une crainte qui ne semble avoir pour solution, aux yeux de Simmons, qu’une réaction d’une extrême fermeté de la part des Occidentaux, histoire de tuer dans l’œuf, violemment s’il le faut, les volontés expansionnistes islamistes. Soit.

Mais laissons ces discutables considérations de côté pour s’intéresser à cette tendance inconnue des Américains, peuple toujours tourné vers l’avenir et sûr de sa force : l’apitoiement et le repli sur soi. 95% des Américains s’adonnent au flashback, explique Simmons dans le roman. 95% des Américains préfèrent revivre en boucle un passé perdu plutôt qu’affronter le présent et un avenir qui s’annonce sans doute plus sombre encore…

Et l’on en revient à notre titre : « être vivant, c’est accepter de ressentir la douleur ». Du sang, de la sueur et des larmes, semble promettre Simmons, dans un élan Churchillien. Tout, plutôt que cette résignation qu’exècre l’auteur. Au début du roman, Bottom est un mort-vivant, déjà un pied et demi dans le passé et quelques derniers neurones accrochés, pour combien de temps ?, au présent. Mais, au fur et à mesure de l’avancée de son enquête, ainsi qu’en raison des évènements qui se déroulent un peu partout autour de lui, il va repasser du bon côté du miroir, ancrer à nouveau ses deux pieds et la totalité de son esprit dans la réalité pour l’affronter sans reculer, quitte à tout perdre. Bottom est l’exemple à suivre, semble-t-il. Un phénix, que l’aigle US devrait au plus vite suivre.

Oui, la souffrance fait partie de la vie, nous dit Simmons, et de la souffrance, il y en a, pour la plupart des personnages de « Flashback », qu’elle soit physique ou morale. Et chacun a sa façon de vivre avec cette souffrance, des méthodes plus ou moins positives, plus ou moins fatalistes, c’est selon.

Un élément que je n’explique pas, mais que je signale, simplement parce que je ne suis pas assez compétent pour expliciter ce que Simmons a voulu faire, c’est la présence continuelle de Shakespeare tout au long du livre. Serait-il l’exemple même de ce que Simmons veut montrer autour de la place de la souffrance dans l’existence ? Possible, mais je n’en jurerais pas… Mais, que ce soit dans les conversations, dans quelques digressions et jusque dans le nom de certains personnages, Bottom le premier, on retrouve l’ombre du maître de Strattford-upon-Avon tout au long de « Flashback ».

Je me suis beaucoup arrêté sur le contexte global du roman, je ne voudrais pas terminer sans dire que, si l’on accepte ce que Simmons propose sans rechigner, on a là un thriller d’anticipation redoutablement efficace, avec un suspense tendu d’un bout à l’autre, des scènes d’action très spectaculaires, des scènes de guerre également redoutablement efficaces, et une ambiance à la Mad Max (autre référence très présente dans le livre) très bien retranscrite.

En auteur de « skiffie », pardon, de science-fiction chevronné, Simmons ne lésine pas sur la technologie, qu’elle soit civile ou militaire, qu’elle ait des implications dans la vie quotidienne ou qu’elle relève des secrets les mieux gardés au monde. Cette technologie futuriste vient parfaitement servir le récit, mais aussi par sa puissance tentaculaire, vient accentuer l’angoisse latente des personnages qui ne la maîtrisent pas.

D’ailleurs, le roman se termine par une double fin : une, présentée comme cauchemardesque, au sens premier du terme, par l’auteur. Une autre, présentée comme la continuité de la réalité exposée tout au long du livre. La première serait une parfaite fin dystopique, avec juste ce qu’il faut d’horreur dedans… La seconde laisse entrevoir une happy end assez paradoxale, entraînant le monde dans le chaos pour le sortir du chaos.

Mais, dans la première version, c’estla technologie, froide et déshumanisée qui l’emporte, tandis que dans la seconde, l‘humain, même imparfait, cruel et belliqueux, a repris son destin en main et repris sa marche en avant vers un avenir plus acceptable, pas forcément plus rose, malgré ce qu’il nous promet. Ca reste quand même une lueur qu’on aperçoit au bout du tunnel, lueur inexistante au début du récit…

Bien plus accessible que l’œuvre purement science-fictive de Dan Simmons, souvent franchement absconse, « Flashback » est un thriller d’anticipation très politique mais très addictif, à l’image de la substance qui lui donne son titre. On a envie de savoir le fin mot de l’histoire, de voir comment Bottom, son fils Val et son beau-père Leonard vont se sortir de l’enfer dans lequel ils sont plongés bien malgré eux.

Et on se laisse entraîner par l’action, omniprésente, qui nous laisse peu de répit, haletant, abasourdis même, lorsque ça commence à barder de partout.

Evidemment, je le redis, on peut ne pas partager les thèses exposées par Simmons, mais « Flashback » reste un bon moment de lecture dans ce genre si particulier du thriller d’anticipation.


2 commentaires:

  1. Justement, cela fait plusieurs mois que j'hésite à me procurer ce roman ou non.
    Je suis un fan de l'auteur mais pas de l'homme. Et malheureusement, j'ai peur de voir trop transparaître le néo-conservateur (doux euphémisme) dans ce roman.

    RépondreSupprimer
  2. C'est effectivement un risque à courir... Les idées belliqueuses de Simmons envers l'Iran, particulièrement, et une critique féroce de l'administration Obama, principalement de sa réforme du système de santé, ont tendance à un peu trop ressortir, je trouve...

    RépondreSupprimer