Ce titre est une maxime prononcée par Nick Bottom, le
personnage principal du roman dont nous allons parler dans quelques instants.
Une phrase prononcée à la toute fin du livre mais qui me semble parfaitement en
résumer la tonalité générale. Bienvenue dans l’Amérique de 2035 vue (et
corrigée ?) par Dan Simmons et avis aux amateurs de romans dystopiques,
comme on dit de nos jours ! Avec « Flashback », publié en grand
format chez Robert Laffont, dans sa fameuse collection de SF « ailleurs et
demain », l’un des maîtres du genre nous propose un thriller d’anticipation
à la fois passionnant, mais aussi plein de pistes de réflexion sur notre monde
et son évolution (et on a même le droit de ne pas toujours être d’accord avec
ce qu’écrit l’auteur…).
En cette année 2035, le monde a bien changé par rapport à ce
que nous connaissons aujourd’hui. Suite à la terrible crise qui a frappé
l’économie mondiale à la fin de la première décennie du XXIème siècle, les
Etats-Unis se sont effondrés comme un château de cartes. Le pays n’est plus que
l’ombre de la superpuissance qu’il a été, le dollar a été terriblement dévalué,
le chômage fait rage, la société dans son ensemble paraît être en ruines, au
sens propre comme au figuré. A tel point que la très grande majorité de la
population a sombré dans l’addiction à une drogue nouvelle : le flashback.
On en respire une fiole et l’on revit comme on veut, tant qu’on veut, les
meilleurs moments de sa vie passée, au temps de la splendeur ou du bonheur…
Il n’y a plus que 44 Etats et demi au sein de l’Union, certains
ayant choisi de faire sécession, Hawaii est passée sous le giron japonais,
tandis que les Etats du sud-ouest sont en cours de reconquête par la population
mexicaine qui fuit la guerre civile instaurée au sud du Rio Grande par les
cartels de la drogue… Et cette Reconquista,
puisque c’est ainsi qu’on nomme ce mouvement de population qui sait se montrer
violent, lorgne désormais sur la Californie mais aussi sur le Texas, redevenu
de son côté une République.
J’ai évoqué le Japon, celui-ci a semble-t-il mieux digéré la
crise que les autres. Des concentrations ont eu lieu au sein de l’économie
nippone et moins d’une douzaine de grands groupes industriels très puissants
dirigent désormais l’archipel, avec comme ambition de remettre au goût du jour
le féodalisme d’antan en recréant un shogunat. Mais, contrairement au passé,
ces ambitions nationales n’ont pas éliminé pour autant les ambitions
expansionnistes et, tandis que certains rêvent de conquérir à nouveau la Chine,
où un conflit fait rage, les maîtres du Japon ont déjà pris plus ou moins les
commandes de ce qui reste des Etats-Unis.
Ajoutons à tout cela que l’Etat d’Israël, où, dit-on, le
flashback a été inventé avant de déferler sur le monde et particulièrement sur
les Etats-Unis, a été rayé de la carte par le feu nucléaire iranien, sans que
l’Etat hébreu ne riposte. Une République Islamique d’Iran qui a su constituer
autour d’elle un Nouveau Califat qui s’étend bien au-delà du monde musulman,
puisque l’Europe, apathique depuis la crise des années 2010, est passée sous la
coupe des Islamistes les plus radicaux…
Voilà rapidement esquissé le décor que nous propose Dan
Simmons dans « Flashback ». Au milieu de ce chaos, on découvre Nick
Bottom, ex-inspecteur de la police de Denver, Colorado. Ex, car il a été viré
quelques années plus tôt pour cause d’addiction au flashback, incompatible avec
le métier de flic. En fait, Bottom a sombré après la mort accidentelle de sa
femme, Dara, 5 ans auparavant dans un accident de la circulation. Le flashback
lui permet de revivre les meilleurs moments de sa vie aux côtés de Dara, quitte
à en perdre de plus en plus le contact avec la réalité. Au point d’avoir
presque oublié l’existence de son fils Val, 16 ans désormais, confié à la mort
de sa mère à son grand-père maternel, un universitaire spécialiste de
littérature. Val vit désormais à Los Angeles où il remâche sa haine de son père
et plonge, petit à petit, dans une délinquance qui risque, tôt ou tard, de
sérieusement dégénérer…
Mais le réveil de Nick va être brutal. Devenu, enfin quand
il est lucide, c’est-à-dire rarement, détective privé, Bottom est contacté,
convoqué serait plus juste, par une huile nippone, Nakamura-San, un des maîtres
les plus ambitieux de l’archipel. La raison de cette convocation : une
enquête à lui confier. Une enquête qui concerne la mort du fils de Nakamura,
assassiné 6 ans plus tôt, sans qu’on ait jamais pu, malgré plusieurs enquêtes
et de gros moyens, retrouver son meurtrier.
Le hic, c’est qu’il y a 6 ans, c’est justement l’inspecteur
Nick Bottom, alors encore figure émérite de la police de Denver, qui avait mené
l’enquête sur la mort de Keigo Nakamura. Alors, pourquoi faire appel à lui, qui
a échoué lors de l’enquête initiale et qui est devenu une épave, pas
franchement en état de relever ce défi ?
Acceptant, à la fois malgré lui et parce que Nakamura ne lui
laisse pas vraiment le choix, de replonger dans cette affaire sordide, Bottom
n’imagine pas dans quel bourbier il va s’engager… Accompagné sans répit par le
charmant Sato, homme de main de Nakamura au physique imposant et à la
réputation impitoyable, Bottom va devoir reprendre le dossier à zéro, ce qui,
dans un pays aussi décrépit que ne le sont devenus les Etats-Unis, promet
d’être une vraie partie de plaisir.
Pour l’aider, il a à disposition ce fameux flashback, grâce
auquel il peut revivre les évènements qui se sont déroulés lors de sa première
enquête, revoir les témoignages, y compris de ceux qui ont disparu depuis,
retrouver les dossiers perdus ou effacer, bref, se remettre vraiment dans
l’ambiance d’il y a 6 ans. Avec le risque de se perdre un peu plus dans cette
addiction qui a accru de façon conséquente l’écroulement de la société
américaine… Nakamura met aussi à sa disposition des moyens technologiques et
financiers qui semblent infinis et lui promet une récompense phénoménale, des
millions d’anciens dollars, en cas de réussite.
Alors, Bottom s’y remet, plus ou moins facilement. Persuadé
qu’il n’arrivera à rien, surtout dans le délai trop court qu’on lui a fixé, il
se verrait bien profiter de l’avance confortable qu’on lui a versé pour
s’immerger définitivement dans le flashback et revenir une fois pour toutes aux
côtés de Dara. Bien sûr, Nakamura et ses sbires ne voient pas les choses de la
même façon et, sous la surveillance étroite de son « chaperon » Sato,
Bottom va devoir remettre les mains dans le cambouis.
Lui qui n’aspirait qu’à se perdre dans un passé aussi
heureux qu’artificiel, il va, au cours de cette enquête de tous les dangers,
voir resurgir dans sa nouvelle vie bien réelle, des éléments de ce passé qu’il
aurait voulu probablement oublier. Et voilà que Bottom mais aussi sa famille,
autrement dit son fils et le père de sa défunte épouse, vont se retrouver en
grand danger…
Une source de motivation bien plus forte que l’argent ou la
drogue, pour Bottom, qui va, au cours de cette éprouvante quinzaine, renouer
les fils du passé et du présent, avec, en tête, de sauver un avenir de plus en
plus hypothétique… Et comprendre beaucoup de choses sur sa vie, qu’il n’avait
su percevoir quelques années en arrière.
Mais aussi découvrir que, derrière l’assassinat du jeune
Nakamura, se cache en fait un bien sinistre projet qui pourrait, encore un peu
plus, faire basculer le monde entier dans un cauchemar sans fin…
Avec « Flashback », Dan Simmons sou dresse le
portrait d’une Amérique à genoux, qui, depuis le début du XXIème siècle, a
renoncé à ses idéaux historiques et s’est résignée à ne plus contempler sa
grandeur passée qu’au travers du prisme d’une puissante drogue. Derrière
l’anticipation, Simmons critique donc violemment l’Amérique de l’ère Obama,
accusé entre les lignes, d’avoir fait plonger le pays dans une crise dont elle
ne se remet pas. Soit.
On sent aussi, au travers des descriptions géopolitiques de
Simmons, que l’auteur redoute particulièrement l’expansion d’un Islam politique
et militaire radical et ses possibles conséquences. Une crainte qui ne semble
avoir pour solution, aux yeux de Simmons, qu’une réaction d’une extrême fermeté
de la part des Occidentaux, histoire de tuer dans l’œuf, violemment s’il le
faut, les volontés expansionnistes islamistes. Soit.
Mais laissons ces discutables considérations de côté pour
s’intéresser à cette tendance inconnue des Américains, peuple toujours tourné
vers l’avenir et sûr de sa force : l’apitoiement et le repli sur soi. 95%
des Américains s’adonnent au flashback, explique Simmons dans le roman. 95% des
Américains préfèrent revivre en boucle un passé perdu plutôt qu’affronter le
présent et un avenir qui s’annonce sans doute plus sombre encore…
Et l’on en revient à notre titre : « être vivant,
c’est accepter de ressentir la
douleur ». Du sang, de la sueur et des larmes, semble promettre Simmons,
dans un élan Churchillien. Tout, plutôt que cette résignation qu’exècre
l’auteur. Au début du roman, Bottom est un mort-vivant, déjà un pied et demi
dans le passé et quelques derniers neurones accrochés, pour combien de
temps ?, au présent. Mais, au fur et à mesure de l’avancée de son enquête,
ainsi qu’en raison des évènements qui se déroulent un peu partout autour de lui,
il va repasser du bon côté du miroir, ancrer à nouveau ses deux pieds et la
totalité de son esprit dans la réalité pour l’affronter sans reculer, quitte à
tout perdre. Bottom est l’exemple à suivre, semble-t-il. Un phénix, que l’aigle
US devrait au plus vite suivre.
Oui, la souffrance fait partie de la vie, nous dit Simmons,
et de la souffrance, il y en a, pour la plupart des personnages de
« Flashback », qu’elle soit physique ou morale. Et chacun a sa façon
de vivre avec cette souffrance, des méthodes plus ou moins positives, plus ou
moins fatalistes, c’est selon.
Un élément que je n’explique pas, mais que je signale,
simplement parce que je ne suis pas assez compétent pour expliciter ce que
Simmons a voulu faire, c’est la présence continuelle de Shakespeare tout au
long du livre. Serait-il l’exemple même de ce que Simmons veut montrer autour
de la place de la souffrance dans l’existence ? Possible, mais je n’en
jurerais pas… Mais, que ce soit dans les conversations, dans quelques
digressions et jusque dans le nom de certains personnages, Bottom le premier,
on retrouve l’ombre du maître de Strattford-upon-Avon tout au long de
« Flashback ».
Je me suis beaucoup arrêté sur le contexte global du roman,
je ne voudrais pas terminer sans dire que, si l’on accepte ce que Simmons
propose sans rechigner, on a là un thriller d’anticipation redoutablement
efficace, avec un suspense tendu d’un bout à l’autre, des scènes d’action très
spectaculaires, des scènes de guerre également redoutablement efficaces, et une
ambiance à la Mad Max (autre référence très présente dans le livre) très bien
retranscrite.
En auteur de « skiffie », pardon, de
science-fiction chevronné, Simmons ne lésine pas sur la technologie, qu’elle
soit civile ou militaire, qu’elle ait des implications dans la vie quotidienne
ou qu’elle relève des secrets les mieux gardés au monde. Cette technologie
futuriste vient parfaitement servir le récit, mais aussi par sa puissance
tentaculaire, vient accentuer l’angoisse latente des personnages qui ne la maîtrisent
pas.
D’ailleurs, le roman se termine par une double fin :
une, présentée comme cauchemardesque, au sens premier du terme, par l’auteur.
Une autre, présentée comme la continuité de la réalité exposée tout au long du
livre. La première serait une parfaite fin dystopique, avec juste ce qu’il faut
d’horreur dedans… La seconde laisse entrevoir une happy end assez paradoxale,
entraînant le monde dans le chaos pour le sortir du chaos.
Mais, dans la première version, c’estla technologie, froide
et déshumanisée qui l’emporte, tandis que dans la seconde, l‘humain, même
imparfait, cruel et belliqueux, a repris son destin en main et repris sa marche
en avant vers un avenir plus acceptable, pas forcément plus rose, malgré ce qu’il
nous promet. Ca reste quand même une lueur qu’on aperçoit au bout du tunnel,
lueur inexistante au début du récit…
Bien plus accessible que l’œuvre purement science-fictive de
Dan Simmons, souvent franchement absconse, « Flashback » est un
thriller d’anticipation très politique mais très addictif, à l’image de la
substance qui lui donne son titre. On a envie de savoir le fin mot de
l’histoire, de voir comment Bottom, son fils Val et son beau-père Leonard vont
se sortir de l’enfer dans lequel ils sont plongés bien malgré eux.
Et on se laisse entraîner par l’action, omniprésente, qui
nous laisse peu de répit, haletant, abasourdis même, lorsque ça commence à
barder de partout.
Evidemment, je le redis, on peut ne pas partager les thèses
exposées par Simmons, mais « Flashback » reste un bon moment de
lecture dans ce genre si particulier du thriller d’anticipation.
Justement, cela fait plusieurs mois que j'hésite à me procurer ce roman ou non.
RépondreSupprimerJe suis un fan de l'auteur mais pas de l'homme. Et malheureusement, j'ai peur de voir trop transparaître le néo-conservateur (doux euphémisme) dans ce roman.
C'est effectivement un risque à courir... Les idées belliqueuses de Simmons envers l'Iran, particulièrement, et une critique féroce de l'administration Obama, principalement de sa réforme du système de santé, ont tendance à un peu trop ressortir, je trouve...
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