Le drame familial est un genre qui inspire beaucoup
d’auteurs, dans différents genres littéraires, d’ailleurs. En voici un nouvel
exemple, à classer dans la catégorie « littérature générale », avec
une jeune romancière que je vous recommande, Delphine Bertholon, très
sympathique et possédant une bonne mémoire, en plus. Ce livre s’appelle
« l’effet Larsen » (en grand format chez Lattès, disponible en poche chez J'ai Lu) et, comme pour son
précédent roman, « Twist », il met en scène un personnage féminin.
Une adolescente, au seuil de l’âge adulte, émouvante et complexe.
Lorsque s’ouvre « l’effet Larsen », Nola a 30 ans
et elle écrit à son père. Un père disparu 12 ans plus tôt, dans des conditions,
comprend-on, dramatiques, mais dont on ne sait rien, pour le moment. C’est
justement les évènements intervenus en cette année 1998, lorsqu’elle venait
d’avoir 18 ans, que Nola retrace dans cette longue lettre.
Car, en cet été caniculaire, la vie de la jeune femme a
connu bien des bouleversements. 9 mois que son père est mort, 9 mois que ni
Nola, ni sa mère n’ont réussi à faire leur deuil. Au lieu de partir en Grèce
avec ses copines, Nola s’est trouvé un job de serveuse dans un bar parisien,
proche de son immeuble. « Un immeuble mutant », comme elle le décrit,
avec son architecture étrange, qu’on retrouve dans les appartements biscornus,
que Nola voit plus comme des cellules que des lieux de vie…
Jusqu’au début de l’année, la famille de Nola vivait dans un
charmant pavillon de banlieue, avec un joli jardin. Mais, avec la mort du
paterfamilias, la mère et la fille ont dû déménager et se rabattre sur cet
appartement qui fout le bourdon…
Et, comme un malheur n’arrive jamais seul, voilà que Mira,
veuve inconsolable, semble avoir plongé dans la dépression. Incapable
d’accepter la mort de son mari bien-aimé, elle sombre peu à peu, devenant
chaque jour un peu plus étrange, manifestant des symptômes physiques qui ne
cadrent pas franchement avec une simple dépression, mais qui ont de quoi
inquiéter Nola, qui ne peut, on la comprend, supporter l’idée de voir sa mère
en péril, si peu de temps après avoir perdu son père.
D’ailleurs, Nola non plus n’est pas au meilleur de sa forme.
Son père lui manque atrocement et on sent bien que l’absence de cet amour
paternel si important lui pèse. Elle aussi a du mal à tourner la page, à faire
son deuil, car elle ne comprend pas ce qui s’est passé, ce mois de décembre
précédent, quand, un soir comme les autres, son père est mort.
Difficile dans ces conditions, de rester zen. Nola pleure
son père, Nola s’inquiète pour sa mère, et il y a de quoi. Vulgairement, on
pourrait dire que Mira yoyotte de la touffe, pardonnez-moi l’expression. Elle
ne supporte plus aucun bruit, comme si cela lui écorchait les oreilles, elle
semble souffrir aussi de son cœur. Nola ne comprend pas cette peur
irrationnelle du bruit, même du moins sonore, et redoute que les drames récents
aient fragilisé le myocarde maternel. Mais les médecins sont plus optimistes.
Ou se veulent rassurants, disons. La dépression, oui, c’est certain, et c’est
compréhensible, mais pas insurmontable, avec l’aide de quelques pilules. Pour
les douleurs cardiaques et pour l’hyperacousie, cette intolérance aux bruits,
là, en revanche, les médecins sont plus vagues. Sans doute des maux
psychosomatiques, mais quant à connaître leur source, personne ne se prononce
clairement.
Des diagnostics qui ne satisfont guère Nola, les
antidépresseurs ne semblent guère calmer les angoisses de Mira, recluse dans
son appartement bizarre, dont elle a calfeutré toutes les ouvertures et où elle
vit, dans le noir, la télé allumée en permanence sur un écran neigeux et
émettant un son continu qui semble rassurer Nola.
Nola, voyant sa mère s’enfoncer chaque jour un peu plus dans
ce qu’elle considère de plus en plus comme une folie, fait tout pour l’aider,
dans le domaine de ses compétences et chaque soir, rentre au plus vite à
l’appartement, craignant qu’en son absence, Mira ait commis quelque bêtise,
plus ou moins grave.
Refusant de voir sa mère continuer à dépérir, Nola essaye
aussi de trouver des éléments qui vont l’aider à comprendre l’état dans lequel
Mira s’enfonce un peu plus chaque jour. Et, ces éléments, elle va les obtenir,
presque sans le faire exprès. De son oncle, le frère de son défunt père, d’une
part, et d’un jeune homme inconnu venu la voir dans le bar où elle travaille,
d’autre part…
Je n’en dis pas plus, mais, alors que Nola semble retrouver
le sourire et la confiance, un nouveau drame va précipiter les évènements.
Cette fois, pas d’alternative, Mira va devoir être hospitalisée. Pas de quoi
rassurer la jeune femme sur l’état de santé et l’état mental de sa mère, mais,
au moins, cela lui donne les coudées plus franches pour poursuivre ses
recherches et mieux comprendre l’enchaînement des évènements advenus depuis 9
mois, comprendre ce qui, hélas, reste pourtant incompréhensible.
Une quête de compréhension qui va prendre, par moments, des
formes assez étranges… Comme cette obsession croissante de Nola pour… les
oreilles ! Les siennes, mais aussi celles des autres, au point de créer,
sur le modèle d’un tableau surréaliste de Picabia (qui lui, avait mis en scène
un œil), une toile représentant sa propre oreille, aux proportions parfaites,
autour de laquelle elle fera inscrire à ses connaissances des phrases, celles
qui leur viennent immédiatement à l’esprit, celles qui leur passent par la
tête. Ses voisins, les clients du bar, ses amis, son oncle, tous vont jouer le
jeu, un jeu qui, espère Nola, aidera au final Mira à sortir de sa léthargie,
lorsque viendra son tour d’écrire un mot sur la toile.
Une initiative artistique et introspective qui va donner des
résultats inattendus. La révélation de secrets profondément refoulés qui vont
renvoyer Mira à son passé et Nola à une question existentielle au combien
pénible, avec laquelle elle a choisi de vivre pendant 12 ans, sans chercher à
connaître la réponse.
Mais, désormais, devenue femme, ayant réussi à ne pas rater
sa vie (comme le lui répétait inlassablement un vieil homme de son quartier,
lorsqu’il la croisait, dans la rue ou au bar), elle a besoin de crever l’abcès
et la lettre qu’elle adresse ainsi à son père défunt est aussi une manière de
lui annoncer à lui aussi, les résultats de son « enquête ».
Je n’en dis pas plus, car, même si on n’est pas dans un
polar ou un thriller, « l’effet Larsen » mérite qu’on laisse certains
épisodes dans l’ombre pour laisser les lecteurs les découvrir les uns après les
autres et, en même temps que Nola, rassembler les évènements qui doivent, à
terme, lui permettre enfin de faire son deuil.
Dans « Twist », la petite Madison, gamine
kidnappée s’adressait déjà à sa mère, si je me souviens bien, dans un curieux
dialogue à distance. Ici, on retrouve cette relation épistolaire à un parent,
comme si verbaliser les choses est plus facile quand cela s’avère impossible… Bizarre
paradoxe mais pertinente façon d’envisager les relations enfant/parents, loin
d’être toujours faciles, même dans les familles les plus stables et les plus
heureuses. Loin de moi l’idée de psychanalyser Delphine Bertholon, mais ces
points communs entre les deux romans que j’ai lus d’elle m’ont sauté aux yeux…
Mais, si j’évoque Madison, si je la mets en rapport avec
Nola, c’est aussi parce que ces deux héroïnes, le terme est peut-être
inadéquat, prenez-le comme un synonyme de personnage principal, ont toute les
deux su m’émouvoir. De manière sensiblement différente, c’est vrai, mais je
voulais le signaler.
Laissons « Twist » et Madison de côté, et
concentrons-nous sur Nola et cet effet Larsen qui lui agace les oreilles (sans
compter celles de sa mère, Mira). Nola est encore une ado quand on la découvre,
révoltée contre le sort qui la frappe, incapable d’accepter la mort de son
père, incapable d’accepter qu’on puisse se réjouir de quoi que ce soit dans ce
contexte (et on est en août 1998, un mois après la victoire de l’équipe de
France de foot dans « sa » Coupe du Monde… C’est dire si la France
est joyeuse, en ces jours-là !), abasourdie et agacée par l’attitude de sa
mère (on sent d’ailleurs que Nola était sans doute bien plus proche de son père
que de sa mère), désemparée devant le drame inattendu qui a détruit sa famille,
impuissante à comprendre, obligée de grandir soudainement, de devenir adulte
avant l’heure, elle qui aspirait encore à vivre une vie d’adolescente sans
responsabilité ni angoisse…
Est-ce le fait que Nola relate cette courte mais décisive
période de sa vie avec 12 années de recul, mais on voit cette jeune femme
fragile, presqu’une petite fille encore, peu à peu gagner en maturité, prendre
les choses en main, se fâcher aussi contre ce destin contraire, elle qui se
refuse à y croire et ne voudrait se contenter que du hasard. Intuitivement,
elle comprend qu’en savoir plus sur les évènements entourant la mort de son
père ne pourra, aussi douloureux cela soit-il, que l’aider à avancer, à comprendre,
à tolérer, si ce n’est accepter les faits. Et résoudre au passage, les maux qui
frappent sa mère et elle-même, par ricochet.
La symbolique de l’oreille est fondamentale, omniprésente
tout au long du roman, d’abord de façon diffuse, presque anecdotique et surtout
inexpliquée, puis très visible, comme une forme originale d’exorcisme, comme un
exutoire… Mais l’oreille, c’est l’organe de l’ouïe, amis des pléonasmes,
salut ! Plus sérieusement, cette oreille, restée sourde longtemps, va
retrouver sa vitalité lorsqu’enfin, Mira se décidera à parler et que Nola
l’écoutera avec attention.
« L’effet Larsen », c’est la friture sur la ligne
au sein de la famille, ces « petites » choses qu’on ne dit jamais, en
tout cas pas clairement, qu’on garde pour soi et qui s’enkystent pour finir par
contaminer toute la cellule familiale, y compris ceux qui ne sont pas
directement concernés par ces secrets et répandre la suspicion, l’inquiétude,
la crainte, etc. Bref, l’inconfort général, plus puissant que les liens familiaux
qu’il ronge, comme l’acide.
Alors, cette oreille, qui finit par devenir un véritable
personnage du roman de Delphine Bertholon, il ne faut jamais hésiter à
l’utiliser, comme la langue et les cordes vocales. Evidemment, rien n’est aussi
simple, percer les abcès, parfois, ça ne fait qu’empirer les situations. Mais,
parler, se parler, écouter, s’écouter, ça peut aussi bien permettre d’aplanir
des difficultés qui, sans communication, risqueraient de devenir
insurmontables.
Nola est parvenue à provoquer ces discussions, avec Mira
mais aussi d’autres personnages, et, en cela, sa volonté est touchante, sa
révolte aussi et elle mérite une récompense sous forme de vérité, même si elle
aura pour cela attendu 12 ans de digérer cet été 98, été charnière dans sa jeune
existence…
Un dernier mot pour saluer les personnages secondaires de
« l’effet Larsen », en particulier l’étonnante et hilarante galerie
qui compose la clientèle du bar où travaille Nola… Une belle collection de
pochtrons, certes, mais si attachants et qui, par leur ignorance de ce que Nola
traverse sont aussi une occasion pour la jeune femme de se changer les idées.
Ces piliers de taverne sont plus vrais que nature et je vous recommande la
scène où débarquent dans le bar les deux copines de Nola qui sont, ma foi, fort
jolies et court vêtues… Un dur moment pour les mâchoires, difficiles à
refermer, soudainement…
« L’effet Larsen » est un roman centré sur un
drame familial, mais il ne sombre pas pour autant dans une insondable noirceur.
La fraîcheur de Nola, l’extravagance (je pense à Harriet, la voisine de palier)
ou le naturel désarmant (les enfants de Virgile, le voisin du second) de
certains personnages secondaires, la séduction de l’oncle Paul (pas celui qui
racontait de belles histoires, un autre oncle Paul), sans oublier ces oreilles
qu’on retrouve en boucle au long des pages, tout cela rend ce livre très
sympathique et plein de sourires, certes vite nuancés par la trame de
l’histoire, forcément moins joyeuses…
Avec tout cela, pas étonnant de retrouver une large palette
d’émotions dans ce roman qui confirme le bien que je pensais de Delphine
Bertholon après la lecture de « Twist », il y a quelques années déjà.
En attendant de découvrir son dernier roman, dont on entend dire beaucoup de bien
un peu partout, intitulé « Grace », je crois… Ce sera pour bientôt,
je pense.
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