Après une lecture difficile, violente, troublante, il me
fallait un livre capable de me procurer détente et, pourquoi pas, sourire.
Alors, logiquement, je suis allé voir du côté de la mythique Série Noire, qui
me semblait parfaitement correspondre aux critères recherchés. Voilà comment
j’ai entamé « Bad Chili », de Joe R. Lansdale (en poche chez Folio
policier), le troisième volet des aventures d’un duo un peu spécial : Hap
Collins et son alter ego Leonard Pine. Après l’horreur du génocide rwandais, ça
m’a fait un bien fou !
Alors qu’il rentre de plusieurs mois de travail sur une
plate-forme pétrolière, activité lucrative mais peu passionnante, Hap Collins
est ravi de retrouver son Texas chéri et son confort, aussi rudimentaire
soit-il. Ravi aussi de retrouver son pote Leonard Pine, avec lequel il est
aussi complice que différent.
En effet, si Hap est blanc, hétéro, plutôt débonnaire, pas
vraiment capable de se trouver un job stable, Leonard, lui, est noir, homosexuel,
un tantinet soupe-au-lait, prompt à se bagarrer et cognant dur. Pourtant, ces
deux-là sont comme des frères et ont une nette prédilection à se retrouver dans
les ennuis avec une facilité déconcertante.
Lorsque Hap retrouve son ami, celui-ci est déprimé :
son mec, Raul, pour qui il a de vrais sentiments, l’a quitté. Et sans doute
pour un autre homme. Un motard, en plus ! Vraiment, de quoi mettre les
nerfs en pelote du grand Leonard… Mais, alors que celui-ci essaye de raconter
ses malheurs à son pote lors d’une balade en forêt, les deux hommes sont
attaqués par un écureuil particulièrement vorace, semble-t-il…
Hap est mordu par l’animal avant que Leonard ne réussisse
enfin à l’abattre. Suffisant pour aller chez le médecin, tant le comportement
pour le moins curieux de l’animal laisse redouter une crise de rage… Mais, ne
bénéficiant pas d’une assurance santé assez solide, Hap va devoir passer
quelques jours à l’hôpital s’il veut pouvoir payer ses traitements antirabiques
sans y laisser sa chemise.
Pas de quoi le réjouir, malgré la présence d’une accorte
infirmière de nuit, Brett. Mais, ce qui dérange le plus Hap, c’est que Leonard,
après l’avoir laissé à l’hosto, n’est pas revenu lui rendre visite… Ce qui va
s’expliquer facilement quand Charlie, le pote flic du duo Hap/Leonard, vient
lui apprendre à Hap que Leonard a disparu mais que la police aimerait bien le
retrouver…
Leonard s’est mis dans une sale mélasse : sans doute
par jalousie, il s’est rendu dans un bar de motard, histoire de dire ses quatre
vérités au nouveau mec de Raul. Quelques baffes par-ci, quelques motos abimées
par-là, l’enseigne du bar démolie par une décharge de gros calibre, Leonard a
quelque peu énervé de sympathiques motards qui, semble-t-il, l’ont ensuite
poursuivi et la voiture de Leonard a été retrouvée brûlée au bord d’une route.
De Leonard, plus de trace…
Mais plus embêtant, on a aussi retrouvé le corps sans vie
d’un motard, abattu avec un calibre correspondant à celui que Leonard utilise,
et qui est, sans aucun doute possible, « Cheval » McNee, l’amant de
Raul… De là à imaginer que Leonard est l’assassin…
Hap va alors quitter discrètement l’hôpital pour essayer de
retrouver son pote, qu’il pense plus en danger que responsable de la mort de
son rival. Et, tout en mettant en danger sa santé, son assurance et peut-être
bien d’autres choses encore, il va tenter de pallier l’incurie de la police
locale, peu encline à se décarcasser pour mener à bien une enquête concernant
un règlement de comptes entre gays, dont un noir… Ah, le Texas, terre de
tolérance…
Bref, si Hap veut aider Leonard à se disculper et,
accessoirement, découvrir qui a tué « Cheval » McNee et où est passé
Raul, il va falloir utiliser les chemins de traverse, histoire de contourner un
peu la loi… Mais, les deux hommes n’imaginent pas encore dans quel bourbier ils
vont se jeter la tête la première !
Car la mort de McNee et la disparition de Raul ont des
causes bien plus graves qu’une simple querelle d’amoureux qui aurait mal
tourné. Le couple a découvert que des activités à caractère homophobe se
déroulaient dans la région, des actes sordides qui leur ont donné l’idée de
petits chantages lucratifs… Seulement voilà, face à eux, il y a de gros, très
gros méchants, prêts à tout pour continuer leurs activités, même à se
débarrasser définitivement des importuns.
Hap et Leonard vont donc eux aussi se retrouver dans la
ligne de mire de personnages peu recommandables et aux méthodes pas franchement
pacifiques, Hap pourra en témoigner longtemps. Mais, les deux amis ont la peau
dure, la vengeance chevillée au corps et n’ont pas peur de grand-chose… Surtout
pas d’un patron d’une industrie agro-alimentaire très profitable aux mains
sales, un comble, qui leur semble être le commanditaire idéal de tous leurs
maux.
Vrai roman de Série Noire, « Bad Chili » mêle une
histoire très violente à un style au cynisme réjouissant et au vocabulaire,
comment dire ? Fleuri ? Imagé ? Bref, d’une remarquable
inventivité dans les dialogues, à condition de ne pas être trop prudes ou trop
incommodé par l’usage de mots grossiers… Prenons pour exemple cette inoubliable
conversation entre Hap et Leonard pour savoir comment se débarrasser d’une
tique, confortablement installée sur les parties viriles d’un des deux hommes
ou encore, cette phrase prononcée par Brett, l’infirmière au langage de
charretier et aux mœurs aussi légères que sa tenue de travail : « ce
n’est pas la viande qui compte, c’est le mouvement » ; je vous laisse
imaginer le contexte dans lequel cette phrase fut prononcée…
Oui, « Bad Chili » est un pur délice lexical et
politiquement incorrect. Ce qui n’empêche pas Lansdale, auteur d’un roman très
sombre et bien plus sérieux dans la forme, « les marécages », que
j’avais beaucoup apprécié également, de s’attaquer à des sujets très lourds dans
« Bad Chili » : le racisme et l’homophobie, que le Texas semble
cultiver avec application.
Noir ou gay ou les deux, vous voilà automatiquement
cinquième roue du carrosse. Si Collins et Pine doivent mettre les mains dans le
cambouis eux-mêmes, c’est encore une fois parce que les forces de l’ordre ne
semblent pas très pressées de mettre la main sur les assassins d’homosexuels,
quels que soient leurs mobiles. Mais la violence envers ces citoyens, elle, est
bien réelle et même assez profitable, lorsqu’on la met en scène… Et tout ce que
Hap et Leonard vont découvrir a de quoi donner la nausée, je vous le dis…
Et, comme on est au Texas, ça fleure bon le Far West :
Hap et Leonard vont pouvoir s’en donner à cœur joie pour se faire justice
eux-mêmes et faire, dans la plus totale illégalité (et alors, quelle
importance, puisque les flics semblent se foutre de tout ça royalement…), un
grand ménage pour apprendre quelques leçons élémentaires de savoir-vivre à tout
un tas de gars qui en ont bien besoin, qu’ils vendent un chili dégueulasse,
qu’ils coupent des tifs n’importe comment ou qu’ils mettent au service d’actions
peu reluisantes leurs talents passés de catcheur…
Le mélange entre le fond de ce roman noir, très sérieux,
donc, et la décontraction des personnages principaux (en toutes circonstances,
ou presque…), leurs méthodes parfois expéditives, leur complémentarité, leurs
conversations animées et truculentes, donne un cocktail bien sympa à lire. Une
lecture au cours de laquelle, même dans les moments de tension dramatique, on
se prend à sourire et même à rire, divertis par des situations saugrenues, des
bons mots, des décalages (Brett, qui dans n’importe quel autre roman, serait la
caution romantique du livre, est une charmante jeune femme en apparence, mais
sa vie et sa façon d’être viennent vite démentir cette première impression et
en faire le parfait pendant de Hap…).
Ne cherchez pas là un thriller trépident et plein d’action.
Il y a des rebondissements et de l’action, mais le rythme est celui d’un roman
noir, et d’un roman noir se déroulant dans la langueur texane. Vous aurez aussi
compris, à la lecture des lignes précédentes, que les dialogues ont une place
importante dans le livre. De plus, différents aspects s’entrecroisent pour
former l’histoire : le fil rouge, c’est bien sûr la recherche des
assassins, mais il faut compter sur la relation entre Hap et Leonard, entre Hap
et Charlie, le copain flic, la relation amoureuse grandissante entre Hap et son
infirmière Brett, l’irruption d’un privé aux manières de cow-boy ou encore
l’histoire d’Ella, autre infirmière, collègue et amie de Brett, femme battue par
un conjoint particulièrement violent…
On ne peut parler véritablement de puzzle, car ces pièces ne
s’assemblent pas forcément entre elles pour former la globalité de l’histoire.
Mais chacun de ces éléments joue son rôle dans l’évolution de la trame romanesque,
offrant soit des fausses pistes, soit des interrogations, soit des
rebondissements. L’histoire d’amour naissante entre Brett et Hap, elle aussi,
aura son rôle à jouer dans le dénouement final, laissant imaginer également que
l’infirmière au caractère bien trempé aura sa place dans les prochaines
aventures de Hap Collins et Leonard Pine (bon, là, je m’avance peut-être,
puisque ces aventures suivantes doivent déjà avoir été publiées, mais c’est
ainsi que je le ressens…).
Alors, si vous aimez les romans bien noirs, comme du
goudron, qui ne font pas franchement dans le politiquement correct et l’eau de
rose, avec une histoire bien menée, des personnages attachants et plutôt
drôles, des méchants trèèèès méchants et des rôles secondaires gentiment caricaturaux,
alors, « Bad Chili », et sans doute la série Collins-Pine de Joe R.
Lansdale dans son ensemble, pourraient bien être pour vous…
Mais, je vous aurais prévenu, le raffinement et l’élégance
n’ont que peu de place dans ce roman-là. Rendez-vous compte, il y a même un
personnage qui porte des costumes sport faits sur mesure et de couleurs plus
que douteuses (prune ou pêche, selon les jours, argh…) !
Si, après avoir visualisé une telle tenue, et je
comprendrais sincèrement qu’une telle faute de goût vous refroidisse, vous avez
encore envie de tenter l’expérience, ne vous privez pas, la lecture de
« Bad Chili » a parfaitement atteint le but que je lui avais fixé à
l’origine : me permettre de me détendre après le choc que fut « la
stratégie des antilopes ».
J'adore ce duo, ils me font bien marrer !!! Et Lansdale est un de mes auteurs fétiches !
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