mardi 10 juillet 2012

Hap Collins, ses amis, ses amours, ses emmerdes...


Après une lecture difficile, violente, troublante, il me fallait un livre capable de me procurer détente et, pourquoi pas, sourire. Alors, logiquement, je suis allé voir du côté de la mythique Série Noire, qui me semblait parfaitement correspondre aux critères recherchés. Voilà comment j’ai entamé « Bad Chili », de Joe R. Lansdale (en poche chez Folio policier), le troisième volet des aventures d’un duo un peu spécial : Hap Collins et son alter ego Leonard Pine. Après l’horreur du génocide rwandais, ça m’a fait un bien fou !


Couverture Bad Chili


Alors qu’il rentre de plusieurs mois de travail sur une plate-forme pétrolière, activité lucrative mais peu passionnante, Hap Collins est ravi de retrouver son Texas chéri et son confort, aussi rudimentaire soit-il. Ravi aussi de retrouver son pote Leonard Pine, avec lequel il est aussi complice que différent.

En effet, si Hap est blanc, hétéro, plutôt débonnaire, pas vraiment capable de se trouver un job stable, Leonard, lui, est noir, homosexuel, un tantinet soupe-au-lait, prompt à se bagarrer et cognant dur. Pourtant, ces deux-là sont comme des frères et ont une nette prédilection à se retrouver dans les ennuis avec une facilité déconcertante.

Lorsque Hap retrouve son ami, celui-ci est déprimé : son mec, Raul, pour qui il a de vrais sentiments, l’a quitté. Et sans doute pour un autre homme. Un motard, en plus ! Vraiment, de quoi mettre les nerfs en pelote du grand Leonard… Mais, alors que celui-ci essaye de raconter ses malheurs à son pote lors d’une balade en forêt, les deux hommes sont attaqués par un écureuil particulièrement vorace, semble-t-il…

Hap est mordu par l’animal avant que Leonard ne réussisse enfin à l’abattre. Suffisant pour aller chez le médecin, tant le comportement pour le moins curieux de l’animal laisse redouter une crise de rage… Mais, ne bénéficiant pas d’une assurance santé assez solide, Hap va devoir passer quelques jours à l’hôpital s’il veut pouvoir payer ses traitements antirabiques sans y laisser sa chemise.

Pas de quoi le réjouir, malgré la présence d’une accorte infirmière de nuit, Brett. Mais, ce qui dérange le plus Hap, c’est que Leonard, après l’avoir laissé à l’hosto, n’est pas revenu lui rendre visite… Ce qui va s’expliquer facilement quand Charlie, le pote flic du duo Hap/Leonard, vient lui apprendre à Hap que Leonard a disparu mais que la police aimerait bien le retrouver…

Leonard s’est mis dans une sale mélasse : sans doute par jalousie, il s’est rendu dans un bar de motard, histoire de dire ses quatre vérités au nouveau mec de Raul. Quelques baffes par-ci, quelques motos abimées par-là, l’enseigne du bar démolie par une décharge de gros calibre, Leonard a quelque peu énervé de sympathiques motards qui, semble-t-il, l’ont ensuite poursuivi et la voiture de Leonard a été retrouvée brûlée au bord d’une route. De Leonard, plus de trace…

Mais plus embêtant, on a aussi retrouvé le corps sans vie d’un motard, abattu avec un calibre correspondant à celui que Leonard utilise, et qui est, sans aucun doute possible, « Cheval » McNee, l’amant de Raul… De là à imaginer que Leonard est l’assassin…

Hap va alors quitter discrètement l’hôpital pour essayer de retrouver son pote, qu’il pense plus en danger que responsable de la mort de son rival. Et, tout en mettant en danger sa santé, son assurance et peut-être bien d’autres choses encore, il va tenter de pallier l’incurie de la police locale, peu encline à se décarcasser pour mener à bien une enquête concernant un règlement de comptes entre gays, dont un noir… Ah, le Texas, terre de tolérance…

Bref, si Hap veut aider Leonard à se disculper et, accessoirement, découvrir qui a tué « Cheval » McNee et où est passé Raul, il va falloir utiliser les chemins de traverse, histoire de contourner un peu la loi… Mais, les deux hommes n’imaginent pas encore dans quel bourbier ils vont se jeter la tête la première !

Car la mort de McNee et la disparition de Raul ont des causes bien plus graves qu’une simple querelle d’amoureux qui aurait mal tourné. Le couple a découvert que des activités à caractère homophobe se déroulaient dans la région, des actes sordides qui leur ont donné l’idée de petits chantages lucratifs… Seulement voilà, face à eux, il y a de gros, très gros méchants, prêts à tout pour continuer leurs activités, même à se débarrasser définitivement des importuns.

Hap et Leonard vont donc eux aussi se retrouver dans la ligne de mire de personnages peu recommandables et aux méthodes pas franchement pacifiques, Hap pourra en témoigner longtemps. Mais, les deux amis ont la peau dure, la vengeance chevillée au corps et n’ont pas peur de grand-chose… Surtout pas d’un patron d’une industrie agro-alimentaire très profitable aux mains sales, un comble, qui leur semble être le commanditaire idéal de tous leurs maux.

Vrai roman de Série Noire, « Bad Chili » mêle une histoire très violente à un style au cynisme réjouissant et au vocabulaire, comment dire ? Fleuri ? Imagé ? Bref, d’une remarquable inventivité dans les dialogues, à condition de ne pas être trop prudes ou trop incommodé par l’usage de mots grossiers… Prenons pour exemple cette inoubliable conversation entre Hap et Leonard pour savoir comment se débarrasser d’une tique, confortablement installée sur les parties viriles d’un des deux hommes ou encore, cette phrase prononcée par Brett, l’infirmière au langage de charretier et aux mœurs aussi légères que sa tenue de travail : « ce n’est pas la viande qui compte, c’est le mouvement » ; je vous laisse imaginer le contexte dans lequel cette phrase fut prononcée…

Oui, « Bad Chili » est un pur délice lexical et politiquement incorrect. Ce qui n’empêche pas Lansdale, auteur d’un roman très sombre et bien plus sérieux dans la forme, « les marécages », que j’avais beaucoup apprécié également, de s’attaquer à des sujets très lourds dans « Bad Chili » : le racisme et l’homophobie, que le Texas semble cultiver avec application.

Noir ou gay ou les deux, vous voilà automatiquement cinquième roue du carrosse. Si Collins et Pine doivent mettre les mains dans le cambouis eux-mêmes, c’est encore une fois parce que les forces de l’ordre ne semblent pas très pressées de mettre la main sur les assassins d’homosexuels, quels que soient leurs mobiles. Mais la violence envers ces citoyens, elle, est bien réelle et même assez profitable, lorsqu’on la met en scène… Et tout ce que Hap et Leonard vont découvrir a de quoi donner la nausée, je vous le dis…

Et, comme on est au Texas, ça fleure bon le Far West : Hap et Leonard vont pouvoir s’en donner à cœur joie pour se faire justice eux-mêmes et faire, dans la plus totale illégalité (et alors, quelle importance, puisque les flics semblent se foutre de tout ça royalement…), un grand ménage pour apprendre quelques leçons élémentaires de savoir-vivre à tout un tas de gars qui en ont bien besoin, qu’ils vendent un chili dégueulasse, qu’ils coupent des tifs n’importe comment ou qu’ils mettent au service d’actions peu reluisantes leurs talents passés de catcheur…

Le mélange entre le fond de ce roman noir, très sérieux, donc, et la décontraction des personnages principaux (en toutes circonstances, ou presque…), leurs méthodes parfois expéditives, leur complémentarité, leurs conversations animées et truculentes, donne un cocktail bien sympa à lire. Une lecture au cours de laquelle, même dans les moments de tension dramatique, on se prend à sourire et même à rire, divertis par des situations saugrenues, des bons mots, des décalages (Brett, qui dans n’importe quel autre roman, serait la caution romantique du livre, est une charmante jeune femme en apparence, mais sa vie et sa façon d’être viennent vite démentir cette première impression et en faire le parfait pendant de Hap…).

Ne cherchez pas là un thriller trépident et plein d’action. Il y a des rebondissements et de l’action, mais le rythme est celui d’un roman noir, et d’un roman noir se déroulant dans la langueur texane. Vous aurez aussi compris, à la lecture des lignes précédentes, que les dialogues ont une place importante dans le livre. De plus, différents aspects s’entrecroisent pour former l’histoire : le fil rouge, c’est bien sûr la recherche des assassins, mais il faut compter sur la relation entre Hap et Leonard, entre Hap et Charlie, le copain flic, la relation amoureuse grandissante entre Hap et son infirmière Brett, l’irruption d’un privé aux manières de cow-boy ou encore l’histoire d’Ella, autre infirmière, collègue et amie de Brett, femme battue par un conjoint particulièrement violent…

On ne peut parler véritablement de puzzle, car ces pièces ne s’assemblent pas forcément entre elles pour former la globalité de l’histoire. Mais chacun de ces éléments joue son rôle dans l’évolution de la trame romanesque, offrant soit des fausses pistes, soit des interrogations, soit des rebondissements. L’histoire d’amour naissante entre Brett et Hap, elle aussi, aura son rôle à jouer dans le dénouement final, laissant imaginer également que l’infirmière au caractère bien trempé aura sa place dans les prochaines aventures de Hap Collins et Leonard Pine (bon, là, je m’avance peut-être, puisque ces aventures suivantes doivent déjà avoir été publiées, mais c’est ainsi que je le ressens…).

Alors, si vous aimez les romans bien noirs, comme du goudron, qui ne font pas franchement dans le politiquement correct et l’eau de rose, avec une histoire bien menée, des personnages attachants et plutôt drôles, des méchants trèèèès méchants et des rôles secondaires gentiment caricaturaux, alors, « Bad Chili », et sans doute la série Collins-Pine de Joe R. Lansdale dans son ensemble, pourraient bien être pour vous…

Mais, je vous aurais prévenu, le raffinement et l’élégance n’ont que peu de place dans ce roman-là. Rendez-vous compte, il y a même un personnage qui porte des costumes sport faits sur mesure et de couleurs plus que douteuses (prune ou pêche, selon les jours, argh…) !

Si, après avoir visualisé une telle tenue, et je comprendrais sincèrement qu’une telle faute de goût vous refroidisse, vous avez encore envie de tenter l’expérience, ne vous privez pas, la lecture de « Bad Chili » a parfaitement atteint le but que je lui avais fixé à l’origine : me permettre de me détendre après le choc que fut « la stratégie des antilopes ».


1 commentaire:

  1. J'adore ce duo, ils me font bien marrer !!! Et Lansdale est un de mes auteurs fétiches !

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