Décidément, le genre thriller d’aventures est en vogue en
France, avec des auteurs talentueux qui réussissent à concurrencer désormais
les grandes signatures anglo-saxonnes. En voici encore un exemple avec Jérôme
Delafosse, grand reporter de son état (comme un certain Jean-Christophe Grangé,
par exemple). Avec « les larmes d’Aral » (en grand format chez Robert
Laffont), son deuxième roman, il confirme qu’il va falloir, à l’avenir, compter
également avec lui. Un grand merci à Livraddict et à Robert Laffont pour ce
partenariat et cette lecture que j’ai dévorée.
Une soirée d’octobre 1994 en Irlande. Une soirée a priori
sans histoire pour Sinead McKeown. La jeune femme, grand reporter, habituée des
théâtres de guerre, doit juste faire avec les nausées inhérentes à sa
grossesse. Dans son bureau, son mari, Gari Weiss, lui aussi grand reporter, à
la réputation sulfureuse, travaille.
Mais, soudain, tout bascule. Du jardin, Sinead est témoin de
l’explosion de sa maison. Elle est blessée par le souffle, perd le bébé qu’elle
attendait et surtout, voit son époux, l’homme de sa vie, celui qui avait su
donner un sens à une existence que l’on devine difficile jusque-là, partir en
fumée. Le choc est très rude, au point qu’elle envisage de mettre fin à ses
jours, seule solution envisageable pour une jeune femme qui pense avoir déjà
souffert plus qu’on ne le devrait.
Pourtant, au moment de passer à l’acte, dans les ruines de
sa maison dévastée, un doute l’étreint. Doute grâce auquel Sinead va découvrir
un étrange coffret, portant une inscription en cyrillique et contenant une
fiole avec dedans, ce qui ressemble fort… à des paupières humaines. Pour une
femme qui pensait que son époux n’avait jamais eu de secret pour elle, voilà
qui a de quoi intriguer…
Et voilà une bonne raison pour Sinead de retrouver ses
réflexes de journaliste et de mener l’enquête pour comprendre d’où viennent ces
étranges paupières, qui semblent avoir
été tatouées, et si elles ont un rapport avec l’explosion qui a tué Gari Weiss.
Mais, pour mener à bien cette enquête, Sinead va devoir fuir
l’Irlande, car la voilà principale suspecte dans la mort de son mari : la
police a trouvé des liens entre la jeune femme et l’IRA et, quand on dit
explosion + IRA dans une même phrase, en Irlande, on ne réfléchit pas beaucoup
plus…
Dans le même temps, Paris est le théâtre de curieux
évènements. Un homme presque nu échappe à une patrouille de la BAC et se jette
dans la Seine après avoir agressé un policier. Lorsque son corps est retrouvé,
coincé entre une péniche et un quai, l’hypothèse la plus probable semble être
celle d’un SDF rendu agressif par la prise de produits stupéfiants. Mais, dès
le lendemain, cette hypothèse va vite être oublié quand tous ceux qui ont
approché le corps du SDF sont pris de violents malaises et se retrouvent dans
un état grave…
La criminelle est alors saisie et l’une des étoiles
montantes de la police parisienne, Raphaël Zeck, reprend l’affaire. Une affaire
qui va le mener dans le bois de Vincennes où un deuxième corps est découvert
dans ce qui ressemble à un campement de SDF. Lui aussi, comme son compagnon
d’infortune, a subi de terribles blessures apparemment dues à une exposition
prolongée à une substance radioactive…
De quoi faire redouter à Zeck et à son fidèle adjoint Drago,
surnommé le Serbe, une attaque terroriste imminente, alors que l’ex-empire
soviétique se décompose doucement, ouvrant un marché inépuisable de substances
dangereuses, et que, pour la première fois, les services de police à travers le
monde sont avertis de l’existence d’une nébuleuse terroriste islamiste au nom
pas encore familier d’Al Qaïda.
Là aussi, une enquête approfondie doit être menée pour
comprendre qui sont les deux hommes tués par la substance radioactive, les
raisons de leur présence près de Paris, d’où viennent les produits qui les ont
mutilés de façon horrible et qui les leur a « fournis ». Une enquête
qui va vite voir intervenir la DST. Un service de contre-espionnage emmené par
un certain Dumas, qui semble plus vouloir mettre des bâtons dans les roues de Zeck
que lui procurer des renseignements pouvant aider son enquête.
Bref, rien n’est simple pour Sinead, en fuite, sous le coup
d’un mandat d’arrêt international et n’ayant pour indice que ces étranges
paupières, comme pour Zeck, embarqué dans une guerre de services menés par des
barbouzes qui semblent en savoir bien plus qu’ils ne veulent le dire, et sans
vraie piste à remonter, si ce n’est celle d’un scientifique au passé
tumultueux, mais qui reste introuvable, Pierre Séror.
C’est en essayant de retrouver Séror que Zeck va rencontrer
Sinead. Une jeune femme traquée et piégée par ceux qui ont sans doute éliminé
son mari. Une jeune femme sauvée in extremis d’une mort atroce. Mais une jeune
femme recherchée à laquelle Zeck ne semble pas prêt à accorder une confiance
illimitée, même si son histoire et les éléments qu’elle apporte (au
compte-gouttes) l’intéressent.
Alors, peu à peu, tout en se cachant à chacun des
éléments-clefs de leurs enquêtes respectives, Zeck et Sinead vont mener une
enquête commune. Contre vents et marées, alors que la DGSE est également entrée
dans la danse, que les barbouzeries se multiplient et créent des écrans de
fumée qui entravent l’enquête officielle, au grand dam de Zeck, ils vont
découvrir ce qui se cache derrière ces morts et ces obstacles politiques.
Des découvertes qui vont leur faire mettre le cap à l’est,
aux confins de l’ex-empire soviétique, plus précisément vers l’Ouzbékistan,
république connue pour avoir été, dans le temps, l’une des principales étapes
de la route de la Soie, et pour être un des deux pays où se trouve la fameuse
mer d’Aral, en voie de disparition.
Et ils vont plonger dans la folie de savants soviétiques ou
originaires des pays satellites del’U.R.S.S. qui, des années plus tôt, avaient
travaillé sur un projet dépassant l’entendement, baptisé « les larmes
d’Aral ».
Leur voyage, ou plutôt leur enquête clandestine, sans
justification officielle, en territoire étranger, sans issue de secours
possible, avec le danger permanent d’être considérés comme des espions, les
emmènera dans des régions hostiles, et pas seulement à cause de la météo, dans
des lieux abominables où la cruauté humaine se déchaîne, pour enfin mettre au
jour une impensable vérité…
Long résumé, c’est vrai, pour bien planter le décor de ce thriller
sans pour autant trop en dire. Mais un résumé qui devrait aussi vous intriguer
comme il a su éveiller ma curiosité. J’avais lu, il y a quelques années, « le cercle de sang », le premier
thriller de Jérôme Delafosse qui, je dois le reconnaître, ne m’a pas laissé un
souvenir impérissable. Mais, il y avait déjà ce dépaysement et cette complexité
qui me plaisent bien lorsqu’ils sont au menu d’un thriller.
Alors, je suis revenu vers cet auteur pour ce deuxième
roman, et je ne suis pas déçu du tout d’avoir retenté ma chance. D’abord, parce
qu’il met en scène ces perpétuelles guerre entre services de police et de
renseignements dont la France semble d’être fait une spécialité. Entre une DST
au passé pas toujours clair, dont certains éléments, sous la guerre froide,
recoururent à des méthodes parfois mafieuses pour, officiellement, lutter
contre l’influence communiste, et une DGSE toujours prompte à mettre son grain
de sel dans des affaires intérieures qui , normalement, ne la regardent pas,
Zeck se voit coincé entre un marteau et une enclume bien décidés à l’écraser
pour éviter que ne reviennent à la surface quelques vilaines magouilles dans
lesquelles la politique a choisi délibérément de laisser de côté la morale.
Et puis, en jouant sur des fantasmes courants lors de cette
guerre froide, en laissant planer l’idée que, derrière le rideau de fer, des
savants fous façon Docteur Folamour travaillaient sur des projets aussi cinglés
qu’eux-mêmes, flirtant avec la science-fiction, mais ayant des implications terrifiantes
pour le monde entier en cas de réussite, Delafosse réussit à instaurer un
climat pesant, inquiétant, et un suspense efficace et soutenu malgré la
longueur du livre.
Un thriller réussi qui tient aussi beaucoup à la
personnalité de ces deux acteurs principaux : Zeck et Sinead. Chacun a des
zones d’ombre, un passé complexe et dont il doit encore supporter les
conséquences au moment où on les découvre. Des caractères bien trempés qui les
poussent facilement au clash et, finalement, pas grand-chose à perdre ni l’un,
ni l’autre, ce qui ne les fera pas une seconde hésiter à partir à l’autre bout
du globe, dans cet Ouzbékistan inconnu, malgré les multiples dangers qui les
guettent.
Mais Zeck et Sinead ne sont pas les seuls à ne pas nous
révéler la totalité de leur personnalité, de leur CV, de leur passé. En fait,
la plupart des personnages impliqués dans cette sombre histoire, qu’ils soient
victimes, enquêteurs, partie prenante de quelque façon que ce soit, nous
cachent des choses, et pas très reluisantes, qui plus est… Voilà qui met aussi
du piment à ce thriller dans lequel on ne peut véritablement se fier à personne
pour savoir dans quelle direction porter son regard.
Sans oublier l’assassin derrière lequel courent Sinead et
Zeck. Ce mystérieux Saïph, comme il est surnommé. Un assassin, comme il se
doit, insaisissable, ne dévoilant son vrai visage qu’en toute fin de livre,
pour un dénouement assez inattendu, en tout cas, qui m’a surpris. Un assassin
que je verrais bien joué par un Kevin Spacey façon « Usual Suspect »
ou « Seven ».
La façon dont Delafosse réussit à faire planer sur son
roman l’inquiétante et mystérieuse personnalité de son tueur est pour
beaucoup dans la qualité de son roman. Ce qu’on découvre de lui petit à petit,
son passé, sa folie mais aussi son intelligence, sa détermination, son
machiavélisme et son côté invisible et imprévisible, en font tout au long de
l’histoire, une espèce de personnage fantomatique et omniscient qui fait
craindre le pire pour Sinead et Zeck.
Un bémol ? Allez, oui, un bémol, léger, toutefois. J’ai
parlé de l’aspect dépaysant du travail de Delafosse, qui, pour son métier, nous
fait découvrir les quatre coins du monde, dans l’émission de Canal+ « les
nouveaux explorateurs ». Il existe bien sûr dans ce livre, la partie
initiale en Irlande et à Londres et la partie finale en Ouzbékistant en
attestent.
Mais, je suis sorti un peu frustré tout de même, car je
m’attendais à ce que la partie ouzbek du livre soit plus longue. Or, la majeure
partie du livre se déroule en France, sans que cela nuise à l’intrigue, mais je
me voyais crapahuter plus longuement aux côtés des personnages dans des
paysages et des régions complexes et mal connues, sur les rives de cette
fascinante mer d’Aral.
Mais, je le redis, la partie ouzbek, bien qu’un peu courte à
mon goût, nous offre une remarquable description de cette région du monde et
des monstruosités qui s’y déroulaient encore en 1994, date à laquelle se
déroule le roman, monstruosités dont on ne peut jurer qu’elles aient cessé
depuis…
Au final, j’ai dévoré ces « larmes d’Aral », avec,
à chaque page, l’envie de comprendre jusqu’où Jérôme Delafosse voulait nous
emmener, tant sur le plan géographique que romanesque. L’intrigue, tant par son
côté politique fiction que scientifique, m’a passionné. L’alchimie du duo
Sinead/Zeck, certes de façon assez classique, prend bien après des débuts
compliqués. Et la fin abrupte, violente, inattendue, ne m’a pas laissé sur ma
faim.
Les amateurs de thrillers complexes et violents devraient
trouver leur compte dans cette lecture qui installe vraiment Jérôme Delafosse
parmi les auteurs à surveiller à l’avenir.
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