mardi 10 juillet 2012

Les sanglots longs du violon de Gal Knobel.


J’ai déjà évoqué ici, je crois, mon intérêt pour les romans qui parlent de peinture (d’art pictural, hein, pas de peinture en bâtiment), mais j’apprécie aussi beaucoup, et ça se voit également sur ce blog, les romans dont l’intrigue évoque la musique. En voilà un, assez original, je crois, d’abord parce qu’il est signé par un musicien virtuose, ensuite parce qu’il traite de la relation à la musique d’un personnage central de notre Histoire : Adolf Hitler… « Le violon d’Hitler », publié en poche aux éditions Points Seuil, est signé par un auteur sur lequel nous allons revenir : le violoniste israélien de renommée internationale, Igal Shamir. Et soyez sûr que le violon d’Hitler n’a pas grand-chose à voir avec un violon d’Ingres, pour relier une nouvelle fois peinture et musique…


Couverture Le Violon d'Hitler


En cette fin d’année 1940, la France est sous le joug nazi. Les armées allemandes paradent sur les Champs-Elysées et le pillage systématique a commencé. Parmi les activités menées par ces militaires, celle qui consiste à fouiller les archives pour s’approprier les pièces les plus intéressantes. Gustav Schultz, violoniste émérite, fait partie de ceux qui ont en charge de retrouver ces documents, les trier et les envoyer, si nécessaire, en Allemagne.

Alors qu’il arrive à son bureau, à la Schola Cantorum, Schultz retrouve son ami Franz Becher, aide de camp du Feld-Marechal Keitel, un des plus hauts dignitaires du Reich, qui a une surprise pour lui : une invitation à venir jouer dans un château de la Nièvre le soir même pour un parterre trié sur le volet. Schultz, qui, avant d’entrer dans l’armée, se destinait à une carrière musicale, ne peut refuser de se produire en public, surtout celui-là, et les deux hommes prennent aussitôt une voiture pour se rendre dans la Nièvre.

Schultz a une motivation supplémentaire pour accepter cette invitation, il a une demande à faire à ses supérieurs pour pouvoir poursuivre des recherches qu’il a entamées non plus à Paris, mais à Venise. Car Schultz s’est découvert une passion pour un mystérieux musicien italien du XVIIème siècle, à propos duquel il semble avoir découvert des éléments inédits.

Mais, rien ne se passe comme Schultz l’a prévu : cette soirée dans ce château nivernais compte des invités de marque, dont un des leaders de l’extrême-droite américaine, mais surtout, ce qu’ignorait le musicien, Hitler en personne est présent, venu négocier un rapprochement possible avec les Etats-Unis…

A Schultz de jouer… La partie musicale se passe parfaitement, malgré la circulation permanente des secrétaires venant porter des messages au Führer. Mais, lorsque Schultz va profiter de la présence du maître du Reich pour lui exposer directement sa demande, il va déclencher une colère phénoménale chez Hitler, colère qui sera aussitôt fatale au musicien…

Mais pourquoi Hitler est-il ainsi entré dans une rage folle, alors qu’on ne lui parlait que d’un musicien oublié depuis trois siècles ? Quelle découverte Schultz a-t-il pu faire pour faire perdre son sang-froid au Führer ?

Un demi-siècle plus tard, Gal Knobel violoniste virtuose, donne un récital au consulat de France à Venise, à l’occasion du carnaval. Lors de la réception, Gal est salué par un évêque français qui semble en savoir beaucoup sur lui. En effet, Alphonse de Morillon connaît des éléments qui renvoient le violoniste à son passé, lorsqu’il travaillait pour les services secrets israéliens, spécialisé dans la traque des anciens nazis. Mais Knobel a laissé tout cela derrière lui 15 ans plus tôt pour se consacrer à la musique et ne s’est plus jamais retourné sur ce passé depuis.

Une fois le récital terminé, l’évêque revient à la charge. Il a manifestement quelque chose à soumettre au musicien. L’histoire d’un enfant de 10 ans, témoin d’une soirée bien étrange en 1940 dans un château de la Nièvre, soirée au cours de laquelle Hitler piqua une colère telle qu’elle coûta la vie à un violoniste, comme Gal. Et tout ça semble tourner autour de ce mystérieux Rossi, dont on sait peu de choses, mais dont Gal vient justement de jouer l’une des rares œuvres n’ayant pas été détruite ou bien perdue.

L’étrange histoire de l’évêque, à propos duquel Gal s’est renseigné auprès de ses anciens camarades et qui semble réglo, a piqué la curiosité du violoniste. Lui-même ne sait quasiment rien de la vie de ce Salomone Rossi, mais la réaction d’Hitler, telle qu’on lui a racontée, a de quoi intriguer un ancien agent secret, pourtant rangé des voitures de longue date.

Multipliant les déplacements en France et en Europe, Gal Knobel, avec le soutien inconditionnel de l’évêque Morillon et celui, plus réservé, des services israéliens, va essayer de retrouver des éléments biographiques plus détaillés concernant Rossi dans différentes archives, y compris celles du Vatican, afin de comprendre ce qui s’est passé 50 ans plus tôt, mais aussi 3 siècles plus tôt. Car les destins de Rossi et de Schultz semblent inextricablement liés, malgré le temps passé. Par son action, Knobel va peu à peu, lui aussi, mettre sa vie sur le même plan que ces deux hommes dont il ne sait pourtant presque rien.

Un choix qui ne va pas s’avérer de tout repos. Dès le début de ses recherches, on semble vouloir lui mettre des bâtons dans les roues. Puis, on s’attaque même directement à lui, physiquement mais aussi en vandalisant l’appartement parisien du violoniste. Selon Mgr de Morillon, cela montre bien que les idées du Reich ont encore leurs partisans, y compris au sein de l’Eglise, et que ces héritiers du nazisme sont particulièrement bien organisés… Une certitude, mais qui n’explique toujours pas pourquoi ces personnes redoutent tant d’éventuelles révélations touchant à Rossi… Et à son rôle dans l’histoire de la musique, rôle qu’on semble, depuis 3 siècles, s’être consciencieusement évertué à faire disparaître…

Et pourtant, en mettant peu à peu, mais partiellement, au jour la vie de Rossi, ami proche de Monteverdi, musicien adulé en son temps et considéré encore aujourd’hui comme « l’inventeur » de l’opéra, Knobel et Morillon vont réveiller d’anciens démons hélas toujours d’actualité…

Avec « le violon d’Hitler », Igal Shamir nous propose un roman d’espionnage sur fond de musique classique, dont les implications, peut-être pas assez clairement expliquées au final, sont passionnantes lorsqu’on connaît un peu l’histoire de la musique et qu’on aime écouter du classique, et plus particulièrement de l’opéra. En utilisant sa parfaite connaissance des sujets qui sous-tendent son roman, la musique et la traque des anciens nazis, Shamir ne nous laisse aucun répit et nous captive de la première à la dernière ligne.

Et si je dis que ce sont des sujets que connaît parfaitement l’auteur, c’est parce que son personnage principal et lui ont beaucoup de points communs… Comme Gal Knobel, Igal Shamir n’a pas toujours été un virtuose connu et reconnu, mais il a aussi connu l’uniforme, comme pilote dans l’armée de l’air israélienne. Voilà pour la biographie officielle de l’auteur. Mais, difficile après cette lecture, de ne pas penser que l’activité militaire d’Igal Shamir n’a pas été un peu au-delà de cette simple carrière d’aviateur, tant la ressemblance entre Shamir et Knobel semble forte…

On le sait, la question de l’art a tenu une place importante dans la propagande nazie, art idéologiquement correct et base d’une civilisation « pure » contre art dégénéré. Et c’est là-dessus que joue Shamir dans « le violon d’Hitler ». En apportant des éléments qui pourraient remettre en cause tout un pan de l’idéologie nazie en abattant son « pilier artistique », il s’attaque au règne hitlérien sous un angle particulièrement original.

Mais, en contrepartie, Shamir nous met en garde sur les survivances de cette idéologie délétère de nos jours et sur son acharnement obsessionnel à s’attaquer à toute trace d’influence juive dans l’histoire de l’Europe occidentale. Pas besoin de vous faire un dessin pour vous rappeler que l’antisémitisme est toujours, hélas, bien présent dans nos sociétés actuelles. Mais pourquoi n’envisagerions-nous pas l’existence de réseaux directement issus du national-socialisme et possédant des contacts très hauts placés, au sein de l’Eglise catholique, organisation bien sûr mise en avant par Shamir dans le roman pour les besoins de son histoire, mais pas seulement.

On se rappelle aussi, avec ce roman, que la traque d’anciens nazis, soit exilés, soit revenus en Europe et même en Allemagne, sous de fausses identités, se poursuit sous la houlette du Centre Simon Wiesenthal, par exemple. Dans « le violon d’Hitler », Gal Knobel fait appel à cette structure pour retrouver la piste de deux témoins directs des évènements advenus dans la Nièvre en cette soirée terrible de 1940. Deux anciens soldats, dont le fameux Franz Becher, à l’origine de la venue de Schultz dans ce château, qui pourrait raconter plus en détails ce qui a abouti à la mort du violoniste… Et donc, permettre de mieux comprendre ce qui, dans les documents apportés par Schultz puis détruits par Hitler, a provoqué l’ire du Führer.

L’enquête qui permettra de remonter jusqu’à eux sera déterminante pour l’enquête de Gal ; elle sera aussi la raison qui poussera les services israéliens à mieux l’épauler dans sa quête. Mais, rechercher ainsi des hommes pour faire resurgir leur passé obscur n’est pas sans danger. Et Gal et ses amis vont s’en rendre rapidement compte, malgré les avancées de leur travail.

Et nous voilà, avec en main un roman passionnant, car transpirant à chaque ligne la passion pour la musique, mais aussi par la tension permanente qui l’habite, tant la recherche de la vérité, ou d’éléments partiels pouvant l’éclairer un peu, devient l’obsession de Gal. De rebondissement en rebondissement, le danger et la vérité poursuivent un parcours convergent dans une course contre la montre aux conséquences possiblement mortelles…

On a autant envie d’entendre le son du violon de Gal Knobel jouer les œuvres citées dans le roman, des psaumes du Roi David mis en musique, en passant pas Monteverdi et Rossi, bien sûr, mais également Ravel ou Bach, que d’en savoir plus sur Salomone Rossi, sa vie, son œuvre.

La dramaturgie du récit est très bien entretenue, même si c’est douloureux pour le lecteur (eh oui, que voulez-vous, on s’attache, on n’y peut rien…), et la fin, elliptique mais suffisamment explicite, permet de poursuivre la réflexion sur les sujets abordés dans le roman, la question de l’antisémitisme en tête.

Pessimiste, « le violon d’Hitler » ? Sans aucun doute, mais aussi, et peut-être avant tout, un hymne à la musique, seul langage véritablement universel et capable d’abolir les barrières entre les hommes, qu’elles soient culturelles, raciales, religieuses, et les préjugés les plus tenaces.


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