jeudi 26 juillet 2012

Six pieds sous terre…


Voilà un roman qui entre dans la catégorie des thrillers qu’on dévore d’une traite, de ces livres qu’on commence un soir, après le dîner, et qu’on ne lâche qu’une fois terminé, alors que la nuit est déjà bien avancé et que chaque bruit nous chatouille désagréablement le système nerveux… En 5 romans, Joseph Finder est devenu un romancier qui compte. Ses premiers thrillers, qui se déroulaient dans le monde impitoyable de l’entreprise ont tout pour devenir des classiques du genre, par leur efficacité imparable. Mais Finder s’est diversifié sans complètement quitter le domaine économique qu’il semble parfaitement connaître, en créant son personnage récurrent, Nick Heller, dont voici la nouvelle enquête, « Secrets enfouis », paru dernièrement en grand format, chez Albin Michel.


Couverture Secrets enfouis


Nick Heller fut membre dans sa jeunesse des forces spéciales de l’armée américaine. Un spécialiste des missions aussi secrètes que tordues. Puis, suite à un désaccord avec ses supérieurs, il a démissionné pour entrer dans le privé. Son expérience lui permit d’intégrer un cabinet de consulting un peu particulier, car spécialisé dans les affaires « délicates » impliquant des chefs d’entreprise, des politiques, des hommes en vue, bref, des puissants qui ont, ou pas, franchi la ligne jaune.

Là encore, Heller a excellé dans les opérations les moins honorables, comme dans celles qui permirent de blanchir des innocents accusés à tort (si, si, il y en a eu aussi !). Mais, dans tous les cas, Heller avait recours à des méthodes à la pointe du progrès et aux frontières de l’illégalité (frontières parfois franchies parce que la fin justifie toujours les moyens, dans notre doux monde…)

Lorsque s’ouvre « Secrets enfouis », nous découvrons Heller dans son nouvel univers : fini le travail d’employé, fût-il au service d’une boîte très influente, il a décidé de devenir son propre patron. Il a donc une nouvelle fois donné sa démission, emporté son épais carnet d’adresses et son large réseau de contacts, quitté Washington pour Boston et monté son propre cabinet (officiellement, Heller est actuaire, ne me demandez pas ce que c’est, je n’en sais rien, lui-même aurait bien du mal à expliquer ce qui se cache sous cette respectable profession !), avec le soutien de Dorothy, une de ses anciennes collègues, informaticienne terriblement douée, à qui aucun système ne semble résister…

Ah oui, dernier élément indispensable pour mieux comprendre la personnalité de Nick Heller : il est le fils d’un magnat de la finance qui purge une peine de prison de 28 ans pour diverses malversations et escroqueries de grande ampleur. Un « petit Madoff » envers qui Heller nourrit une rancœur inextinguible, tout comme envers son frère, qui lui aussi a mal tourné et a rejoint le paternel derrière les barreaux, laissant à la dérive un ado bien mal dans sa peau, Gabe, que Nick a pris sous son aile afin de l’empêcher de prendre à son tour les mauvaises décisions.

Voilà planté le décor général, pour celles et ceux qui n’auraient pas encore eu affaire au personnage de Nick Heller. Ce même Heller que contacte un autre gros bonnet de la finance, Marcus Marshall, l’une des plus grosses fortunes de Boston et de toute la Nouvelle-Angleterre. L’homme a beau être solide, être un personnage peu impressionnable, roublard et rompu aux méthodes pas très catholiques du monde des affaires, il est secoué. Et il y a de quoi l’être… Sa fille unique Alexa, 17 ans, n’est pas rentrée au bercail après être sortie la veille avec une de ses amies. Marshall, et sa dernière épouse en date, la sculpturale Belinda (qui, je l’imagine, a les yeux bleus et le front blond, comme il se doit), sont persuadés que la demoiselle a été enlevée, sans doute par des gens n’ignorant rien de son ascendance et donc, forcément, très mal intentionnés.

Nick, qui connaît bien Marshall, qui fut un des meilleurs amis de son père, à l’époque glorieuse de Heller Senior, remarque aussitôt que la propriété du milliardaire a subi quelques changements notables depuis sa dernière visite : en professionnel de la question, il a remarqué la multiplication de systèmes de sécurité qui, jusque-là, avaient été jugés superflus par le magnat. A l’évidence, Marshall redoutait qu’il arrive quelque chose à sa famille. Etrange…

Nous, lecteurs, savons bien qu’il a de quoi s’inquiéter, puisque nous avons effectivement assisté à l’enlèvement, dans une boîte branchée de Boston… Mais Marshall, malgré son anxiété légitime, semble peu désireux de mettre la police dans le coup. Et quand Heller fait jouer ses contacts au FBI, compétent lorsqu’une affaire d’enlèvement se présente, il est évident que les autorités n’ont-elles-mêmes guère envie de se pencher sur ce dossier. Car, Marshall est plutôt dans le collimateur de la justice que considéré comme une victime potentielle…

Voilà pourquoi Heller entame seul, avec ses moyens certes conséquents, mais pas aussi larges que le Bureau, qui pourrait avoir légalement accès à des tas de renseignements bien utiles, auxquels un particulier ou une société comme celle de Nick ne verront jamais le début du commencement…

Mais, bientôt, le kidnapping ne fait plus de doute, lorsque Marshall est contacté par mail par les ravisseurs de sa fille. Un bref message, mais surtout un lien… Après toutes les précautions d’usage, Dorothy s’assurant que ce lien n’est pas un piège, ils vont ouvrir un lien qui les envoie directement sur un site communautaire de partage de vidéos. Et là, une fois les codes adéquats entrés, Marshall, Belinda, Heller et Dorothy se retrouvent face à un spectacle effrayant : Alexa, enfermée dans un espace très réduit, sans lumière, dans lequel elle ne peut pas bouger, appelant au secours…

L’adolescente, comme ses ravisseurs, peuvent s’adresser à Marshall, alors que lui est impuissant devant cette image de très mauvaise qualité, mais où la terreur qui émane d’Alexa ne fait aucun doute. Mais, celle-ci, conformément aux ordres reçus de son kidnappeur, parvient à conserver un semblant de sang-froid pour adresser un message à son père : elle aura la vie sauve à condition qu’il remette à ceux qui la détiennent, non pas une forte somme d’argent, comme on aurait pu s’y attendre, mais en échange de… « Mercury »… Un mot qui ne dit rien à Heller, mais qui semble éveiller quelques souvenirs chez Marshall, bien qu’il s’en défende…

Dernier élément important, Alexa, fine mouche malgré la panique qui l’étreint, a réussi à faire passer un message à ceux qui ont reçu son message, s’écartant un poil des ordres reçus. Un indice infime mais capital. Un indice qui indique où elle se trouve. Un indice qui va faire froid dans le dos à Dorothy, qui va l’identifier, et à Heller quand elle va lui expliquer : si on en croit ce qu’a pu dire Alexa, elle serait enfermée dans un cercueil, enterré sous plusieurs mètres de terre…

Rien de plus, la pauvre ne pouvant savoir précisément où se trouve la tombe dans laquelle elle git… Forcément… Un élément d’autant plus horrible que Alexa, déjà victime quelques années plus tôt, d’une tentative d’enlèvement, souffre depuis toujours de claustrophobie…

A partir de ces petits éléments, trop imprécis pour être décisifs, mais suffisants pour savoir qu’une vraie course contre la montre vient de s’engager, Heller va lancer sa propre enquête, en marge des autorités, afin de remonter les quelques pistes disponibles, d’interpréter les quelques traces laissées par l’adolescente le soir de sa disparition, ainsi que celles de l’homme avec lequel on la voit quitter la boîte, sur les caméras de surveillance.

Ce que Heller ignore encore, c’est qu’il va se frotter à des adversaires plus que redoutables, terriblement puissants, qui ont confié le kidnapping d’Alexa à un personnage de la pire espèce, qui nourrit un projet bien particulier concernant sa prisonnière, projet indépendant de sa mission initiale, et qu’il entend bien mettre en action, quoi qu’il arrive…

Ce que Heller va bientôt découvrir, c’est que même du côté de ceux qui devraient se battre pour retrouver coûte que coûte Alexa, on renâcle, comme si la vie de la demoiselle ne pesait pas bien lourd en comparaison du mystérieux « Mercury »…

Loin de toutes ces considérations, Heller va braver tous les dangers, débusquer le commanditaire de l’enlèvement, poursuivre le kidnappeur sans répit jusqu’à le trouver lui aussi, on s’en doute, non par intérêt, par soif de justice ou parce que c’est son job. Non, Heller a une motivation bien plus puissante qui le pousse à retrouver Alexa Marshall et à la ramener saine et sauve à son père : il s’est promis, lorsque la gamine avait disparu quelques années plus tôt, de veiller sur elle. Et Heller  est le seul homme de sa famille pour qui tenir ses promesses a de la valeur.

Je le disais en introduction, je n’ai pas pu lâcher « Secrets enfouis » après l’avoir entamé. Les chapitres courts se succèdent à un rythme soutenu, les révélations et les rebondissements s’enchaînent, le puzzle se met habilement en place au rythme des découvertes parcellaires que Nick et Dorothy (soutenus par Diana, ex de Nick, mais surtout agent du FBI, récemment mutée à Boston et qui sera le seul véritable soutien « institutionnel » de Heller dans son enquête) vont faire.

Et, bien vite, on comprend que le mobile du kidnapping, s’il peut être qualifié de crapuleux, n’est pas un acte de « petit joueur », cherchant à faire le coup du siècle. Non, derrière ce crime, se cache des intérêts terriblement puissants, tant sur le plan économique que politique et stratégique. Et, que ce soit du côté de Marshall ou du côté des kidnappeurs, les entités qui s’affrontent évoluent dans des sphères qui n’ont rien à voir avec la délinquance traditionnelle.

Sans trop entrer dans les détails de l’intrigue, pour ne pas vous en révéler trop, Finder met, à travers « Secrets enfouis », l’existence de ce que l’on pourrait presque considérer comme une nouvelle guerre froide. Aux puissances publiques, ont succédé des puissances privées, plus discrètes mais pas moins dangereuses pour tout le monde. A la course aux armements, a succédé la course au contrôle économique, nerf de cette guerre industrialo-politique moderne. Le pouvoir sera à celui qui détient les avoirs. Et pas n’importe quels avoirs, en l’occurrence.

Heller, lui, se bat avec ses moyens contre ces nouvelles superpuissances. Des moyens déjà considérables à l’échelle des petits contribuables que nous sommes tous, évidemment, mais où l’humain garde une place primordiale. Comme Heller le fait remarquer lorsqu’il examine les vidéos de la boîte où Alexa a été enlevée, son job n’est pas celui des « Experts », évoquant les célèbres séries télé où, à chaque épisode, la science et la technologie semble résoudre toutes les affaires de façon imparable.

Là, Heller utilise évidemment la technologie pour avancer dans son enquête, mais ce n’est pas la finalité de son action. Une fois la tâche des ordinateurs terminées, il reste encore beaucoup à faire pour Heller, qui retrouve soudain les réflexes du soldat d’élite qu’il fut dans une vie presque antérieure. De plus, c’est par la communication, en utilisant son remarquable réseau de contacts, de renvois d’ascenseur en tractations parfois fort coûteuses, que les étapes décisives de l’enquête seront franchies.

Et, une fois la « tombe » d’Alexa enfin localisée, ce sera à Heller en personne de finir le travail dans un dénouement hypertendu, un duel au cours duquel on finit par ne plus trop savoir qui est la proie et qui est le chasseur, un duel qui, comme à moi, devrait vous envoyer une bonne dose d’adrénaline…

Bien sûr, j’insiste beaucoup sur la forme, normal pour un thriller mené tambour battant et, donc, pour moi, terriblement efficace. Mais, le fond de ce que raconte Finder dans ce roman, comme dans ses livres précédents, ne doit pas être oublié. Sans préjuger ou prendre pour argent comptant ce que met en évidence « secrets enfouis », en termes de manœuvres aussi discrètes qu’inavouables, est assez sidérant.

Des secrets qui nous montrent qu’il n’y a pas qu’au royaume du Danemark qu’il y a quelque chose de pourri, mais que la corruption, tout habillée de bonnes intentions qu’elle soit, sévit partout, à tous les étages de nos sociétés modernes et civilisées (ce qui ne devrait pas être antinomique, n’est-ce pas ?).

Une fois encore, un auteur de thriller américain nous donne la preuve qu’un roman destiné avant tout à notre divertissement, peut aussi nous ouvrir de passionnantes pistes de réflexion sur le monde qui nous entoure. Oui, je radote, mais le genre thriller, pas toujours considéré à sa juste valeur, comme la grande majorité des genres de l’imaginaire, ces fameux « mauvais genres », mérite aussi qu’on le défende, car il gratte bien plus souvent là où ça fait mal que la prétendue Littérature (avec une majuscule), cette littérature mimétique (sans majuscule) parée de toutes les vertus, de sérieux et de légitimité, mais qui fait bien trop souvent dans une superficialité et un politiquement correct pas toujours très intéressants…

A bon entendeur, salut !


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