Oui, vous avez raison, je crois que je serais très, très
mauvais pour concevoir des slogans pour Offices du Tourisme en mal de
publicité… D’un autre côté, je ne suis pas certain que Santa Mondega, ville qui
sert de décor à notre roman du jour, en possède un… Un immense musée, une
incroyable bibliothèque municipale, son lot de bistrots tous plus mal famés les
uns que les autres et quelques autres remarquables curiosités, mais un office
du tourisme, je ne pense pas… Bienvenue dans une ville de dingues et de fous
furieux, où les cadavres s’empilent en moins de temps qu’il n’en faut pour
l’écrire et où le bizarre le dispute à l’étrange. Vrai phénomène né sur
internet, « Le Livre sans Nom » (disponible au Livre de Poche) est un
roman composite complètement déjanté, avec une galerie de personnages dignes
des meilleurs westerns spaghettis et des pires films d’horreur…
Santa Mondega, ville anonyme et perdue quelque part en
Amérique latine, vit dans un calme relatif lorsqu’y débarquent les uns après
les autres des personnages bizarres, pas forcément les bienvenus. Les deux
premiers à pousser la porte du « Tapioca Bar», l’établissement le
plus fréquenté et pourtant le moins fréquentable de la ville, sont deux garçons
d’une gentillesse et d’une naïveté à toute épreuve…
Kyle et son novice, Peto, sont moines. Ils arrivent tout
droit d’Hubral, une minuscule île de Pacifique, sur laquelle ils ont grandi et
qu’ils n’avaient jamais quittée jusque-là. D’où leur vision du monde très…
théorique et surtout idéalisée… Or, s’il y a bien un endroit dans le monde où
penser que tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, est une
grave erreur, c’est bien Santa Mondega, et plus encore, « le Tapioca
Bar ».
Mais, les deux moines ont des atouts cachés. Outre une
morale à toute épreuve et une bonne éducation sans faille, Kyle et Peto ont
reçu une solide formation aux arts martiaux, ce que vont vite découvrir
Sanchez, le tenancier du « Tapioca Bar » et certains de ses clients
peu recommandables et un peu trop sûrs d’eux…
Ce n’est pas la seule raison pour laquelle les deux
moines d’Hubral vont faire sensation. En effet, s’ils sont venus dans ce trou
perdu (de perdition, devrais-je plutôt écrire), c’est pour remplir une mission
que le père Taos, le chef de leur ordre, leur a confiée… Une mission qu’ils
escomptent bien remplir, et facilement, en demandant, avec une candeur toute
adolescente, où ils pourraient trouver « le Bourbon Kid ». Une
demande apparemment anodine, qui va pourtant frapper de stupeur tous ceux
présents pour l’entendre…
Il faut dire que, 5 ans plus tôt, ce fameux
« Bourbon Kid » était venu boire un verre au « Tapioca
Bar » avant de massacrer impitoyablement tous les clients présents, ne
laissant en vie que le barman, Sanchez, encore tout surpris de ne pas avoir
fait partie de la longue liste des victimes de cette funeste nuit.
Car le « Bourbon Kid » a ensuite sévi toute la
nuit, laissant derrière lui un monceau de cadavres puis disparaissant sans
laisser de traces, au point que la rumeur dit qu’il est mort… Qu’il le soit
vraiment ou pas, cela ne change pas la frayeur que suscite la simple évocation
de son mystérieux surnom à Santa Mondega.
Mais revenons à aujourd’hui. Kyle et Peto ne cherchent
pas seulement le « Bourbon Kid ». Non, ils demandent aussi après un
certain Jefe, dont le nom, cette fois, ne va déclencher aucune réaction parmi
les clients du bar. Ils auraient peut-être dû, car, quelques minutes plus tard,
alors que les moines ont quitté les lieux, le dénommé Jefe entre à son tour au
« Tapioca Bar ». Lui voudrait qu’on lui indique où trouver un certain
el Santino, à qui il a quelque chose à remettre en main propre.
A son tour, Jefe va avoir droit au comité d’accueil
maison, tout en délicatesse et sympathie, croyez-moi, mais, après quelques
instants difficiles, Jefe va devenir copain comme cochon avec un certain
Marcus, surnommé la Fouine, qui, après avoir copieusement saoulé Jefe, va,
comme il se doit, le dépouiller de tous ses biens. Un portefeuille plutôt bien
rempli et surtout un bijou magnifique, une pierre bleue qui doit donc valoir
une fortune.
Mais, la Fouine n’est pas le plus malin, à son tour, il
va se faire voler son nouveau pactole par le réceptionniste de l’hôtel, un
freluquet nommé Dante, et sa copine, une charmante femme de chambre répondant
au joli prénom de Kacy. Ces deux-là ont des rêves de grandeur, que l’argent et
le bijou devraient aider à assouvir. Un joli petit couple, si on excepte leur
fâcheuse tendance à voler ou escroquer leur prochain, qui ne se doute pas
qu’ils ont choisi, pour exercer leurs talents, une nasse où grouille une
multitude de personnes bien plus méchantes et dangereuses qu’eux…
Pendant que ces recherches et ces vols se déroulent,
arrive à Santa Mondega un flic pas comme les autres. Si Miles Jensen n’était
pas noir de peau, il ressemblerait sans doute beaucoup à l’agent Mulder, le
personnage de la série X-Files. Lui aussi est mandaté par le gouvernement
américain pour enquêter sur des phénomènes inexpliqués (ou inexplicables).
Même si la raison de sa venue dans la ville est tellement
secrète qu’il ne peut la confier à personne, il doit bien se présenter pour ce
qu’il est, un flic traquant le paranormal, ce qui, hors d’une série télévisée
de science-fiction, lui vaut surtout d’être raillé et de perdre toute
crédibilité à peine s’est-il présenté.
A Santa Mondega, ça ne loupe pas, le chef de la police
l’accueille comme un chien dans un jeu de quille, préoccupé par bien d’autres
choses qu’une mission secrète et extraordinaire, alors que sa ville atteint des
chiffres de criminalité vus nulle part ailleurs. Alors, on lui adjoint un
certain Somers, un vieux de la vieille de la police de Santa Mondega.
Le flic idéal pour accompagner Jensen, et vice-versa, car
Somers est considéré dans toute la ville comme un vieux fou excentrique, obsédé
par le « Bourbon Kid » depuis 5 ans, au point de voir sa signature
derrière chaque acte violent perpétré en ville… Une obsession qui lui a valu
d’être mis à la retraite d’office 3 ans plus tôt, avant que la mairie demande
sa réintégration devant l’incapacité du reste des forces de police à retrouver
l’auteur du massacre.
Les voilà qui vont se lancer dans une drôle d’enquête,
avec leurs drôles de méthodes et leurs drôles de personnalités très
différentes, alors que Santa Mondega est de nouveau le cadre d’une série de
meurtres particulièrement sanglants… Et il faut faire vite, car la Fête de la
Lune, le sommet de la vie sociale et culturelle de Santa Mondega, approche…
Une journée qui a lieu à chaque fois que se produit une
éclipse au-dessus de la ville. Et, allez savoir pourquoi, cela arrive à Santa
Mondega bien plus souvent que partout ailleurs dans le monde. En fait, ce
phénomène se produit… tous les 5 ans. Et, c’est justement lors de la précédente
édition que le « Bourbon Kid » a fait des siennes, de façon
particulièrement sanglante. De là à penser qu’il pourrait revenir et
recommencer…
A moins que les flics ne puissent bénéficier d’une aide
providentielle… ou presque. Il y a 5 ans, le « Bourbon Kid » a laissé
derrière lui une survivante. Un vrai miracle, tant la jeune femme a été truffée
de plomb. Abominablement amochée, elle a plongé dans un profond coma, mais a
survécu. Or, la jeune femme vient justement de se réveiller après 5 années de
soins prodigués par le frère et la belle-sœur de Sanchez, le barman.
Pour que le tueur se soit à ce point acharné sur la jeune
femme, c’est sans doute qu’il avait de bonnes raisons à cela. La survivante
serait donc une cible privilégiée et elle pourrait, en expliquant pourquoi le
« Bourbon Kid » lui en voulait autant, donner une piste solide pour
retrouver sa trace… Sauf qu’à son réveil, la jeune femme ne se souvient plus de
rien, pas même de son identité…
Ajoutez à tout cela que la pierre bleue, évoquée plus
haut, connue sous le nom de « l’œil de la Lune », est, apparemment,
très recherché, et pas seulement par El Santino, sorte de parrain local du
crime organisé, pour qui bosse Jefe. Non, on se dispute la possession de ce
bijou, dont pouvoirs ont de quoi attiser les plus sombres convoitises…
N’oublions pas une voyante pas forcément clairvoyante
mais souvent bien informée, connue sous le sobriquet de « Dame
Mystique », un duo d’hommes de main à la réputation aussi trouble qu’ils
sont féroces travaillant pour El Santino, un tueur à gages parfait sosie
d’Elvis Presley et qui mérite sa réputation de King dans son métier, un
chasseur de primes taillé en hercule et looké comme un Hell’s Angel et qui
chasse des proies pas ordinaires…
Et, bien sûr, un livre sans titre ni auteur, dont le
mystérieux contenu semble porter irrémédiablement malheur à ceux qui en
prennent connaissance…
Vous avez tous les ingrédients, mettez-les dans le mixeur
avec une bonne dose d’hémoglobine et du plomb comme s’il en pleuvait et le
spectacle peut commencer ! Le mélange s’annonce détonnant et épicé, avec
une touche d’humour noir et corsé tout à fait réjouissant. La narration, elle,
ressemble véritablement à une mise en scène de cinéma, mêlant les influences de
réalisateurs comme Sergio Leone, Tony Scott, John Carpenter, Robert Rodriguez
et bien sûr, celui qu’on soupçonne d’être l’anonyme auteur du « Livre sans
Nom », Quentin Tarantino.
Il faut reconnaître que cette supposition est tout à fait
fondée, tant les (nombreuses) scènes de crimes ou de fusillade rappellent le
style du réalisateur de « Reservoir Dogs » ou « Kill
Bill », tout comme la fantaisie avec laquelle l’auteur a façonné ses
personnages, créé des situations délirantes et comiques, introduit une
dimension fantastique et horrifique (à propose de laquelle je ne dirai rien
ici) ou encore joué sur les références cinématographiques.
Mais, le sale gamin (ou les sales gamins, d’ailleurs,
pourquoi ne pas imaginer un roman écrits à plusieurs ?) qui a écrit
« le Livre sans Nom » se moque aussi gentiment (simple autodérision
ou pied-de-nez au modèle ?) du style Tarantino. Je pense, en particulier,
à une scène se déroulant le fameux jour de la Fête de la Lune, sorte de
première partie du dénouement, où tous les personnages présents braquent leurs
armes sur les autres, façon « Pulp Fiction » ou « True
Romance »… sauf qu’ils portent tous des déguisements de super-héros ou de
personnages issus de la culture populaire, comme le veut la tradition festive
de Santa Mondega… A hurler de rire !
En mêlant les genres et les situations, en multipliant
les personnages plus bizarroïdes les uns que les autres (à part le couple
Dante/Kacey, perdu au milieu de cette faune hétéroclite et bigarrée…), en
entrelaçant des histoires a priori sans lien, si ce n’est la présence presque
légendaire du « Bourbon Kid » (réapparaîtra, réapparaîtra
pas… ?), en rendant comique les aspects les plus dramatiques du récit, le
petit coquin qui signe le roman brouille les pistes avec une grande jubilation,
mais accroche aussi son lecteur, qui se délecte de ce savoureux cocktail et
dévore les pages pour connaître le fin mot de cette histoire à coucher dehors.
Bien sûr, il faut apprécier toutes ces outrances, ces
délires, cette débauche de violence rendue spectaculaire à souhait, ces clins
d’œil au septième art (« El Mariachi », « Mon nom est
Personne », « Seven », « le Sixième Sens »,
« Usual Suspect », « The Ring », « Terminator »,
« Karaté Kid », j’en passe et des aussi bons, dont certains que je ne
cite pas, car ils donneraient trop d’indications sur l’histoire elle-même), le
côté décousu de ce qu’on doit qualifier de thriller, même si ce n’en est pas
vraiment un, comme ce n’est pas vraiment non plus un pur roman fantastique ou
d’horreur… Il faut accepter de rentrer dans ce délire façon « popcorn
movie », à la dimension parodique évidente, et qui, au final, nous offre
un dénouement aussi inattendu que fou.
On est plus proche de la série Z, mais c’est un choix
volontairement assumé dès les premières lignes. On sait d’emblée qu’on n’a pas
entre les mains un bouquin de Thomas Harris, Robert Ludlum, Tom Clancy ou
quelques autres pointures du thriller made in USA. Non, on est dans quelque
chose de complètement original, baigné dans une folie complète, ce qui
n’empêche pas un vrai suspense et une véritable enquête pleine de
rebondissements.
Je sais que j’ai souvent prêché la réflexion en parallèle
de la lecture, par réaction à certains commentaires que je lis ici ou là,
laissant entendre qu’on a pas besoin d’approfondir ses lectures, que lorsqu’on
lit pour se détendre, ce n’est pas pour se prendre la tête avec les références,
les thématiques, les influences etc., etc.
Eh bien, voilà, pour une fois, je vais vous dire le
contraire : « le Livre sans Nom » est un concentré de
divertissement qu’il faut prendre comme tel. Evidemment, le jeu des références
est toujours valable, je crois que je viens d’en parler quelques paragraphes
au-dessus. Mais je ne crois pas qu’on doive chercher une quelconque lecture
entre les lignes à ce livre.
Non, c’est une bouffonnerie potache, une espèce de
vaudeville sans mari, femme, ni amant, mais avec des voleurs et des assassins
qui se coursent les uns les autres pour mettre la main en premier sur des
objets très convoités. Et, si cela a lieu précisément à Santa Mondega, c’est
tout sauf un hasard…
Eh bien oui, je vous l’ai dit tout de suite, cette ville,
ce trou paumé qui n’apparaît même pas sur les cartes, c’est la capitale
mondiale des créatures du mal ! A se demander si ce titre, pas franchement
honorifique, est dû à un microclimat spécial ou si, au contraire, c’est cette
réputation, pas du tout surfaite, qui vaut à Santa Mondega d’accueillir un tel
aréopage de voleurs, assassins, escrocs, tueurs à gages, chasseurs de primes,
brutes, truands… et assez peu de bons.
Mais c’est justement cette faune digne de Gotham City qui
rend cette histoire si passionnante, d’autant que « le Bourbon Kid »
n’a pas grand-chose en commun avec Batman et que, si ménage il doit à nouveau
faire à Santa Mondega, ce ne sera ni par philanthropie, ni pour faire triompher
le bien… Ses motivations sont certainement bien plus prosaïques…
J’avais beaucoup entendu parler du « Livre sans
Nom » à sa sortie, mais je me suis méfié. De cet anonymat, de ce succès
fulgurant qui sentait un peu trop le coup d’édition, de ces commentaires
enthousiastes qui faussent le jugement. Bref, de ce côté « culte »
qu’on s’est empressé de donner à ce roman, et même à la série des romans
narrant les aventures du « Bourbon Kid ».
Je dois reconnaître que j’ai eu tort de reculer (le livre
était déjà dans mes bagages à l’été 2012, mais je ne l’avais pas lu à ce
moment-là) parce que je me suis amusé comme un petit fou. Et j’ai maintenant
bien envie de m’attaquer aux volumes suivants, à la fois pour retrouver cette
ambiance particulière, voir comment cet univers livresque va évoluer, mais
aussi profiter encore de cet humour décapant et de nouvelles situations qui
sauront me faire frémir autant qu’elles me feront rire.
Enfin, j’espère !
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