mercredi 17 juillet 2013

Un riche plat de Résistance…

Si je vous dis « casse du siècle », vous me répondrez l’attaque du train Glasgow-Londres ou vous évoquerez Albert Spaggiari dans les égouts de Nice… Et pourtant, le casse dont nous allons parler aurait de quoi éclipser ces faits divers mémorables. Voici un livre qui mêle roman historique et roman du terroir, une appellation que je n’assortis pas d’une dimension péjorative, comme c’est parfois le cas. Un roman avec un sujet comme je les aime : le récit d’un de ces événements de la petite Histoire inscrit au cœur de la grande et qui, un jour, revient sur le devant de l’actualité, grâce à un historien ou un romancier. Avec, en plus, un titre suffisamment original pour attirer l’attention et un sous-titre lui aussi assez alléchant. Direction le Périgord, été 1944, avec un roman signé Hervé Brunaux, « De l’or et des sardines », sous-titré « le roman vrai du plus grand casse de tous les temps », publié en grand format aux éditions du Rouergue…




Voilà près de deux mois que les Alliés ont débarqué en Normandie et, si leur avancée est encore limitée, le vent semble enfin tourner après 4 années d’occupation. Qui dit vent qui tourne, dit aussi volonté d’un certain nombre de personnes de se placer du bon côté du manche, afin de redorer leur blason lorsqu’il faudra solder les comptes de cette sombre période…

C’est le cas du nouveau préfet de la Dordogne, Jean Callard, tout juste nommé à Périgueux pour remplacer l’ancien préfet, désormais en fuite… Callard arrive de Bergerac, où il était sous-préfet et il sait parfaitement que ses états de service dans ses anciennes fonctions, risquent de lui être préjudiciables : à Bergerac, il a en effet mené la vie très dure aux réseaux de résistance locaux.

Alors, dans l’optique d’un prochain départ de l’occupant nazie et de la mise en place d’un nouveau régime et d’une nouvelle administration, le préfet Callard est à la recherche de contacts avec les résistants qu’il y a peu encore, il traquait, afin de montrer toute sa bonne volonté. Mais, il est aussi en train de se creuser les méninges pour trouver LE coup d’éclat qui lui permettra de devenir un symbole de la lutte contre les nazis…

L’idée va se présenter sous la forme d’un gigantesque transfert de fonds entre deux succursales de la Banque de France, celles de Périgueux et de Bordeaux. A Périgueux, est en effet conservé dans les caves, un impressionnant stock de billets. Or, en cette fin juillet 1944, un wagon spécial, rattaché à un train régulier, doit transporter plus de 2 milliards de francs en billet (soit 400 millions de nos euros) jusqu’à Bordeaux…

L’information est d’autant plus fiable qu’elle émane du directeur de la Banque de France à Périgueux en personne et du Trésorier Payeur Général. A croire que le préfet n’est pas le seul à vouloir montrer leur soudain engagement du côté de la France Libre… En tout cas, informer la Résistance du passage de ce train pour qu’il soit intercepté et l’argent dérobé serait un énorme coup à mettre dans la colonne « crédits » au moment venu…

Callard, par différents moyens, va donc informer les réseaux locaux afin qu’ils organisent ce casse d’une ampleur inédite, capable de marquer les esprits durablement. Mais voilà, il y a plusieurs hics : les Allemands sont sur les dents, certains régiments sont nerveux, les représailles sont meurtrières, la traque aux résistants est sans pitié et, ici ou là, la sinistre politique de la terre brûlée a été mise en place (on est à l’époque du massacre d’Oradour-sur-Glane, pas très loin du Périgord)…

Ensuite, la résistance est divisée, plus d’un an après la mort de Jean Moulin qui devait l’unifier… Certes, le Mouvement de Libération Nationale est chargé de chapeauter les réseaux qui se multiplient à travers la France, mais c’est loin d’être facile. Avec le débarquement, ils se sont multipliés, peinent à s’organiser et surtout, s’opposent quelquefois pour des raisons idéologiques (la cohabitation entre Gaullistes et Communistes est loin d’être facile ; on peut même parler de rivalités).

Enfin, dernier point, et non des moindres : il va falloir agir vite. Entre le moment où l’information est arrivée et le passage du wagon rempli de billets, il y aura moins de 24 heures, un très court laps de temps pour organiser ce casse pas comme les autres… On sait aussi que, pour une fois, les différents réseaux devront travailler ensemble, car un seul ne pourra pas gérer l’opération de A jusqu’à Z.

En effet, c’est la gare de Neuvic qui a été choisi pour cette attaque de train digne des frères James et de l’âge d’or du Far West. Il faudra donc contrôler parfaitement la gare elle-même, ses alentours mais aussi toutes les routes qui y mènent. Et puis, il faudra des bras, parce que 2 milliards de francs en billets, c’est une sacré somme, mais aussi un sacré poids !

Parmi les réseaux qui vont travailler sur ce projet dément, d’une incroyable dangerosité, la compagnie Valmy. En son sein, deux personnages qui seront les fils conducteurs du roman : Joseph Valade, dit Jo, et Marcel, dit Marsou. Deux hommes très différents et qui vont se lier au sein de cette résistance qu’ils ont rejoint sur le tard. Pas pour les mêmes raisons…

Joseph est instituteur, dans le civil. Il a participé à la « drôle de guerre » dans les Vosges, mais sans combattre. Ensuite, durant les années noires, il n’a jamais montré un quelconque penchant politique, il a toujours été d’une rare discrétion, surtout pour ne pas effrayer sa mère, qui se souvient que sa famille a durement été éprouvée par les deux précédents conflits franco-allemands, en 1870 puis en 1914.

Mais, avec l’annonce du débarquement, Joseph, poussé par son père qui a gardé, depuis les tranchées, un ressentiment farouche pour les Allemands, se pose des questions. Et s’il était un lâche ? Depuis sa démobilisation, il n’a certes pas collaboré, mais il n’a pas non plus fait grand-chose pour montrer sa désapprobation devant l’occupant.

Alors, en cet été 44, Jo a franchi le Rubicon et a rejoint un réseau de résistance, profitant des grandes vacances pour que son engagement passe relativement inaperçu. Mais cela lui coûte : il laisse derrière lui ses parents, dont une mère à la santé fragile, et surtout son épouse, Jeannette, qui garde leur bébé et qui, mais Jo l’ignore, vient de tomber de nouveau enceinte… Pas facile de laisser derrière soi cette cellule familiale unie et de susciter inquiétude et doute…

Le cas de Marsou est bien différent. S’il s’engage en 44, c’est d’abord parce qu’il lui était difficile de le faire plus tôt : Marsou n’est encore qu’un adolescent. Son parcours est particulier : il est natif de Strasbourg. Mais, lorsque l’Allemagne a de nouveau annexé l’Alsace, les habitants ont eu le choix : quitter la région et s’installer dans certaines régions de France, dont le Périgord, ou demeurer chez eux, en devenant Allemand.

Dans sa famille, on a coupé la poire en deux : les parents sont restés en Alsace, Marsou a été envoyé dans une famille d’accueil dans le Périgord. Là, il ne s’est guère intéressé à la situation politique et a plutôt vécu comme un garçon de son âge, traînant avec quelques jeunes pas forcément recommandables, au risque de tomber dans une délinquance de droit commun.

Mais, un événement a changé sa vision des choses, l’a fait mûrir d’un coup et prendre conscience de la situation… En vivant dans sa famille d’accueil, celui qu’on n’appelait pas encore Marsou avait fait la connaissance d’un couple de voisins. Or, un matin, ce couple a été arrêté et déporté. Marsou ne savait pas qu’ils étaient juifs, il ne savait d’ailleurs même pas ce que cela signifiait vraiment…

Choqué, mort d’inquiétude pour ses amis, il a réalisé alors que le calme relatif de la région n’était qu’un leurre et que l’occupant était bien là et qu’il était dangereux. Voilà pourquoi il s’est joint lui aussi à la Résistance, dans laquelle il commence à devenir assez actif.

Dernier personnage à vous présenter : Marianne. Issue de la bourgeoisie locale, étudiante en lettres à Bordeaux, elle est revenue dans sa ville natale pour l’été, histoire de gagner un peu d’argent de poche en travaillant dans un magasin de vêtements plutôt chics. Dans sa famille, on s’occupe de résister depuis des années, déjà. Son père, son frère…

C’est en rencontrant Marsou, complètement par hasard, alors qu’elle fait bronzette au bord d’un étang, que la jeune femme va elle aussi se lancer dans la grande aventure. Discrètement, mais efficacement, et, dans l’élaboration du casse, son rôle de liaison avec le préfet Callard sera décisif. Quant à son histoire avec Marsou, on ne peut pas parler d’un véritable coup de foudre, pas de son côté à elle, en tout cas, mais le garçon ne la laisse pas indifférente, loin de là…

Voilà, le décor est planté, il ne reste plus qu’à agir. « De l’or et des sardines » retrace donc ces deux journées mouvementées, les 25 et 26 juillet 1944, au cours desquelles le sort de ces milliards de francs va se jouer. Peut-être cette partie concernant le casse lui-même, mais aussi l’acheminement délicat des sacs de billets jusqu’aux planques des résistants aurait-elle pu être un peu plus développée…

Mais, ne chipotons pas, on a pratiquement là un thriller historique mené sur un bon rythme, plein de rebondissements, avec une nette accélération à partir du lancement du casse et dans les heures qui vont suivre. Le style d’Hervé Brunaux est simple, des phrases courtes, parfois nominales, le plus souvent sujet-verbe-complément, sans fioriture. Un style quasiment militaire.

Il nous fait revivre la tension des différentes parties embarquées dans cette fameuse histoire, que ce soit sur un plan personnel, ou en rapport avec le casse. On a non seulement une opération très délicate, mais il faut ajouter ces orages qui ont éclaté peu après le casse du train. Une pluie battante qui ne va guère faciliter la tâche des voleurs, dont les camps se trouvent installés au cœur de forêts servies par des chemins de terre…

Bref, l’imprévu va s’inviter dans cette aventure, compliquant vraiment la tâche des uns et des autres et renforçant la tension dramatique de la seconde partie du roman. Le jeu en vaut sans doute la chandelle, même s’ils sont peu, parmi les acteurs, à savoir exactement ce qu’il font et surtout l’ampleur du projet… Mais, il va falloir une bonne dose d’huile de coude (et pas pour y mettre les sardines) et d’abnégation pour y parvenir…

Mais, le roman d’Hervé Brunaux ne s’arrête pas à la célébration de ce coup fumant par des résistants ravis mais épuisés, récompensés par de modestes boîtes de sardines, car il n’y a que ça à manger au point de regroupement… Hélas, si l’opération, malgré quelques anicroches, est un vrai succès, elle ne va évidemment pas laisser l’occupant nazi sans réaction.

La dernière partie du roman est consacrée aux représailles terribles lancées par les nazis, sous la houlette de Michel Hambrecht, un officier qui ne mégote pas sur les moyens quand il faut punir et qui ne semble pas avoir dans son vocabulaire le mot « finesse ». Le casse de Neuvic va lui servir à exploiter des informations concernant certains réseaux de résistance de la région.

Intervenant avec des troupes en grand nombre, il va frapper fort et sans pitié, lançant une opération d’envergure qui va décimer certains réseaux, mais ne permettra pas de remettre la main sur l’argent. A se demander si c’était un des objectifs suivi par Hambrecht… Non, une vengeance aveugle, sanglante, qui, chose importante à noter dans cette période, ne vise pas directement des civils, mais des combattants, sans doute bien moins aguerris que les troupes d’occupation.

On suit pas à pas les différents moments de cette journée terrible, au cours de laquelle il y a un contraste saisissant entre l’atmosphère pas loin d’être euphorique qui règne chez les auteurs du casse, et la panique générale provoquée par la souricière nazie sur d’autres branches de la résistance locale.

Là encore, c’est un passage digne d’un thriller, violent, dur, au cours duquel les différents personnages impliqués côté français sont lancés dans un tourbillon d’émotions contraires… Certains font face au danger, d’autres croisent les doigts en espérant que l’occupant ne les soupçonnera pas d’avoir trempé dans le projet ou ne le leur fera pas payer pour l’exemple… D’autres, enfin, vont devoir gérer toutes les conséquences de leur action et accepter leur impuissance face à la violence inouïe déployée par l’ennemi…

Et l’argent, dans tout ça, me direz-vous ?

Excellente question ! Le Périgord fut libéré les 19 et 20 août 1944, soit moins d’un mois après le casse de Neuvic. Dans cette intervalle, il a fallu répartir le magot pour qu’il passe inaperçu, gérer cette fortune en bon père de famille, si je puis dire, piocher un peu dedans, car l’idée était quand même de permettre aux réseaux de résistance de vivre avec, de se ravitailler, de gérer toute l’intendance…

Mais, une fois la Libération effective, les responsables de la Résistance qui ont dirigé l’opération, ont bien entendu voulu restituer à un Etat désormais légitime le fruit de leur rapine. Et là, surprises ! Hervé Brunaux consacre une postface à la fois drôle et un peu navrante, il faut le dire… Car, réunir l’ensemble des fonds, en tout cas ce qui n’avait pas été dépensé en un mois, n’a pas été une sinécure…

Entre les patriotes choisis pour « héberger » quelques sacs et ont un peu perdu la mémoire au moment de les rendre et les sacs disparu comme par enchantement, la somme initiale a été amputée… Bien sûr, si on faisait un pourcentage, vu le total dérobé, il serait minime. Mais en valeur absolue, c’est tout autre chose…

Et lorsqu’on y regarde d’encore plus près, on découvre des choses pas très reluisantes, dans tout ça… Des zones d’ombre qui ont alerté la justice, qui ont suscité des enquêtes, qui ont alimenté des thèses, sans doute avérées, bien qu’impunies, mais aussi des fantasmes, des légendes et des histoires à se raconter le soir au coin du feu…

C’est sans doute ce flou pas très artistique autour du magot et de sa « fonte » qui explique pourquoi ce casse du siècle, bien plus impressionnant, tant par la somme volée que par le contexte dans lequel le fric-frac s’est déroulé, que tous les faits d’armes des truands de légende, a été peu à peu oublié, mis sous le boisseau…

En n’en parlant plus, on a évité de faire ressortir des sujets qui fâchent, qui tendent à montrer qu’en France, quelle que soit l’époque, les pratiques ne changent guère, hélas… Mais, si on laisse cet aspect moins glorieux de côté, il reste là une opération incroyable menée par des hommes et des femmes d’un courage exemplaire qui ont risqué ou donné leur vie pour un idéal, celui d’une France libérée du joug nazi…

En utilisant des témoignages de certains des acteurs de ces événements, Hervé Brunaux parvient à nous faire revivre ce casse comme si nous y étions, mais nous propose aussi une chronique de la vie quotidienne des résistants dans les maquis du Périgord. La tension permanente, les conditions de vie rudimentaire, des choses aussi insignifiantes que le harcèlement des taons, des moustiques ou des moucherons, certes, anecdotique, mais pénible, les difficultés à se ravitailler, la surveillance de tout les instants et l’épée de Damoclès de la trahison…

Toute la première partie du livre, tandis que Callart et les huiles qui ont reçu les informations indispensables à la réussite du casse s’activent, nous plonge dans cette vie rudimentaire, pas évidente, surtout pour des civils à l’expérience militaire souvent très limitée. Des conditions de vie qu’il faut accepter, digérer, comme la solitude, l’éloignement de ses proches, qui peut peser plus encore que le danger…

Et puis, c’est aussi l’occasion de découvrir l’atomisation de la Résistance dans le Périgord. Un phénomène qu’on retrouvera sans doute dans bien des régions, d’ailleurs, mais qu’on découvre avec un certain effarement si l’on part du principe que l’union fait la force. Entre l’AS, qui dépend du MUR, l’ORA, les FTP, les FFI, le MUR, mis en place par Jean Moulin puis remplacé par le MLN, on a une collection de sigles comme autant de sensibilités et autant de réseaux éparpillés, loin de l’union souhaitée à Londres…

« De l’or et des sardines » est donc un roman passionnant, mais aussi capable de nous apprendre pas mal de choses. Une histoire vraie, aussi, et, comme à chaque fois, on ressent un pincement particulier à cette lecture pour cette raison. On s’immerge dans une époque délicate, où l’on mesure aussi à quel point les communications et la circulation des informations n’étaient pas aussi facile que maintenant.

Et pas seulement parce que les communications sont particulièrement surveillées par l’occupant, mais aussi parce que les moyens de communications sont loin d’être aussi performants que les nôtres. On l’a vu, le débarquement en Normandie est le déclencheur de beaucoup de choses dans cette histoire, et pourtant, cela reste une totale abstraction dans ce coin de France qui semble à des années lumières des plages et des villages où les combats font rage…

Voilà en tout cas un livre qui se lit agréablement, qui crée de l’émotion, où le drame succède à la victoire, illusoire face aux pertes engendrées. La narration est propre, sans chichi, mais sait amener son rythme crescendo et ménage certains effets de façon très efficace. J’aurais bien aimé en savoir un peu plus sur certains protagonistes, ce qu’ils sont devenus. On a, à ce sujet, quelques éléments, mais j’ai trouvé cette dimension un peu insuffisante, mais cela reste un détail.


Bravo et clin d’œil aux éditions du Rouergue, maison d’éditions régionale, qui, comme beaucoup de ses consoeurs à travers la France, parvient à mettre en valeur l’histoire de nos régions et nous permet de revivre ces épisodes qui ont marqué les mémoires locales et qui, même si elles peuvent parfois sembler anecdotiques, font partie, à leur échelle, de l’Histoire de France.


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