Sans doute l’avez-vous remarqué, j’aime bien les romans
historiques… Je suis friand de ces livres qui nous emmènent à d’autres époques
que la nôtre et nous font découvrir les us et coutumes de ces périodes ou les
événements marquants, vus à travers le prisme de la fiction. Pour le sel de
l’histoire, avec un petit ou un grand h. Mais, j’aime bien varier les époques,
ne pas visiter toujours les mêmes siècles. Il y a quelques mois, après avoir lu
le dernier roman en date de Jean d’Aillon, j’ai jeté un œil à sa bibliographie
et découvert sa série mettant en scène le personnage de Guilhem d’Ussel, qui se
déroule au tournant des XIIème et XIIIème siècles. Et je me suis dit que ce
serait une lecture parfaite pour l’été, sous les pins parasols. Alors, voici
« Marseille, 1198 », publié en poche chez J’ai Lu et signé par
l’excellent Jean d’Aillon qui nous emmène en Provence, mais pas pour le
farniente et le bronzage…
Hugues de Fer est le viguier de la ville de Marseille,
poste qu’on doit pouvoir comparer à celui de nos actuels maires, en tout cas,
pour ce qui est des attributions. A cet homme de gérer les affaires d’une ville
au combien prospère et qui s’est totalement dédiée aux affaires avec l’Orient,
via la Méditerranée, surtout depuis les Croisades. Une ville où tous, quelles
que soient les origines, les religions, les commerces, vivent en harmonie.
Marseille est une ville riche et surtout géographiquement
parfaitement située. Au point d’attirer les convoitises. Hugues de Fer dépend en
effet d’une vicomté dont beaucoup aimeraient récupérer les parts pour
réorganiser la ville à leur guise (et surtout pour leurs plus grands profits). Des
seigneurs puissants, mais aussi le Pape innocent III, qui se verrait bien
mettre la main sur Marseille.
L’actuel vicomte, Roncelin, est toutefois un homme
faible, lâche, préférant les plaisirs terrestres aux affaires de la ville. De
fait, Hugues de Fer est donc celui qui dirige Marseille. Et, si la vicomté
changeait de main, ses prérogatives seraient évidemment remises en cause,
il serait sans doute démis de ses fonctions et redeviendrait un marchand.
Un marchand dont les affaires marchent doucement, ces temps-ci, la faute à une
galère qui n’en finit pas de revenir dans la cité phocéenne.
Alors qu’il est au port, Hugues de fer aperçoit un bateau
en train d’entrer dans la rade. A bord, un vieil ami du viguier, un sarrasin,
mais surtout un médecin et un homme sage, Ibn Rushd, que Hugues de Fer a connu
lorsqu’il était croisé et qu’il avait été fait prisonnier. En fait, le viguier
doit beaucoup à cet homme et le voir arriver le ravi.
Pourtant, s’il vient à Marseille, c’est parce qu’il vient
d’être chassé de Marrakech, où il était le bras droit du calife. En attendant
que les choses se calment, Ibn Rushd a décidé de rendre visite à son ami
marseillais, qui va se faire un plaisir d’héberger le médecin dans sa cité, le
temps qu’il faudra, ou le temps qu’il voudra.
A peine a-t-il retrouvé son ami que Hugues de Fer va être
accaparé par une histoire bien inquiétante. On l’avertit en effet que la maison
où le vicomte Roncelin donne parfois ses rendez-vous galants a été attaquée… Le
vicomte a peut-être été tué, ce qui serait évidemment une catastrophe pour
Hugues. Il se rend aussitôt sur place, accompagné d’Ibn Rushd, dont les talents
de médecin pourraient être utiles.
Là, c’est une scène d’horreur. Plusieurs cadavres
jonchent le sol, mais pas celui de Roncelin. Parmi les morts, une femme, que
Hugues reconnaît comme étant Madeleine Mont Laurier, membre d’une des plus
grandes familles de tanneurs de la ville. Elle a été violentée avant d’être
tuée. A-t-elle été victime, et le vicomte avec elle, des nombreuses bandes de
brigands qui écument les campagnes de l’arrière-pays ?
Ce pourrait-être une hypothèse crédible si Madeleine ne
tenait encore à la main un morceau d’étoffe. Dessus, des symboles héraldiques.
Et pas n’importe lesquels : ce sont les armes des seigneurs de Baux, une
puissante famille de la région, qui brigue justement les parts de Roncelin pour
prendre le contrôle de Marseille…
La piste est à la fois trop évidente et trop simple pour
vraiment faire sens, mais l’idée que les Baux aient pu enlever Roncelin pour le
forcer à céder ses parts, voire le faire disparaître corps et biens n’est pas
non plus complètement absurde… Malgré les doutes d’Ibn Rushd, Hugues de Fer la
prend au sérieux, mais il sait que, sans preuve de la présence de Roncelin au
château des Ducs des Baux, il ne pourra rien faire… Et, même avec cette preuve,
seul, il aura bien du mal à sortir le vicomte de son cachot…
L’information qu’il manque, Hugues de Fer va l’obtenir
par le biais d’un duo de saltimbanques, un frère et une sœur, Bartolomeo et
Anna Maria, venus d’Italie, à qui il va demander d’aller faire leurs numéros au
château des Baux. Désormais certain que Hugues des Baux, l’actuel duc, détient
bien un prisonnier, apparemment important, Hugues de Fer veut agir.
Pour cela, il va constituer une petite troupe, aux
talents variés, composées de personnes rencontrées à Marseille et qui ont l’âme
aventureuse et mercenaire. Outre Ibn Rushd, qui veut absolument accompagner son
ami, malgré les dangers, et les jongleurs, qui connaissent les lieux
suffisamment bien pour permettre à la troupe de se repérer et de retrouver où
Roncelin est détenu.
Hugues de Fer va recruter deux hommes qui ont, comme lui,
la connaissance des armes. Le premier, un saxon, rentrant de Terre Sainte,
s’est fait dépouiller par son propre écuyer en arrivant à Marseille, alors
qu’il transportait de l’or afin de constituer des groupes armés, capables de
rejoindre Richard Cœur de Lion en Aquitaine et de combattre à ses côtés.
L’homme est comte de Huntington, se nomme Robert de Locskley et est un archer
d’un talent rare, capable de bander un arc immense et de toucher sa cible à des
distances absolument incroyables.
Le second renfort côtoie Locksley depuis quelques jours,
puisqu’ils partagent une chambre commune dans une auberge de Marseille. Il se
présente comme un troubadour, s’accompagnant d’une vielle à roue qu’il a
toujours avec lui, mais son armement laisse penser qu’il serait un chevalier
errant. Il s’appelle Guilhem d’Ussel et l’on comprend vite que la ville de
Marseille ne lui est pas inconnue.
Enfin, dernier membre du groupe, un persan du nom de
Nedjm Arslan. L’homme s’est fait remarquer comme bateleur dans les rues de
Marseille, mais son numéro, sacrément impressionnant, n’a pas plus ni au
public, qui a crié à la sorcellerie, ni aux autorités religieuses, aussitôt
accourues avec l’intention de l’envoyer sur le bûché.
L’homme possède quelque chose qui pourrait être fort
utile à Hugues de Fer et à ses alliés dans leur folle quête. Mais je ne vais
pas vous dire quoi… Comme je ne vais pas vous en dire plus sur ces différents
personnages, si ce n’est que certains (la plupart ? Tous ?) ne sont
pas à Marseille par hasard et ont des choses à cacher à leurs compagnons… Leur
engagement aux côtés de Hugues de Fer pourrait être intéressé…
Malgré tout, ces sept hommes et femme vont se lancer à
l’assaut d’une véritable forteresse. Car le château des Ducs de Baux est
remarquablement bien défendu, que ce soit en terme architectural qu’en raison
du nombre de chevaliers dont dispose Hugues des Baux, le maître des lieux. Si
entrer ne devrait pas poser de problème pour des saltimbanques (Guilhem se
joignant aux jongleurs), pour un noble saxon cherchant asile ou pour un médecin
(car Hugues est gravement malade), en revanche, trouver où est détenu Roncelin,
le libérer et quitter les lieux seront des opérations bien plus délicates…
C’est tout l’objet du roman, placé sous le signe de la
ruse, de a bagarre et des trahisons. Car, une fois sur les terres des Ducs des
Baux, ils vont découvrir une situation bien plus complexe qu’ils ne l’avaient
imaginé lorsqu’ils ont élaboré leur plan. Tous vont alors courir moult danger,
devront faire preuve de grand courage, tromper aussi bien leurs alliés que
leurs adversaires et, au final, jouer franc jeu… Mais ils ne sont pas au bout
de leurs surprises…
Comme souvent avec ce genre de romans, l’auteur mêle
fiction et réalité. La réalité, c’est tout ce que l’on sait de la vie à
Marseille en 1198. Hugues de Fer en était bien le viguier, comme Hugues des
Baux était bien le Duc, chef d’une famille descendant, dit-on, de Balthazar,
l’un des Rois Mages qui vinrent rendre hommage au Christ à l’étable de
Bethléem.
Ibn Rushd est lui aussi un personnage réel. Les
Occidentaux le connaissent mieux sous le nom d’Averroès et il est encore
aujourd’hui, considéré comme un des plus célèbres et remarquables médecins et
philosophes du Moyen-Âge. En 1198, il est à la fin de sa vie, et Jean d’Aillon
joue avec sa biographie, puisqu’à cette époque, il avait effectivement dû
s’exiler. Sa venue à Marseille est une fiction, rien ne le prouve, mais le
travail d’un romancier n’est-il pas justement de combler les vides de
l’histoire par son imagination ?
Et puis, il y a l’arme secrète du groupe. Là, on oscille
entre fiction et réalité. Ce que fait Nedjm Arslan lorsqu’il est arrêté est
plausible, pas impossible, mais ne repose pas sur des faits avérés. Ce qui
permet à l’auteur de jouer, dans ce registre, avec la surprise que provoque le
« savoir-faire » du Persan, qu’il ne maîtrise d’ailleurs pas très
bien lui-même. La licence romanesque se met au service du spectacle, et c’est
bigrement efficace, croyez-moi !
Côté fiction, il y a donc Guilhem d’Ussel, personnage
central de la série, puisque « Marseille, 1198 » est sous-titrée
« les aventures de Guilhem d’Ussel, chevalier troubadour ». Pourtant,
il ne se taille pas forcément la part du lion dans ce roman où chacun des
personnages à un rôle précis à jouer et doit traverser des moments parfois
difficiles.
Pourtant, Jean d’Aillon dresse un portrait assez complet
de ce garçon. Je ne vais pas vous en faire le détail, car c’est au lecteur d’en
découvrir certaines facettes. Mais, c’est un personnage que je trouve digne
d’intérêt, car il n’est pas l’archétype du héros sans peur et sans reproche.
Bon, question courage, rien à redire. Mais, sur les reproches, là…
Guilhem d’Ussel, sous ses allures de troubadour allant de
ville en ville jouer des chansons galantes ou des ritournelles plus guerrières,
selon la demande, cache un chevalier farouche au curriculum vitae plutôt
inquiétant. Sa force au combat, sa ruse, son habileté mais aussi sa violence,
sa dureté et sa part d’humanité, il les a acquises dans des conditions
extrêmes, parfois fort peu honorables, mais qui lui ont permis de devenir
aujourd’hui l’homme qu’il est, avec des valeurs qu’il défendra toujours jusqu’à
la mort si besoin.
Guilhem d’Ussel est sans doute un personnage au grand
cœur, capable d’embrasser des causes positives, mais, pour cela, il est capable
d’être le plus féroce combattant qui soit, dénué de tout scrupule face à ses
ennemis, roublard et jouant avec la lettre des codes de la chevalerie. Pas le
garçon le plus noble qui soit, dans sa façon de faire, mais du bon côté.
Pour être franc, avant de choisir un titre qui rappelle
un épisode mythologique, je cherchais un titre faisant allusion aux sept
mercenaires, autres garçons pas forcément fréquentables mais capables de
s’engager à fond pour une cause, s’ils la jugent juste. Il y a, dans
« Marseille, 1198 », quelque chose qui se rapproche de ce film, ou de
son inspirateur nippon, « les sept samouraïs ».
Et puis, il y a Robert de Locksley, comte de Huntington. Les
plus perspicaces auront reconnu qui est ce personnage que nous avons tous
intégré dans notre culture commune et qui fait une pige, si je puis dire, chez
Jean d’Aillon. Qu’il soit un archer à l’adresse démoniaque et qu’il soit au
service de Richard Cœur de Lion ne vous aide pas à y voir plus clair ?
Allons ! Avec lui, Jean d’Aillon s’inscrit dans la
tradition littéraire du roman d’aventures médiéval, dont Alexandre Dumas et
Walter Scott ont été les grands pionniers. On retrouve ici le même souffle
épique, les chevaliers un peu voyous qui luttent contre des chevaliers bien
moins honorables encore, des scènes de combat absolument formidable, que ce
soit en duel ou en bataille générale…
Sans oublier ce magistral clin d’œil du concours de tir à
l’arc décisif, entre Robert de Locksley et l’un des proches de Hugues des Baux.
Vous n’avez lu ni Dumas, ni Scott ? Mais vous aimez les films de
Disney ? Alors, si je vous dis concours de tir à l’arc entre les meilleurs
archers et l’un qui se distingue par son adresse hors norme, là, vous voyez de
qui je parle ?
Le récit est bien mené, plein de rebondissements, de
doutes et de découvertes. On s’attend en permanence à ce que les personnages,
la plupart ambivalents, agissent en fonction de leur cause, libérer Roncelin et
châtier ceux qui l’ont enlevé et tué Marianne Mont Laurier, mais aussi, qu’ils
tirent leur propre épingle du jeu, en fonction des intérêts qui sont les leurs,
et que l’on découvre au fil des pages.
Mais, dans ce livre, les rebondissements, c’est comme le
liquide vaisselle : quand il n’y en a plus, il y en a encore. Ce qui se
passe au château des Ducs des Baux est certes le cœur du récit, ce n’est pas là
que le dénouement aura lieu, mais bien à Marseille, là où tout a commencé. Pour
une affaire aux tenants et aboutissants bien moins évidents qu’on aurait pu le
croire…
Un dénouement à tiroirs, ce qui n’est pas ce que je
préfère, je l’ai déjà dit, sur ce blog, mais qui n’est pas non plus désagréables…
Après tout, qu’après tant d’aventures, de dangers bravés et de trahisons
défaites, on mette au jour quelque chose d’énorme, à plusieurs dimensions,
pourquoi pas, même si je trouve, comme toujours, que le risque est de nuire à
la clarté du récit.
Mais, cette fin à plusieurs entrées (ou sorties, c’est
selon), va aussi permettre de lancer la série en mettant, cette fois, Guilhem
d’Ussel un peu plus en avant. Tant sur certains éléments annonciateurs de sa
prochaine aventure livresque (« Paris, 1199 ») que sur son caractère.
Je vous l’ai dit, il y a un côté ambigu chez le chevalier troubadour, qui a la
fleur bleue contondante, comme le chantait Boby Lapointe.
Il sait se battre, mais son passé trouble et ses méthodes
par très orthodoxe en font aussi un personnage dont on peut se méfier. Or, lors
de cette fin en plusieurs épisodes, on le voit confronté à un cas de conscience
(rien à voir avec « les Tontons Flingueurs », celui-là), une
situation qui le remet face à son passé violent, criminel, lâchons le mot.
Sa réaction en dit long sur ce personnage, autant, sans
doute, en quelques pages que dans tout le corps du roman. Je ne parlerai pas de
rédemption, car s’il y en a une, elle est encore en cours et loin d’être
achevée. Mais, Guilhem d’Ussel semble avoir tiré les leçons de ce qu’il a vécu,
de ce dont il a été complice. Des méfaits qui lui ont laissé un goût amer et
surtout de bien vilains souvenirs en tête.
Lorsque le combat est loyal, voire déséquilibré, là, tous
les coups sont permis, mais la cruauté gratuite, le mépris pour la vie humaine
qui rend inhumain, cela, il ne veut plus en entendre parler. Et c’est cet état
d’esprit qui, devant le choix qu’il doit faire en fin de roman, choix décisif
pour son avenir, cornélien, va primer… L’homme a mûri, changé… Et reprendra la
route.
Je me suis bien amusé à la lecture de « Marseille,
1198 », ville dans laquelle j’ai eu la chance de vivre et que j’ai
découverte autrement. Il n’y a pas de temps mort, les fausses pistes et les
trahisons se succèdent à un bon rythme, les méchants sont très méchants,
certains personnages, que je n’ai pas forcément évoqués ici, en particulier
dans l’entourage de Hugues des Baux sont très intéressants et originaux…
Et puis ça castagne, quoi ! Ca ne fait pas semblant,
ça s’écharpe, ça s’étripe, ça se fracasse le crâne avec entrain ! Et avec
une multiplicité d’armes médiévales, qui plus est, ce qui ajoute au plaisir de
lire ces scènes mouvementées et parfois fort sanglantes. On est vraiment dans
un roman de chevalerie et on s’attendrait presque à voir débarquer Rob Tayor,
Errol Flynn ou Roger Moore !
J’ai eu envie d’entamer cette série parce que j’avais
envie de m’immerger dans une époque différente, je vais la poursuivre, c’est
certain, par pur plaisir de retrouver Guilhem d’Ussel et de voir dans quels
périls Jean d’Aillon va le plonger, avec quels objectifs et quels alliés… ou
adversaires ! Vraiment, de la belle ouvrage, où les codes du roman de
chevalerie sont présents mais malicieusement détournés pour créer tension et suspense.
Rendez-vous prochainement à Paris, en 1199, aux côtés du
chevalier troubadour !
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