Ah, la voix… Chanteur, je fus, animateur radio j’essaye
encore d’être, Maître Yoda, je ne serai jamais mais c’est hors sujet… Bref, la
voix occupe une part importante de ma vie depuis longtemps. Alors, la retrouver
au cœur d’un thriller, je dois dire que cela a quelque peu éveillé ma
curiosité. Pourtant, je me réveille avec un peu de retard… 13 ans, pour être
précis, puisque le roman dont nous allons parler a été publié en l’an 2000… Eh
oui, il y a bien eu des bugs, cette année-là, il faut croire ! Mais
redevenons sérieux, car, derrière une intrigue efficace et plutôt originale, se
cache une intéressante réflexion qui lorgne vers la science-fiction. Pas au
point de franchir le pas dans le cadre du roman, mais en en nourrissant une
partie-clé de cette histoire. Avec « Vox », (en poche chez Points
Seuil), Dominique Sylvain nous propose un thriller autour du thème du serial
killer dans lequel elle met en scène une galerie de personnages bien troussée
et distille avec habileté fausses pistes et interrogations…
Vox.
C’est le surnom qui a été donné, sous le coup de la
colère et de la frustration à un tueur en série par le flic chargé de le
traquer, alors qu’il répondait aux questions pressantes des médias. Il faut
dire que le tableau de chasse du tueur ne cesse de s’allonger pour atteindre la
dizaine et, forcément, ça met beaucoup de monde sur les dents et des
obligations de résultat commencent à être exigées en haut lieu.
Vox viole et tue des femmes après les avoir séduites. Il les
étrangle avec une corde de violoncelle, et, pendant leur agonie, il enregistre
la voix de ses victimes sur des cassettes audio standards. A chaque fois, il
leur demande de dire une simple phrase, répétée jusqu’à ce qu’elle soit
parfaitement prononcée. Une phrase différente pour chacune des victimes, et
voilà qu’apparaît, au fur et à mesure, un texte, peut-être un poème, que les
enquêteurs ne parviennent ni à identifier, ni à véritablement comprendre…
Pour le reste, aucun indice pouvant servir de piste n’est
retrouvé sur les scènes de crime… De quoi frustrer un peu plus le commandant
Alex Bruce, patron du groupe de la Crime chargé de cette épineuse affaire.
D’autant que la dernière victime en date n’est pas une inconnue… Isabelle
Castro est l’animatrice des « Nuits Taboues », l’émission-phare des fins
de soirées de Radio France…
De quoi relancer la folie médiatique qui accompagne cette
affaire de meurtres en série qui n’en finit pas… A l’image de Fred Guedj,
journaliste à France 2, toujours à la recherche du scoop qui fera sa gloire. Malin
comme un singe, il parvient toujours à se glisser dans les pattes des flics et
parvient à chaque fois à trouver quelques éléments nouveaux pour nourrir ses
papiers…
Le temps presse, il faut agir, cela devient impératif. Et
frapper fort les esprits pour ne pas être encore une fois ridiculisé. Alors,
sous la pression d’Alain Sagnac, un psy, chargé d’aider le groupe Bruce dans
cette enquête, ressort une idée que le commandant croyait avoir été
abandonnée : puisqu’il semble que ce soit la voix qui serve de critère de
choix à Vox pour ses victimes, pourquoi ne pas essayer de trouver une femme
flic qui pourrait jouer le rôle d’appât ?
D’autant que cette femme flic, on l’a ! Pas à la
Crime, mais ce n’est qu’une affaire de quelques jours, le temps d’effectuer un
transfert en bonne et due forme. Elle s’appelle Martine Lewine, elle est
inspecteur et travaille sur des affaires de mœurs assez glauques. Par exemple,
ce mac qu’elle a interpellé alors qu’il profitait des services d’une dominatrice…
Une affaire pas évidente, car l’homme, pourtant presque
entièrement nu, a réussi à filer entre les mains de Lewine et de ses adjoints
avant d’être finalement rattrapé après une rocambolesque poursuite dans Paris…
Bruce ne la connaît pas, mais cette idée d’appâter Vox ne l’enchante guère.
Elle l’enchante d’autant moins qu’elle vient de Sagnac, que le flic ne peut pas
sentir.
Mais les pistes étant toujours aussi maigres, Bruce doit
bien se résoudre à accueillir Lewine au sein de son groupe. Un renfort n’est
jamais superflu sur ce genre d’affaire et elle pourra, avant qu’on envisage
quoi que ce soit d’autre, donner un regard extérieur sur l’affaire, qui
pourrait permettre d’ouvrir de nouvelles perspectives.
En tout cas, le commandant et sa nouvelle recrue
s’entendent plutôt bien même si l’on sent qu’ils se posent chacun des questions
à propos de l’autre. En attendant d’avoir des réponses à leurs interrogations
personnelles, ils repartent sur une enquête décidément hors norme, puisque
l’animatrice radio ne sera pas la dernière victime…
Il devient de plus en plus urgent de retrouver cet
assassin insaisissable, mais, malgré les efforts déployés, Martine Lewine ne
semble guère aiguiser l’appétit du tueur… En attendant que le coup de la chèvre
fonctionne, bien des choses se passent, impliquant les différents personnages
du roman, y compris Vox, que l’on voit agir dès les premières pages, et le
lecteur se demande où on l’emmène tant ces événements semblent éloignés de de
l’histoire centrale…
En fait, en lisant « Vox », j’ai pensé à ces
films où l’on voit au ralenti un objet fragile en train de tomber au sol,
exploser en mille morceaux puis, par un simple effet visuel, se reconstituer
sous nos yeux. Je m’explique : alors que tout semble partir sur des bases
traditionnelles et puis, d’un seul coup, le récit semble partir dans tous les
sens, avant de se reconstituer comme un puzzle pour nous offrir le dénouement…
Cette construction tient essentiellement aux personnages
et à leurs relations. Le centre de cette galaxie, c’est le commandant Alex
Bruce, celui qui dirige tout. Le genre beau ténébreux ou alors, le flic à la
Bébel, perfecto, jean et jamais froid aux yeux. Mais on le sent aussi fragile,
sur le plan personnel et émotionnel, cherchant le juste équilibre entre vie
privée et boulot.
Il est toutefois évident que ce mystérieux Vox et ses
pieds-de-nez à répétition le travaillent, le fatiguent… Pas au point de perdre
confiance en lui, mais parce que son orgueil de mâle est atteint. On vient le
titiller sur son terrain, on lui marche sur les pieds avec cette mise en scène
sordide, ce petit texte qui se compose, victime après victime, mais qui ne lui
parle pas… Bref, ça commence à les lui briser menu…
Autour de lui, son fidèle adjoint, Victor Cheffert, gros
consommateur de Carambar pour ne pas reprendre la clope. Un flic assez
différent de Bruce, mais la paire fonctionne parfaitement, comme si les deux
hommes étaient complémentaires. Bruce a entièrement confiance en son adjoint et
il est en de même pour Cheffert, capable de suivre sans mot dire les intuitions
de son comandant.
Au rang des casse-pieds, commençons par Fred Guedj. Oh,
un casse-pieds que Bruce aime pourtant bien. Voilà longtemps que ces deux-là
sont potes, malgré tout ce qui pourrait les opposer. Bruce le flic, Guedj le
journaliste. Amoureux d’une même femme, Tessa, qui a quitté Guedj pour épouser
Bruce puis qui est repartie vivre sa vie avec d’autres hommes.
Cela n’a pas séparé les deux amis. Mais Bruce semble
avoir fait le deuil de cette histoire d’amour, au moins en apparence, car en
réalité, il a bien du mal à se reconstruire une vie sentimentale. Alors que
Guedj n’a pas oublié Tessa et, aidé par une consommation d’alcool abusive, il
se laisse volontiers emporté par la jalousie, au point de friser régulièrement
le harcèlement…
Autre casse-pieds, mais pas du tout apprécié, Sagnac…
Psy, vieux beau, toujours un sourire narquois et supérieur aux lèvres… Bruce
n’aime ni l’homme, ni ses idées, ni ses conseils, qu’il sent plein de
condescendance, comme si celui qui savait descendait de son Olympe pour
s’adresser aux pauvres idiots de flics. Alors, il essaye de l’ignorer… Mais, la
cocotte-minute siffle…
Et puis, je ne sais toujours pas si je dois d’ailleurs la
ranger dans la catégorie « casse-pieds » ou pas, il y a Martine
Lewine… Pourquoi cette hésitation ? D’abord, désolé pour cette misogynie
qui n’est pas de mon fait, mais c’est une femme qui débarque dans un univers
très masculin, très viril, comme en témoignent les dernières lignes du roman
(simple clin d’œil, je ne dévoile rien en disant cela).
Ensuite, parce que la jeune femme est farouchement
indépendante. Difficilement canalisable, même par un homme à poigne, comme Alex
Bruce. Et puis, parce qu’il flotte autour de Martine Lewine une aura étrange… On
ne sait pas grand-chose d’elle et ce que l’on apprend à son sujet a de quoi
renforcer cette impression…
Car, cette femme a connu dans le passé une expérience
atroce. Kidnappée, torturée, elle n’a dû son salut qu’à son courage. Elle ne
parle jamais de ces événements, arrivés quelques années plus tôt, mais ils sont
là, autour d’elle, en permanence. Quant à sa vie privée, certains éléments que
l’on découvre au cours du roman ajoutent encore aux questions que finira par se
poser Bruce…
En fait, ces personnages offrent tous des failles et des
zones d’ombre qui entretiennent le soupçon mais aussi la montée du suspense.
Car, faute de grive, on mange des merles, et comme les pistes ne sont pas
légions, forcément, on va commencer à s’intéresser aux uns et aux autres… Vox
serait-il l’un d’eux ?
Reste que pour cerner le tueur, il va absolument falloir
le comprendre. Comprendre ce qui le pousse à tuer ainsi. Car, s’il est évident
que le timbre de voix des victimes joue un rôle important dans ses choix, mais
aussi dans la jouissance qu’il retire de ses meurtres, le peu qu’il laisse
derrière lui semble indiquer qu’il a autre chose derrière la tête…
La piste va venir d’un roman de science-fiction.
Rassurez-vous, je n’en dis pas plus, ni sur les circonstances de cette découverte
fondamentale, ni sur le roman lui-même. Mais, il ressort que Vox est bien à la
recherche d’une voix. De LA voix, pourrais-je même dire. Rien à voir avec un
célèbre télé-crochet qui refourgue des casseroles en les faisant passer pour de
l’argenterie…
Il y a, d’évidence, une quête de perfection dans le
grain, dans la sonorité de cette voix… Vox continue-t-il à tuer parce qu’il n’a
pas, malgré ses recherches intensives, trouvé cette voix inimitable,
incomparable ? Et surtout, que compte-t-il faire de cette voix, une fois
qu’il aura su la capter ? C’est là-dessus que repose l’intrigue…
Sans entrer trop dans les détails, on peut dire, et l’on
rejoint mon calembour initiale, que la voix est le reflet de l’âme pour Vox…
Pour autant, on ne peut pas dire qu’il cherche à voler l’âme de ses victimes,
non, c’est plus complexe que cela. Car, et je ne peux hélas pas trop en dire,
il y a dans la démarche du tueur une réflexion (imprégnée de folie furieuse, je
précise) philosophique et technologique sur l’être parfait, une perfection qui
passerait par la voix…
Paradoxalement, ce n’est pas sur les scènes de crime de
Vox est le plus violent. Il y a dans tout ce livre une atmosphère assez glauque
que viennent illustrer différentes scènes, où les pratiques sexuelles sortent
de l’ordinaire… Mais ce n’est pas seulement le sexe qui donne cette tonalité au
roman, non, bien des aspects de la vie des personnages donne cette impression.
En fait, c’est la société que décrit Dominique Sylvain
qui est violente dans sa totalité. Des relations humaines parfois difficiles,
où les sentiments ont du mal à émerger. Une société où tout le monde passe par
des moments difficiles, durs… Mais une société dans laquelle, parfois, on se
raccroche à une voix.
Faire d’Isabelle Castro un des premiers personnages à
entrer en scène, me paraît un excellent choix. Elle anime une émission nocturne
dans laquelle elle est en prise directe avec ses auditeurs. Une voix qu’on
imagine chaude, posée, sans stress… Rassurante et intime à la fois. Un havre de
paix dans un univers perpétuellement tendu. Par la voix passent les émotions,
positives comme négatives, le timbre de voix de nos proches, des gens que nous
aimons est un son que l’on reconnaît aisément, qui nous apaise.
Mais je digresse, je digresse… Dominique Sylvain nous
entraîne dans une histoire menée à un rythme soutenu, distillant petit à petit
les éléments qui créent la tension et le suspense, ceux qui nous apportent des
indices ou qui nous entraînent sur des fausses pistes jusqu’à la découverte de
l’identité de Vox.
Comme je l’évoquais plus haut, les relations entre Bruce
et les autres personnages prennent une place importante, c’est vrai, mais ce
n’est ni anodin, ni inutile, car le soupçon est là, tout le temps. Il flotte
comme un sourire façon chat du Cheshire, qui vient se moquer de Bruce et du
lecteur, par la même occasion tant on pédale dans la semoule.
Mais, lorsqu’enfin le masque tombe et que Vox devient…
lui-même (ah, ah, vous avez vraiment cru que j’allais vous dire que Vox, en
fait, c’est… Ah, ah, encore piégé !), alors le registre change et l’on
entre dans un vrai thriller dont le rythme s’accélère pour multiplier les
rebondissements et les effets renforçant le suspense.
« Vox » est aussi un roman plein de trouvailles
que j’ai jugées originales, j’en ai effleuré certaines, comme le mobile du
tueur, d’autres doivent rester dans l’ombre, comme ce que Vox exige de sa
victime idéale, la mission que la voix parfaite doit remplir… On sent aussi,
même si c’est peut-être assez diffus, pas aussi présent que dans d’autres
livres de l’auteur, l’influence de la culture japonaise, chère à Dominique
Sylvain.
Le roman suivant de Dominique Sylvain,
« Cobra », met à nouveau en scène une partie des personnages de
« Vox », je pense que je lirai un de ces jours ce roman, et peut-être
d’autres, plus récents, pour affiner mon avis sur cette auteure… En effet, je
n’arrive pas à savoir si je suis totalement convaincu par ce que j’ai lu…
L’atmosphère, le rythme, les personnages, une certaine
originalité dans le fond de l’intrigue… il y a tous ces ingrédients dans
« Vox » mais il m’a manqué un je-ne-sais-quoi de passion, comme si,
derrière le noir du climat instauré, j’avais eu du mal à sentir autre chose… Ou
alors, comme l’une des thématiques tourne autour de notre humanité et de son
devenir, peut-être ce roman est-il une parfaite réussite en montrant que nous
sommes en train de la perdre, inexorablement, cette humanité…
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