Ca fait envie, comme titre, non ? Bon, je m’amuse un
peu au jeu des références avec lui, mais je dois dire que ce titre s’est imposé
au fil de la lecture et qu’il m’amuse assez… Avec le livre du jour, nous
partons en Angleterre, en 1348, année de la grande peste qui ravagea l’Europe.
On va voir que ce n’est pas la seule catastrophe qui toucha le pays. Dans ce
contexte déjà dramatique en soi, Karen Maitland va nous emmener dans un vrai
thriller aux confins du fantastique, une espèce de road-movie médiéval sombre,
très sombre, et plein de secrets. Et pour cause, puisque tous les personnages
du roman sont des menteurs, des gens qui ont des choses à cacher, parfois à se
reprocher, qui vivent même du mensonge pour certains d’entre eux… C’est dire
s’il y a matière à soupçons, à rebondissements, à suspense… Enfilez de solides
chaussures, on part sur les routes aux côtés de « la Compagnie des
menteurs », en poche chez Pocket.
Quelle année pourrie ! Voici la Saint-Jean de l’an
1348, et il fait moche, très moche. Une pluie incessante qui, chose incroyable,
va durer tout le reste de l’année, jour après jour, sans discontinuer. De quoi
pourrir les récoltes et provoquer des famines dans le pays… Mais ce n’est que
le début des catastrophes, car on annonce que la « Mort Bleue » est
entrée en Angleterre.
La peste. Mal épouvantable, impossible à maîtriser,
incompréhensible avec le savoir de l’époque. On a vite fait d’en faire une
punition divine… Mais le fatalisme né de la religion ne suffit pas à effacer
les peurs… Selon le vieil adage qui s’impose dans ces conditions, nombreux sont
ceux qui décident de partir vite et de revenir tard.
Parmi ceux qui décident de quitter le sud de l’Angleterre
pour remonter vers le nord, afin de s’éloigner des foyers infectieux, il y a
Camelot. C’est ainsi que le personnage sera désigné tout au long du roman. Pour
gagner sa vie, Camelot va de ville en ville, de foire en foire pour vendre des
reliques de saints de toutes sortes. Reliques, évidemment, totalement fausses,
mais n’est-ce pas la foi qui sauve ?
Camelot est un homme d’âge mûr, un vieil homme, même,
pour l’époque. Et surtout, il est facilement reconnaissable : une énorme
cicatrice pourpre barre son visage, fendant son nez et laissant l’orbite d’un
de ses yeux vide… De quoi effrayer les plus craintifs, mais un bon sujet aussi
pour appâter le chaland, en racontant l’origine d’une telle blessure. A chaque
récit, son contexte. Dans ce métier, il faut être pragmatique !
Camelot décide donc de quitter Melcombe, ville côtière
sur la Manche, au sud du pays, pour remonter au nord, sans but précis a priori,
juste là où la peste ne sera pas. Et en passant, tant que ce sera possible, par
les villes où il pourra écouler ses colifichets et gagner sa croûte. En chemin,
Camelot va faire plusieurs rencontres, d’autres personnes qui, comme lui, ne
veulent pas rester trop près des villes touchées par la pestilence…
Il y a d’abord Rodrigo et son apprenti Jofre. Tous deux
sont vénitiens et musiciens, ils voyagent ensemble, l’aîné essayant, malgré
l’errance, de poursuivre son enseignement. Et puis, il faut cadrer le jeune
Jofre, qui ne crache pas sur le vin et le jeu, porté par l’inconscience de la
jeunesse, ce qui ne manque pas de lui créer quelques soucis, lorsque la chance
n’est pas avec lui…
Ensuite, Les trois hommes vont croiser la route de
Zophiel. Lui aussi fréquente les foires et les fêtes, dans lesquels il exerce
ses talents de magicien. Il propose aussi au public de voir, contre
rémunération, quelques « merveilles de la nature », comme cet
enfant-sirène, qu’il transporte dans une malle imposante. Et puis, quand les
rentrées sont insuffisantes, quelques passe de bonneteau et l’escarcelle se
remplit !
Zophiel, en raison des malles qu’il transporte, ne voyage
pas à pied, comme Camelot, Rodrigo et Jofre, mais possède une carriole, que tire
une jument facétieuse et caractérielle, Xanthos. C’est en quittant
précipitamment la ville où Camelot et ses compagnons ont rencontré Zophiel,
suite à l’annonce de cas de peste tout proches, que les quatre hommes vont
aider un couple en détresse.
Elle s’appelle Adela et est enceinte, lui se nomme
Ormond. Dans l’état d’Adela, fuir à pied sous la pluie ne sera pas facile,
pourquoi ne pas leur donner un coup de main, en permettant à Adela de voyager
dans la carriole de Zophiel ? Le magicien, plutôt acariâtre et facilement
irritable, on s’en rendra compte tout au long du roman, refuse dans un premier
temps, avant d’accepter, presque à contre cœur.
Les voilà donc 6 à voyager ensemble, mais, à chaque lieu
où ils cherchent abri, soit la peste se fait trop pressante, soit des
événements les oblige à s’en aller… Un peu plus loin, ce sont une femme et une
petite fille qui vont se joindre à nos voyageurs. La femme s’appelle Plaisance,
elle est la nourrice de la petite fille, Narigorm, une gamine assez étrange, portant
de longs cheveux si blonds qu’ils semblent presque blancs et avec un regard
parfois inquiétant…
Ce n’est pas la première fois que Camelot croise la
gamine, au point de se demander si elle ne l’a pas suivi depuis Melcombe, mais
cela ne tient pas debout… Narigorm se présente comme devineresse, elle lit les
présages dans les runes. Camelot ne peut s’empêcher de se méfier d’elle, mais
la gamine, elle, n’a rien d’agressif, se contentant de phrases sibyllines en
guise de conversation.
Quant à Plaisance, en découvrant la grossesse d’Adela qui
avance (eh oui, à pied, en 1348, on met du temps à aller d’une ville à
l’autre…), se propose d’aider la jeune femme, car Plaisance a des connaissances
en matières de plantes médicinales et elle a déjà rempli le rôle de sage-femme…
De quoi réconforter Adela et Ormond, que cette fuite permanente inquiète… Ils
ne voudraient pas que leur enfant naisse n’importe où !
Enfin, le dernier membre de notre compagnie est un
conteur. Un personnage étonnant, car, il se présente comme… un
homme-cygne ! Partout où il passe, Cygnus, tel est son nom, narre sa
triste histoire, celle d’un enfant né avec un bras et… une aile de cygne, de
l’autre côté. Aile qu’il montre évidemment à un public conquis, autant
émerveillé qu’effrayé par ce prodige…
Notre groupe, notre compagnie des menteurs est désormais
au complet. Une compagnie qui continue à monter au nord, tant bien que mal,
même si leur course a tendance à obliquer vers l’est, car la peste gagne par
les ports de la côte ouest… Une situation qui a le don de prodigieusement
agacer Zophiel, qui aimerait passer en Irlande, affirme-t-il régulièrement…
Malgré les péripéties (que je vous laisse découvrir) et
une entente pas toujours cordiale entre ces neuf individus, jamais ils
n’envisagent de se séparer, comme si l’union faisait la force, face aux menaces
que représente la peste, mais aussi la difficulté croissante à trouver des
abris confortables et de quoi se nourrir.
Sans oublier une autre menace très inquiétante : ce
loup, que tous entendent hurler, chaque soir ou presque, depuis un certain
temps… A croire que ce loup les suit… Un loup seul, contre neuf humains, cela
ne devrait pas inquiéter outre mesure. Mais les tensions sont telles,
l’épuisement aussi, physique et nerveux, et la superstition omniprésente dans
cette société anglaise du XIVème siècle, que ces hurlements commencent à
effrayer tout le monde…
C’est alors qu’après un énième événement désagréable qui
les a obligés à reprendre la route, l’un des membres de la compagnie est
retrouvé pendu…
La pendaison a l’apparence du suicide, mais les autres
membres de la troupe sont dans un tel état d’inquiétude que l’idée d’un meurtre
germe… Mais, s’il y a meurtre, cela pose une question très embêtante à
envisager : et si l’assassin était parmi eux ? De quoi ajouter une
cause de frayeur supplémentaire, après la peste, la faim et le loup…
Ce n’est que le début d’une série de drames qui va
pousser chacun des membres à dévoiler sa vraie personnalité, à faire tomber le
masque et à révéler, parfois de leur plein gré, parfois contraints et forcés,
leurs personnalités, leurs secrets, leurs erreurs… Bref, leurs mensonges. Et,
si tous ne se prêtent pas d’emblée à ce jeu de la vérité, ils vont devoir faire
leur examen de conscience, car il semble bien que ce soit ces petits
arrangements avec la réalité qui soit la cause de leurs tourments…
Vous comprenez un peu mieux le titre de ce billet,
désormais ? Oui, il y a un côté « Dix petits nègres », dans
« la Compagnie des menteurs », et, rassurez-vous, en disant cela, je
ne dévoile rien du cœur du récit qui est ailleurs. Je ne vais d’ailleurs pas en
dire plus ni sur le récit lui-même, ni sur les personnages, afin de vous
laisser découvrir les ressorts de ce roman.
Mais, nous allons parler du contexte dans lequel se déroule
l’histoire, car il est riche, apparemment nourri par une solide documentation
et des recherches approfondies sur l’époque, ce qui fait de « la Compagnie
des menteurs », un roman historique à part entière. Une chronique de
l’Angleterre en cette sinistre année 1348 qui nous offre quelques épisodes
particulièrement étranges ou savoureux…
D’abord, on voit l’importance des foires. Des villes qui,
actuellement, sont de petites bourgades, ou même, n’existent plus, absorbées
dans des agglomérations plus grosses, deviennent, par la simple organisation de
ces manifestations festives et commerciales, des lieux incroyablement
fréquentés. Des lieux d’échanges où l’on croise aussi divers saltimbanques et
autres corporations aux activités assez surprenantes à nos yeux de personnes du
XXIème siècle.
Ainsi, Camelot. Je l’ai dit plus haut, il vend des
reliques, des porte-bonheurs capables de venir en aide à n’importe quel client.
Cela demande une grande perspicacité et un sacré bagout pour convaincre un
public, certes, assez naturellement crédule, d’ouvrir sa bourse pour un objet
qui va de la médaille à l’os d’un saint, en passant par les poils de barbe de
Sainte Uncumber, alleluia !
En ce milieu de XIVème siècle, si pieux, si porté sur la
religion, où l’on s’en remet à la prière dès qu’on rencontre un problème ou que
l’on veut voir un souhait exaucé, c’est certes une activité qui permet de s’en
sortir dans la vie, mais qui repose sur le mensonge et l’art de conter des
histoires parfois abracadabrantes.
Camelot excelle dans cette profession, qu’il semble
exercer depuis longtemps déjà. Suffisamment pour deviner les attentes des uns
et des autres, et y apporter la réponse adéquate. Une profession qui demande
tout de même une certaine prudence, car Camelot est en concurrence directe avec
l’Eglise, omnipotente, dictant à tous la conduite à suivre pour se voir
remettre les clefs du Paradis et ne pas risquer de finir en enfer…
On sent que la religion tient une grande place dans le
roman de Karen Maitland. Et l’on sent parfaitement la crainte qu’elle inspire.
Par exemple, lorsque le groupe demande refuge dans un monastère, ils se
tiennent à carreau, de peur des foudres des moines (mais aussi de se retrouver
à la porte en moins de deux). Pourtant, tous ne sauront pas avoir la sagesse de
se tenir tranquille, et cela donnera lieu à une des rares scènes comiques du
livre.
Pour en finir avec la religion, avec sa place si
importante dans la vie de tous et son pouvoir moral terrible que peuvent
exercer des prêtres pas toujours bien inspirés, il faut parler de choses bien
plus terribles. C’est l’enseignement féroce de ces prêtres qui fut à l’origine
des rumeurs qui ont fait des juifs les responsables de l’épidémie de peste… Cela
engendra une colère qui ne pourrait être apaisée que dans le sang… Sauf qu’en
Angleterre, officiellement, il n’y a plus de juifs depuis leur expulsion du
royaume en 1290 ! C’est dire à quelles extrémités et absurdités peut
conduire une véritable hystérie collective, générée par une peur dévorante…
Mais, il n’y a pas qu’en Angleterre que cette
« hypothèse » sordide courra en 1348. En France et dans bien d’autres
pays d’Europe ravagés par le mal, cette idée se répandra presque aussi vite que
la peste elle-même, entraînant de terribles massacres… Fustigés comme étant le
peuple déicide, accusés de tuer des enfants catholiques et d’utiliser leur sang
pour fabriquer leur pain rituel, les Juifs sont des boucs émissaires commodes
et fédérateurs face à un danger dont on ne comprend pas plus l’apparition que
l’expansion…
Quand je vous dis que l’époque est à la superstition, et
pas franchement à la tolérance ! Une superstition qui s’allie souvent
étroitement à la religion, on vient d’en parler, mais aussi à ce que nous
pourrions appeler, avec notre vocabulaire contemporain, le merveilleux.
Partout, on raconte, dans les foires ou lors des veillées, au coin du feu, des
histoires mettant en scène des créatures étranges, légendaires, auxquelles on
prête une réalité.
J’ai parlé de l’enfant-sirène, clou du numéro de Zophiel,
ou encore de l’homme-cygne dont Cygnus raconte la vie. Mais, les autres membres
de la compagnie eux aussi vont y aller de leur récit épique, véritables contes,
et histoires, il faut le reconnaître, fascinantes et passionnantes, mais que
leurs narrateurs essayent souvent de présenter comme la vérité… Plaisance ou
Adela, par exemple, vont nous proposer de formidables histoires, de celles
qu’on pourrait encore se raconter.
Bien sûr, je ne voudrais pas oublier dans ces
superstitions, présentes au cœur de « la Compagnie des menteurs », la
divination. C’est donc Narigom qui remplit ce rôle, toujours à interpréter ses
runes, dès qu’elle le peut. Avec des interprétations auxquelles Camelot est le
seul à prêter attention, d’abord distraitement, puis, de plus en plus
attentivement, lorsque les choses commencent à se gâter…
Je n’oublie pas l’alchimie, elle aussi présente dans le
roman, certes, assez brièvement, mais qui permet là encore de voir tout le
talent de nos menteurs en action. Ca se passe dans un manoir baptisé
« Voluptas », la volupté, demeure hors du temps où l’on a décidé de
se consacrer à tous les plaisirs terrestres pour ne pas penser à la peste qui
fait rage à l’extérieur…
Une activité de riches oisifs, menés par une espèce de
gourou bizarre, à la fois loin et proche de l’Abbaye de Thélème, chère à
Rabelais… A « Voluptas », on fait ce qui nous plaît, c’est vrai, mais
on accumule surtout quelques biens et nourritures qu’on n’ira certainement pas
partager avec autrui, à moins que celui-ci ne prouve ses talents d’alchimiste,
pour donner un peu d’or en retour…
Mais ces croyances et traditions prennent par moment des
aspects encore plus étonnants, exacerbés par la peur, la hantise de voir le mal
incontrôlable arriver dans un village et laisser derrière lui un tas de
cadavres qu’il faudra brûler au plus vite… Alors, on ressort d’antiques
traditions, qui doivent se transmettre de génération en génération depuis la
nuit des temps… Comme le mariage des infirmes…
L’idée est simple : pour conjurer le sort, convaincre
la peste de passer au large d’un village et l’épargner, les villageois
choisissent un homme et une femme, souffrant d’un quelconque handicap, et vont
se cotiser, je ne vois pas d’autre terme, pour leur offrir des noces
inoubliables, une maison, un trousseau, etc. Le tout, étant prétexte à une
véritable beuverie, pouvant tourner à l’orgie, si affinités…
Notre compagnie, pas encore au complet à ce moment-là, va
se retrouver invitée à un tel spectacle, avec consommation de la noce en
public, s’il vous plaît. Un spectacle, si je puis dire, qui va d’abord choquer
nos compagnons, mais, la boisson aidant, ils vont se prendre au jeu, avant de
devoir se retirer aussi discrètement que possible quand l’abus de boisson fera
dégénérer les choses…
Autre superstition découverte dans le roman de Karen
Maitland, l’utilisation de robes de moine pour habiller les morts avant leur
enterrement. L’idée est simple : lorsqu’un homme meurt avec, sur la
conscience, quelques péchés un peu trop lourd pour que s’ouvrent devant lui les
portes du Paradis, alors, on fait revêtir au défunt une robe de bure afin de
tromper le diable qui, lors de sa tournée pour collecter les âmes perdues, ne
pourra s’en prendre à un saint homme d’église… Malin, non ? Enfin, malin,
je ne suis pas sûr que le mot soit très bien choisi.
Il se pourrait aussi que ce soit une manière de
décourager les pilleurs de tombes, prêts à tout pour acquérir quelques biens, y
compris chaparder les objets précieux mis dans la tombe avec leur propriétaire
légitime. Mais, même un malandrin n’oserait pas voler un moine mort ! Ce
serait la damnation assurée !!
En fin de livre, dans une très intéressante série
d’annexes, Karen Maitland précise que cette superstition a entraîné un
véritable commerce des robes de bure d’occasion. A tel point qu’il a fallu
l’interdire, sans que cela mette un terme à la pratique. D’ailleurs, nos
menteurs qui ne sont plus à ça près, recourront à ce stratagème en cours
d’aventure, Camelot ayant justement souvent sur lui quelques robes de bure à
vendre au plus offrant…
Voilà pour ces épisodes, tirés du roman, qui
interviennent à des degrés divers dans le cœur de l’intrigue, mais qui me
semble parfaits pour dresses une espèce d’état des lieux, rendre le côté sombre
de l’époque et, de fait, du contexte dans lequel va se dérouler l’histoire,
elle-même passablement entourée de noirceur…
Il ne faudrait pas oublier, parce que la menace de la
peste pourrait focaliser l’attention, le climat. Je parle météo, là. Comme je
le signalais au début du billet, les chroniques de l’époque signale cette
incroyable situation : de la pluie chaque jour de la Saint-Jean à la fin
de l’année ! Nous qui nous plaignons de notre printemps pourri et de notre
début d’été pas terrible…
C’est loin d’être anecdotique : pas de soleil pour
se réchauffer, la pluie qui demande de trouver chaque soir un abri pour passer
la nuit, des récoltes insuffisantes pour nourrir une population déjà sous la
menace de l’épidémie, des inondations qui obligent à faire des détours, une
crainte de voir le ciel finir par tomber sur leur tête (eh oui, même chez nos
voisins saxons !), du gibier qui souffre lui aussi et des territoires de
chasse parfois difficiles… Bref, pas vraiment une époque formidable, surtout
pour voyager à pied…
Ce climat éprouvant ajoute au côté ténébreux du roman,
puisqu’on n’y voit jamais le soleil, on a froid, on ressent cette humidité
jusqu’aux os, on souffre avec les personnages, qu’on suit depuis cet été qui
n’en est pas un, jusqu’à un hiver des plus rigoureux, en passant par un automne
qui ne vaut guère mieux… Et 1349 ne semble pas non plus commencer sous les
meilleurs auspices…
Entre la constitution de la Compagnie et les événements
tragiques qui se déroulent dans la seconde moitié du roman, Karen Maitland
parvient donc à créer un climat exécrable à tous points de vue, écrins parfait
pour nous mettre sous pression, autant que les personnages. Toute la première
partie est intrigante à souhait. On découvre chacun des protagonistes en
cherchant ce qui cloche chez lui…
Eh bien oui, ce n’est pas « Secret Story »,
c’est bien mieux, bien plus intelligent, mais on sait d’emblée qu’on a affaire
à des menteurs, par action ou par omission (et même les deux pour certains).
Alors, on émet des hypothèses, en attendant de voir si on est tombé juste et
surtout, comment ces secrets si dérangeants vont s’intégrer dans l’histoire.
Puis, quand la compagnie se retrouve livrée à elle-même
et que la mort, pas celle qu’on attendait, commence à frapper, là, on voit se
mettre en place un suspense diabolique. A chaque page, on s’attend à voir un
personnage disparaître et, à l’image du roman d’Agatha Christie dont j’ai
parodié le titre, on se demande qui sera le prochain sur la liste…
Avec une dimension fantastique indéniable qui intervient.
On point de se demander sérieusement si ce n’est pas la Providence ou le
Destin, choisissez le terme qui vous convient, qui punit ces hommes et ces
femmes pour leurs mensonges… Mais, bien sûr, la vérité est ailleurs (oui, je
sais, cette formule est déjà prise…) et ce qui va apparaître a de quoi nourrir
encore plus l’aspect thriller du roman…
Quant à la chute du roman, elle est imparable ! Là
encore, on se dit en tournant la dernière page, que nul n’échappe à son destin
et qu’aucune rédemption n’est suffisante pour effacer les mensonges passés…
Comme souvent, quand je commence à voir les pages restantes diminuer, je me
demande ce que l’auteur va nous proposer comme fin… Avec « la Compagnie
des menteurs », j’ai été servi, je l’ai trouvée à la hauteur de mes
attentions…
Une fin relativement ouverte, sans forcément qu’on ait
toutes les clés, toutes les explications, je sais que cela ne plaît pas
forcément à tout le monde, mais cela fait fonctionner l’imagination, après
tout ! Je suis certain qu’il y aura des interprétations optimistes et
d’autres (comme la mienne), franchement pessimistes, de cette fin. Comme avec
les runes, que nous avons évoquées plus haut !
Un conseil : soyez attentif dans votre lecture du
roman. On se rend compte au final que des indices ont été semés au long du
récit. Oh, pas toujours évidents à repérer a priori, mais ensuite, ou parfois
immédiatement, ils font tilt, on a une ampoule qui s’allume dans la tête, pour
nous signaler : oh, ça, c’est important !
Ces 660 pages m’ont transporté dans un autre lieu, une
autre époque, avec une redoutable efficacité. On n’est pas dans un thriller
classique, puisque les effets habituels ne peuvent s’appliquer au Moyen-Age, et
pourtant, qu’il est difficile de décrocher de cette lecture ! On se ronge
les ongles, on s’inquiète, on se pose une multitude de questions, on se méfie
de tous et de personne en particulier…
Ouf, quelle histoire, un livre atypique, qui nous plonge
dans un univers qui ne déparerait pas en fantasy et qui est propice à la mise
en place de nombreux ressorts narratifs. Ne vous attendez pas à une lecture sur
les chapeaux de roue, ce ne sera pas le cas. Mais, lorsqu’on est dans
l’histoire, on ne peut plus s’arrêter…
Et il n’y a pas de mensonge dans ce que je viens
d’écrire ! Juré, craché !!
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire