Oui, si on en reste à cette formule lapidaire, forcément, ça surprend un peu... Mais remis dans le contexte, vous allez voir que ça prend tout son sens. Car, on ne le redira jamais assez, le suicide est sans douleur, alors que la vie... Euh, je plaisante, c'était juste pour placer la chanson qu'on trouve dans le film "MASH", pas un mode d'emploi, hein ! Pourtant, c'est bien par une tentative de suicide que commence notre roman du jour. Un thriller assez déroutant, avec un personnage qui doit, tout au long des 420 pages du livre, lutter autant contre lui-même que contre une adversité d'une cruauté sans nom. Avec "Survivre" (en grand format Michel Lafon), Gregg Hurwitz nous offre une histoire rythmée, pleine de tension et de rebondissement et un héros comme on les aime : à la fois fort et fragile, altruiste et attaché à sa famille, prêt à tout et capable de se battre. Alors, oui, tout commence peut-être par une tentative de suicide, mais je vous assure que ça ne s'arrête pas là ! La preuve !
Nate Overbay a 36 ans et il n'a pas été épargné par la vie. Comme il s'était enrôlé dans la Garde Nationale pour payer ses études, il s'est retrouvé en Irak sans qu'on lui demande son avis, laissant derrière lui son épouse chérie, Janie, et sa jeune fille, Cielle. Il est rentré changé au pays, traumatisé profondément par ce qu'il a vécu dans le désert... Un changement qui a dégradé sa relation avec sa famille, jusqu'à la rupture, inévitable...
Voilà près de 9 mois que Nate n'a vu ni Janie, ni Cielle. Un choix qui n'a pas été fait de gaieté de coeur, croyez-le bien. En effet, s'il a disparu ainsi de la vie des deux personnes qu'il aime le plus au monde, c'est pour leur cacher sa lente dégradation... physique. Car, il y a 9 mois, il a apprit qu'il souffrait d'une maladie incurable, la maladie de Lou Gehrig ou maladie de Charcot. Il n'en a plus que pour quelques mois, il s'attend à vivre un vrai calvaire jusqu'à la fin.
C'est pour cela qu'on le retrouve, en ouverture du roman, debout sur une corniche située au 11ème étage d'un immeuble de Los Angeles, prêt à sauter, pour en finir avec ses souffrances et épargner son agonie à sa famille... Pour arriver là, Nate est monté au dernier étage de l'immeuble, est allé aux toilettes et est sorti par la lucarne de cette pièce, ni vu, ni connu...
Ah, oui, j'oubliais l'élément-clé : le bâtiment en question est une banque... Et, pendant que Nate se prépare psychologiquement à faire le grand saut, un commando s'introduit dans la banque, menace personnel et clients, fait même feu, laissant plusieurs personnes sur la carreau... Sur sa corniche, invisible, Nate assiste à toute la scène, médusé...
Et puis, avisant une arme tombée près de la fenêtre, sans doute celle du vigile, abattu par les braqueurs, Nate se met en pilote automatique. Oublié, le suicide, retour en Irak, appliquant mécaniquement tout ce qu'on lui a appris quand il était en uniforme sur un théâtre de guerre. Résultat, Nate entre dans la banque et se fait justicier, tuant 5 des 6 braqueurs.
Le dernier, le chef du groupe, apparemment, échappera au carnage, faute de munitions dans l'arme de l'ancien soldat. Nate va même être légèrement blessé par cet homme, auquel il n'a pu faire qu'une entaille au front en lui jetant son flingue vide à la figure... Celui qui Nate a baptisé mentalement numéro 6, mais qu'il ne fera pas prisonnier, va donc repartir bredouille, non sans menacer très explicitement l'homme qui a fait foirer son coup...
Et Nate Overbay, homme en sursis, continuant à vivre contre son gré, se retrouve alors dans une drôle de situation : à la fois le héros du jour, en boucle dans les médias, une véritable inconnue dans une équation sanglante pour les policiers et une cible à abattre pour le commanditaire du casse, qui n'est pas un enfant de choeur. Il est même tout le contraire... Un féroce, un vrai, pas le genre à se laisser contrarier par un mec sorti de nulle part pour descendre tout son commando...
Et surtout, quelqu'un qui n'en avait pas après l'argent entassé dans les caisses de la banque ou après des bijoux, non, il avait une raison bien précise pour organiser ce casse dans cette agence-là... D'où une colère décuplée contre cet empêcheur de braquer en rond. L'homme (dont je ne vais rien vous dire de plus...) va devoir trouver une nouvelle façon de mettre la main sur ce qu'il recherche...
Nate, lui, essaye de faire face. L'agent du FBI Marcus Abara, arrivé sur les lieux, est certain que Nate lui cache des choses... Il a raison sur ce point, mais il est à côté de la plaque dans son interprétation des faits. Le flic se demande si Nate n'était pas dans le coup avant, allez savoir pourquoi, de changer d'avis, peut-être pour doubler ses complices... Oui, c'est clair, il suspecte Nate d'un mauvais coup alors que l'homme n'a juste pas envie de raconter qu'il se trouvait là par hasard, prêt à se suicider... C'est déjà assez difficile comme ça, pas besoin de le crier sur les toits !
Nate, après cette péripétie, a renoué avec sa famille, sans toutefois leur raconter l'intégralité de l'histoire. Cielle est désormais adolescente et vit terriblement mal l'absence de son père depuis son enfance (entre l'Irak, la rupture et maintenant, la disparition, elle est en colère contre son géniteur) mais n'a pas renoncé en se tuer, il va juste changer de méthode, pense-t-il...
C'est alors que le commanditaire va se rappeler à son "bon" souvenir... De nouvelles menaces. Mais qu'en a-t-il à faire, lui qui ne souhaite qu'une seule chose : mourir ? Alors, le gangster va changer son fusil d'épaule. Une démonstration particulièrement efficace, pleine de raffinement et d'ingéniosité (je plaisante), qui pourrait convaincre n'importe quelle forte tête de coopérer...
Mais, pour impressionner Nate, ce n'est pas lui directement qu'il faut menacer, le commanditaire le sait. Alors, c'est Cielle qui est visée, clairement. Et là, ça change tout, car si Nate ne nourrit plus aucun espoir, condamné qu'il est, quoi qu'il arrive, sa fille, elle, ne doit pas pâtir de son "exploit". A lui d'accepter un deal totalement déloyal : ce que le commanditaire veut contre la vie de sa fille...
Pourtant, rien n'est aussi simple que ce que je viens de vous raconter. Il va falloir à Nate beaucoup d'abnégation et d'amour pour faire face aux événements tout en luttant contre une maladie qui se fait plus vivace chaque jour... Janie et Cielle ne vont pas pouvoir rester longtemps dans le secret des menaces qui pèsent sur la gamine... Et Nate ne peut pas tout accepter, même dans la situation impossible dans laquelle il est... A lui de survivre suffisamment longtemps pour mettre les femmes de sa vie à l'abri. Et, pour cela, il doit se révolter...
Difficile, vraiment difficile de se démarquer dans la masse de thrillers publiée chaque année des quatre coins du monde. Oh, je ne vais pas vous dire que "Survivre" est du jamais vu, un thriller d'une originalité incroyable, non. Mais, Gregg Hurwitz a su mettre en place une série de faits importants dans son histoire qui font, au final, qu'on ne s'ennuie pas une seconde.
Comme dit en préambule, son héros, son anti-héros, plutôt, est loin des canons traditionnels du protagoniste sans peur et sans reproche. Dans son geste, à la banque, il n'y a que l'expression d'un mécanisme ancré dans son métabolisme, celui du soldat entraîné pour tuer. Il ne fait certainement pas ça pour devenir une vedette médiatique, ni même par civisme. Sait-il d'ailleurs lui-même pourquoi il a agi ainsi, si ce n'est pour corriger ceux qui lui ont gâché son suicide ?
Par ailleurs, la maladie va jouer un rôle important et croissant dans le roman. C'est lorsque sa famille et lui sont le plus en danger que son corps va faire sécession, le handicapant fortement quand il aurait besoin de toutes ses ressources. Mais, pour le lecteur, cela ajoute à la tension, car on ne sait pas si une partie du corps de Nate ne va pas se paralyser au pire des moments, et cela donne un côté pathétique très touchant à cet homme, auquel on s'attache encore plus...
Diminué, Nate va devoir compter sur des alliés qui, eux, contrairement à lui, n'ont pas l'expérience du combat, et risquer ainsi d'exposer ceux qu'il voudrait protéger. Et les protéger non seulement de tueurs sans états d'âme, mais aussi des tentacules d'une véritable hydre qui semble se déployer tout autour de Nate et des siens. Quoi qu'ils fassent, les autres sont là, une présence naturellement menaçante, sans rien faire, ni rien dire...
C'est la fable du pot de terre contre le pot de fer, du roseau qui plie mais ne rompt pas, de David qui doit affronter Goliath... Inégal est ce combat entre un homme seul et malade et une organisation bien huilée et ayant une morale propre, qui ne s'accommode guère avec les lois américaines. Peu importe les victimes collatérales, la fin justifie les moyens, même les pires...
Mais "Survivre" est aussi un roman où la famille tient une place énorme. Famille démantibulée, en proie aux non-dits, et pas seulement entre Nate, Janie et Cielle. Toute cette affaire sera l'occasion de renouer avec un père dont même Janie, depuis toutes les années passées ensemble, ignorait l'existence. Comme si, en repoussant son suicide et en devant révéler sa situation à ses proches, il avait décidé de tout mettre en ordre...
Pourtant, le véritable lien qui est au coeur du roman de Gregg Hurwitz, c'est la relation entre un père et sa fille adolescente. Oh, que c'est dur, de dialoguer avec une demoiselle en colère, en rébellion (pas méchante, la rébellion, un look un peu destroy, un vocabulaire de charretier et un petit ami sorti d'un concert des Sex Pistols...) et, finalement, morte de peur d'arriver à l'âge où l'on doit prendre la vie à bras le corps, où on enlève les roulettes stabilisatrices pour avancer seule dans ce monde sans pitié...
Que c'est dur aussi de dialoguer quand on appartient pas à la même génération, qu'on n'a pas les mêmes codes, ni les mêmes repères ("c'est qui, Eric Clapton ?")... Déjà, le fossé se creuse naturellement, mais quand on y ajoute le traumatisme de Nate, sa séparation, vécue par Cielle comme un abandon, puis la maladie et l'approche inexorable de la mort...
Lorsque, enfin, le contact se noue, dans la douleur, le danger, la peur, on assiste à des scènes poignantes, comme celle où la fille dit à son père qu'il ne peut pas disparaître maintenant, qu'elle l'a à peine connu... Il en est conscient, il en a souffert tout autant, son suicide programmé était une sorte de geste altruiste, un peu tordu, pour que Cielle garde de lui l'image d'un homme fort, costaud, et pas moribond.
Et voilà que surgit cette histoire, et, dans la foulée, paradoxe terrible, l'occasion de renouer le lien, de le renforcer, de le pérenniser au-delà du destin contraire. Un endossant un costume de sauveur, sans garantie de réussite, Nate sait qu'il peut, si ce n'est effacer, en tout cas reléguer au second plan toutes ces années perdues, laissées dans les sables du désert...
Mais, cet aspect du roman va encore plus loin que ce que je viens d'exprimer. Sauf que je ne peux pas expliciter cet angle-là, parce que ce serait révéler tout un pan du roman qu'il faut vous laisser découvrir. Quand je vous dis que la relation entre père et fille adolescente est au coeur du thriller de Gregg Hurwitz, ce n'est pas juste une formule, c'est une réalité à laquelle on ne s'attend pas au départ avant de comprendre de quoi il en retourne.
Oh, un dernier point, j'ai évoqué le traumatisme subi par Nate en Irak et qui sera la première lézarde qui va saper l'édifice. Je ne vous expliquerai pas les conditions qui l'ont provoqué, mais il faut dire que ce n'est pas qu'un mot. Non, ce traumatisme accompagne véritablement Nate tout au long du roman, Hurwitz se permet une licence narrative un peu osée, mais qui colle et renforce la compassion qu'on ressent pour lui, non sans aussi ajouter une note d'humour noir... Nate est un personnage habité par la mort, et cela se manifeste chez lui de différentes façons, qui émaillent l'histoire, jusqu'aux dernières lignes du livre.
Je ne connaissais pas encore les romans de Gregg Hurwitz, même si je dois en avoir un autre, au moins, dans une des piles qui jalonnent mon appartement. Une vraie découverte et un excellent moment de lecture, une tension permanente, des personnages qui ne sont, malgré tout, ni tout noirs, ni tout blancs, je parle pour Nate et le commanditaire, essentiellement. On se laisse embarquer dans ce thriller plein de rebondissements auxquels on ne s'attend pas.
En revanche, on s'attend à un final crépusculaire et on est pas déçu. La force du désespoir contre la force brute, le "tout pour le tout" sans peur de mourir, puisqu'elle est là, la Camarde, elle attend son heure, pire encore que les ennemis bien humains auxquels se retrouvent confronté Nate. Le presque suicidé s'est trouvé une ultime raison de vivre, de survivre, plutôt, comme le dit bien le titre du roman, dans ce combat juste et inégal...
Et c'est comme un pied-de-nez à cette mort imminente, quelque forme qu'elle prenne... A moins que la mort elle-même ne soit l'ultime pied-de-nez de Nate Overbay à sa chienne de vie...
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