dimanche 18 août 2013

"Aujourd'hui, je suis reine. Autrefois j'étais libre" (Victor Hugo).

Une citation de "Rui Blas" pour ouvrir notre billet du jour pour parler d'un roman difficilement classable, une fois encore... A se demander si les auteurs, qui savent bien qu'un de nos passe-temps favoris, à nous Gaulois, est de coller des étiquettes, ne le font pas exprès... Simple roman historique ? Saga historique mâtinée de fantastique ? Ou carrément fantasy historique ? J'ai le choix de l'embarras, comme dirait l'autre... Disons que, pour ce premier volet, la tendance est au roman historique avec une goutte de fantastique dedans, comme on mettrait une rasade d'alcool dans un jus de fruit pour le relever un peu... Mais notre roman du jour est aussi un livre dans lequel on trouve deux magnifiques portraits de femmes, l'une qui appartient à l'Histoire, l'autre totalement fictive, aussi complémentaires que les deux revers d'une médaille. Dans le premier tome de "Le lit d'Aliénor" (en poche chez Pocket), Mireille Calmel met en place son histoire qu'elle va prolonger dans un second tome puis dans un deuxième diptyque, publié près de 10 ans plus tard. Entre une femme appelée à devenir reine et son amie et confidente au lourd secret, la relation s'annonce volcanique...





1133, la succession annoncée au trône d'Angleterre est compliquée... Selon toute logique, Mathilde devrait succéder à son père, Henri Ier, à la mort de celui-ci. Mais Etienne de Blois, lui aussi, brigue la couronne, comptant sur le peu de confiance que la noblesse anglaise a en Mathilde... Chez l'ennemi héréditaire français, là aussi, les doutes planent sur le prochain règne. Louis VI le Gros a perdu son fils aîné dans un accident et son cadet, qui se destinait à entrer dans les ordres, n'est pas vraiment taillé pour régner...

Tandis que Etienne et Louis se sont alliés, Mathilde, elle, espère que le fils qu'elle vient de mettre au monde, Henry, sera le souverain solide et fiable que l'Angleterre attend. Mais, avant que l'enfant encore dans ses langes ne monte sur le trône, il peut se passer énormément de choses... Comme un soutien français bien plus appuyé à Etienne, qui condamnerait probablement les projets de Mathilde...

Au coeur de ces jeux de pouvoir et de ces manigances politiques, se trouvent une région sur laquelle tous gardent un oeil attentif, car une alliance servirait parfaitement les projets des uns et des autres. Cette région, c'est l'Aquitaine. Or, dans ce duché, grandit une jeune fille qui va sur ses 12 ans et nommée Aliénor. Fille aînée du Duc Guillaume, c'est elle, sans même le savoir, qui va attirer toutes les convoitises...

Promise par son père à Henry, le fils de Mathilde, pourtant tout juste né, Aliénor est donc appelée à devenir reine d'Angleterre. Mais l'alliance avec l'Aquitaine revêt une telle importance que cette promesse ne tient qu'à un fil... Alors, afin de veiller sur Aliénor, mais aussi guider ses pas dans le bon sens, le sien, Mathilde décide d'envoyer auprès d'elle une personne de confiance qui saura entrer dans ses grâces...

Il faut préciser que Mathilde, comme nombre de ses aïeux, a conservé un lien très fort avec les traditions druidiques remontant au règne du légendaire roi Arthur. A ses côtés, comme aux côtés de nombre de souverains avant elle, Mathilde a pour plus proche conseiller une magicienne, Guenièvre de Grimwald. On dit que cette magicienne descend en droite ligne de l'Enchanteur Merlin lui-même et que c'est à cette ascendance qu'elle doit ses pouvoirs...

Guenièvre a une fille, Loanna, et c'est cette dernière qui a été choisie pour partir en Aquitaine avec pour mission de devenir l'amie, la confidente, la conseillère d'Aliénor. Nous sommes au début de 1137, Aliénor est devenue une ravissante adolescente à l'esprit fort indépendant. Dès son arrivée en Aquitaine, Loanna va conquérir Aliénor et leur complicité va aller croissant. Toutes deux ignorent encore que cette année sera décisive dans la vie de celle qui n'est encore que la fille du Duc d'Aquitaine...

La mort prématurée du Duc, lors d'un pèlerinage vers Saint-Jacques de Compostelle, va changer tout les plans. Louis VI, qui voit d'une mauvais oeil le possible futur mariage d'Aliénor avec Henry II va faire jouer son pouvoir : Aliénor, fille d'un de ses vassaux, est désormais orpheline, elle est donc placée sous la tutelle féodale du roi de France qui veut alors la marier au plus vite avec son fils... Un fils déjà pas très ravi de devoir abandonner la vie religieuse pour le pouvoir terrestre, et que l'idée d'un mariage n'enchante guère plus...

Couronnée reine lors des fêtes de Noël 1137, Aliénor découvre un époux avec lequel elle a peu de points communs... Lui est confit en dévotion, peu porté aux plaisirs de la chair et  loin d'être un homme de pouvoir... Elle est libre et indépendante d'esprit, et le revendique, elle aime l'amour, sous bien des formes, mais aussi la musique et les ballades des troubadours, enfin, elle est ambitieuse et a une grande soif de pouvoir...

Commence donc un règne curieux, entre les faiblesses d'un roi qui est sous l'influence permanente de son principal conseiller, l'abbé Suger, qui a des accointances fortes avec Etienne de Blois, devenu, entre temps, roi d'Angleterre, et les extravagances d'une reine qui voudrait bien prendre un peu plus à son compte les commandes du royaume...

Mais, si Louis VII a pour éminence grise Suger, Aliénor, sans en être consciente, est discrètement manipulée par Loanna. La mission de cette dernière a changé, elle aussi, en même temps que le mariage promis avec Henry tombait à l'eau. La voici qui doit maintenant essayer d'orienter les choix de la reine pour que cela serve les projets de Mathilde, en affaiblissant les alliances entre les couronnes françaises et anglaises. Et cela passe par la pousser à imposer sa volonté au roi sur des décisions qui ouvriront forcément à controverse... On peut le dire, le rôle de Loanna, c'est de semer la zizanie...

Voilà pour la partie historique, qui aboutira à la décision de lancer la seconde croisade, mais "le lit d'Aliénor", c'est aussi tout ce qui se passe autour, la relation de plus en plus étroite qui se noue, au fil des pages, entre la jeune reine et Loanna, la sorcière qui cache ses dons, en particulier ses visions au cours desquelles elle entrevoit des pans d'avenir... Et, autour de cette amitié, très forte, à laquelle Loanna elle-même va se faire prendre, malgré sa mission qui ne va pas vraiment dans ce sens, on voit la vie quotidienne de ces deux femmes et surtout, la personnalité d'Aliénor s'épanouir sous les yeux de Loanna...

Alors, hop, vous me connaissez, petit passage sur la personnalité des deux, en commençant par Aliénor. Je l'ai dit plus haut, elle est libre, passionnée, volontiers libertine et terriblement ambitieuse. Sa liberté, elle l'a conquise très jeune. Lorsqu'on la découvre, alors qu'elle n'a pas encore 12 ans, elle est déjà une jeune femme qui mène sa vie comme elle l'entend et hors de question d'essayer de lui faire changer de cap !

Passionnée et libertine, on s'en rend compte très rapidement. L'amour, qu'il soit courtois ou physique, plaît à Aliénor et elle entend bien prendre le plus de plaisir à cela. Aliénor aime vivre entourée de troubadours et d'une cour où  l'on se compte volontiers fleurette. Mais, que serait ces badinages sans conclusion ? Or, Aliénor a en la matière des goûts éclectiques et c'est elle-même qui va initier Loanna au plaisir...

Par la suite, cette question des appétits sensuels d'Aliénor sera un levier très important auquel recourra Loanna pour asseoir sa position de confiance auprès de la reine. Connaissant parfaitement son ami, elle anticipe ses besoins en la matière, sachant répondre à des attentes non encore formulées... Une intimité qui va aussi permettre à la sorcière de parfaitement jouer son rôle de trouble-fête quand la question de donner un héritier au trône de France va se poser...

Et puis, il y a donc cette ambition galopante, pas forcément bien canalisée, car la reine est quelque peu fougueuse. Dans le flou d'un pouvoir placé aux mains d'un homme qui n'en veut pas vraiment, Aliénor grignote, régentant la vie au palais selon ses souhaits, imposant son étiquette, prenant des décisions politiques ou poussant le roi à les prendre... Oui, Aliénor, dont le caractère bien trempé saute aux yeux dès ses premières apparitions dans le live, est une femme de pouvoir.

Reste à savoir si elle est éclairée... Ce qui est différent. L'autorité, on voit bien qu'elle l'a, et naturellement. Mais prend-elle ses décisions à bon escient, ne se laisse-t-elle pas trop porter aussi par son indépendance et son côté libre et affranchi des normes de son époque ne l'induit-il pas parfois en erreur ? Mireille Calmel, en jouant avec les faits historiques et en introduisant le personnage de Loanna dans son entourage proche, orchestre parfaitement ces atermoiements pour en faire les tenants de la machination en cours.

Le portrait d'Aliénor est celui d'une femme impétueuse et têtue, qui donne parfois l'impression que l'exercice du pouvoir lui sert à imposer des volontés personnelles avant tout. Loanna, dont la personnalité plus sobre et réfléchi, devrait être là pour tempérer ces ardeurs, mais, on l'a compris, sa mission, c'est plus d'attiser les braises, avec tact car l'objectif n'est pas de tout embraser non plus.

Cette étrange complémentarité est au coeur de ce premier volume. Car, Loanna, en arrivant en Aquitaine, va découvrir deux sentiments qui lui étaient jusque-là inconnus : l'amitié et l'amour. L'amitié avec Aliénor a commencé avant qu'elle ne devienne reine, elle s'est vite et sincèrement approfondie. Mais, le sacre d'Aliénor a changé la donne, puisque voilà Loanna obligée, pour atteindre les objectifs qui lui ont été fixés, de trahir cette amitié.

L'exemple parfait, c'est le travail mené autour de la maternité d'Aliénor. Loanna ment à Aliénor, disons les choses telles qu'elles sont, et j'ai eu l'impression qu'elle en avait des remords. Etre dévouée à la reine tout en faisant son malheur, c'est pour le jeune sorcière, quelque chose de difficile à accepter. On imagine ce qui pourrait se passer si ses secrets finissaient par être éventés... La colère d'Aliénor ne doit pas être agréable à subir...

Et puis, j'ai parlé d'amour. Loanna, à la cour d'Aquitaine, va rencontrer Jaufré, un troubadour dont elle va tomber amoureuse. Un amour aussi soudain que réciproque. Mais Loanna est à Aliénor, et surtout, elle ne peut s'éloigner de son amie et la suivre quand elle va monter à Paris, tandis que Jaufré doit rester en Aquitaine.

Voilà un amour terriblement romanesque, un amour fort mais rendu impossible par la situation. Une impossibilité aggravée par le fait que Loanna ne peut expliquer sa décision aussi clairement qu'elle le souhaiterait idéalement... Jaufré en est miné, se consumant d'amour et prenant la décision de Loanna comme un camouflet. Et voilà une nouvelle source de culpabilité pour la jeune sorcière...

Enfin, parce que "le Lit d'Aliénor" est aussi un roman d'aventures, il y a les ennemis, les manipulations et les chausse-trappes adverses... Loanna, dont le patronyme est connu d'Etienne de Blois et donc de Suger, a, comme toutes les femmes de sa lignée, une réputation. Difficile de s'en prendre à elle de front en l'accusant d'être une sorcière, mais l'idée de lui faire perdre sa crédibilité ou de s'en prendre à elle discrètement pour l'éliminer ne cesse de s'amplifier au fil de ce premier tome...

Dans cette lutte sans merci à distance, tous les coups sont permis et Loanna va devoir se méfier d'une redoutable adversaire, la vénéneuse Béatrice, âme damnée de Suger...Un corps d'ange avec une âme de démon, celle-là, et elle va donner bien du fil à retordre à Loanna dès son apparition à la cour... Dans ce combat, Loanna va bénéficier de l'appui d'un ami, rencontré sur le chemin menant à Paris. Il s'appelle Denys et, grâce sa rencontre avec Loanna, il va gagner un destin, lui qui, jusque-là, avait toujours vécu dans une situation précaire et inconfortable, en proie à des jalousies intenses...

Je n'en dis pas plus sur Béatrice et Denys, je vais vous laisser les découvrir. Mais j'en parle car je crois ces personnages appelés encore à jouer des rôles importants dans la suite de ce diptyque. Un mot sur la dimension fantastique du roman que j'ai évoquée en ouverture du billet. Elle est assez discrète dans ce premier volet, mais prend une importance croissante en fin de volume, aussi bien en importance en terme narratif que dans son expression concrète...

D'abord, ce sont surtout des visions, en particulier une sorte de communication télépathique, si je puis utiliser ce terme, avec sa mère, Guenièvre, qui lui apporte conseils et la rassure sur la conduite à tenir. On peut aussi évoquer une connaissance parfaite des plantes et de leurs effets sur le corps humains, ce qui relève plus de l'herboristerie que de la sorcellerie... sauf que dans le contexte, cela pourrait valoir bien des ennuis à Loanna...

En revanche, en fin de roman, certains événements que je ne vais évidemment pas vous raconter ici, laissent entrevoir non seulement d'autres aptitudes tout à fait remarquables, en particulier sur le psychisme, mais on comprends aussi que Loanna bénéficie de protections puissantes et que, si en partant pour l'Aquitaine puis pour Paris, on pourrait la croire livrer à elle-même, c'est en fait loin d'être le cas...

Mais les événements de la dernière partie du livre vont aussi pousser Loanna à dévoiler son jeu, pas devant tout le monde, évidemment, Aliénor n'est pas concernée par ses révélations, mais, là encore, Loanna se trouve confrontée à une situation nouvelle : se montrer telle qu'elle est à quelqu'un qui n'est pas de sa sphère et surtout, lui faire une confiance sans borne, alors que ce qu'elle lui apprend pourrait aisément se retourner contre elle, la mettre en terrible danger et faire échouer sa mission...

Au final, ce premier tome installe d'une part la relation entre Aliénor et Loanna, mais aussi le contexte historique dans lequel se déroule cette histoire et qui joue un rôle important. D'ailleurs, sans trop en dire, si vous ne connaissez pas le destin d'Aliénor, il est tout à fait extraordinaire dans notre Histoire et je comprends que Mireille Calmel ait eu envie d'en faire un personnage de roman.

On y découvre tous les personnages qui sont appelés à jouer un rôle dans la suite de ce diptyque, mais aussi, pour certains, dans les deux autres romans que l'écrivain a consacrés au personnage d'Aliénor. On commence aussi à voir apparaître celui qu'on appelle déjà Henri Plantagenêt, celui qui régnera bientôt sur l'Angleterre et, là encore, sans entrer dans les détails, le peu qu'on voit de ce jeune garçon instaure un contraste entre l'image qu'on a du grand roi qu'il fut et sa personnalité semble-t-il, assez rude, violente... A suivre, là aussi.

J'ai découvert l'univers de Mireille Calmel (soyons franc, toutes ses histoires ne m'attirent pas) et je ne le regrette pas. J'ai même envie, rapidement, de retrouver la suite du "Lit d'Aliénor" et d'attaquer le second diptyque. L'équilibre entre l'Histoire et le romanesque pur est réussi, je trouve, la touche, encore discrète, de fantastique apporte vraiment quelque chose et est surtout utilisée avec habileté... On sent que les personnages ne sont pas au bout de leurs peines et que de nouvelles embûches les attendent...

Alors, rendez-vous sans doute dans quelques semaines pour reparler d'Aliénor d'Aquitaine, reine de France, et de son amie, la sorcière Loanna de Grimwald.


3 commentaires:

  1. J'avais beaucoup aimé ce diptyque également et, comme toi, j'avais trouvé l'équilibre parfait entre Histoire, histoire et fantastique. Il me semble que j'avais eu une petite préférence pour le tome 1, cela dit. J'ai le 1er tome de la suite dans ma PAL, peut-être réussiras-tu à me l'en faire sortir !

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  2. J'ai lu ce premier tome il y a déjà fort longtemps et pour ma part, je n'avais pas été terriblement convaincue. Je crois que c'est lié aux histoires de sensualité. Non que je me formalise des goûts inhérents à chacun, mais j'avais trouvé que plus qu'un ressort narratif, c'était devenu une sorte de fin en soi... je me rends compte que ça m'a fait le coup pour une autre série (bien moins habile en termes stylistiques en revanche). Quand ca sert l'histoire, ça me convient. Tout me convient à peu près, si je sens que c'est vraiment un outil utilisé à bon escient. Quand l'histoire devient prétexte, ce dont j'avais eu ici l'impression (peut-être à tort), ça finit par me gonfler :) Peut-être que je réessaierai un jour :)

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  3. Tu sais quoi ? tu me donnes terriblement envie de le ressortir de ma bibliothèque (et pourtant je l'ai déjà lu un nombre incalculable de fois).

    Par contre, j'avais été un peu déçue par le 1er tome du deuxième diptyque… il faudrait sans doute que je m'y penche une nouvelle fois.

    Merci pour ce nouveau partage , Mireille Calmel est une auteur qui vaut le détour :)

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