Le bien et le mal... Y a-t-il un thème plus ancien que celui-là ? Ils sont nombreux, les artistes, les écrivains, à avoir apporté leur écot à cette thématique universelle. Souvent, en mettant bien et mal en opposition, en lutte l'un contre l'autre. Ici, dans le roman qui nous concerne, il n'y a pas cette lutte, mais une réflexion sur la définition de ces deux concepts et sur leur cohabitation... Oh, ça a l'air bien sérieux, dit comme ça, c'est vrai, mais, le tout est servi par une écriture impeccable et un cynisme implacable qui fait de ce voyage à travers le XXème siècle, un bonheur de lecture. De quelle nouveauté s'agit-il, vous demandez-vous ? Eh bien, ce n'en est pas une, c'est même un roman qui a désormais plus de trente ans d'âge, figurez-vous ! Un roman réédité l'an passé dans la collection "Pavillons Poche", chez Robert Laffont, dans la traduction originelle, signée Georges Belmont et Hortense Chabrier. Plus qu'une traduction, une vraie adaptation, tant Anthony Burgess (eh oui, c'est lui l'auteur !) a choisi de jouer sur et avec les mots dans ce roman, moins célèbre que "L'Orange Mécanique", autre de ses oeuvres, mais véritablement passionnant. Ah, dernier point, accrochez-vous, car "les puissances des ténèbres", c'est son titre, fait la bagatelle de 1014 pages ! Une somme, mais qui se lit toute seule, juré, craché !
La journée du 23 juin 1971 va changer la vie de Kenneth Toomey, et de plusieurs façons... Pourtant, tout s'annonçait pour le mieux, même si l'homme devait fêter ses 81 ans ce jour-là. La vie à Malte est plutôt douce, il a suffisamment d'argent pour pouvoir vivre une retraite paisible et son amant, Geoffrey, a beau être un exécrable secrétaire, il n'en est pas moins, la plupart du temps, un excellent compagnon...
Mais voilà qu'on frappe à la porte. Oui, je sais, ce que je vais dire sonne un peu comme une blague ou une pièce d'Eugène Ionesco, mais c'est ainsi : c'est l'archevêque de Malte qui souhaite voir Kenneth Toomey, sans plus attendre... Une Excellence, en personne, chez un homme qui n'a plus la foi depuis longtemps et honorablement connu pour son homosexualité ! Diantre !
Si le prélat s'est rendu chez Tommey, c'est pour faire appel à l'écrivain que fut, que reste cet homme. Voilà un demi-siècle que Kenneth Toomey a fait son entrée en littérature, même s'il ne s'est jamais considéré comme un grand écrivain. Ecrivain populaire, connu dans une bonne partie du monde, lu et apprécié par un public nombreux et fidèle, mais pas exactement un candidat pour la Pléiade, par exemple... D'autant qu'à ses débuts, il a "sévi" au théâtre, avec des opérettes qui ne sont pas restées dans les mémoires mais faisaient rire une Angleterre marquée par la première guerre mondiale...
Il en sera de même pour les scénarios des films qu'il signera par la suite à Hollywood, un bon nombre n'arrivant même pas jusqu'au tournage (mais quelle importance, tant qu'on touche son cachet malgré tout ?). Bref, Kenneth Toomey a peut-être acquis avec l'âge et l'expérience, une flatteuse réputation, mais pas au point de se retrouver avec un archevêque en grande tenue sur le pas de sa porte...
Alors, que fait-il là, ce brave homme ? Eh bien, il vient rappeler à l'écrivain un passé que celui-ci croyait révolu. En fait, il vient demander à Toomey d'écrire un texte par lequel il attestera d'un miracle dont il a été témoin, croit-il savoir, dans les années 1920... Un miracle réalisé par un homme qui a fait bien du chemin ensuite... jusqu'à devenir pape, sous le nom de Grégoire XVII.
Un pape extrêmement populaire, décédé quelques années plus tôt et qu'on envisage désormais de canoniser. Or, pour le procès en canonisation, il faut apporter la preuve que la personne concernée, parmi d'autres exigences, est à l'origine d'un ou plusieurs miracles au cours de son existence, et même après sa mort. Là, avec Toomey, dont on dit qu'il a été témoin direct du miracle, l'argumentaire serait solide et l'auréole pratiquement posée sur la tête du père Carlo Campanati, pape sous le nom de Grégoire XVII...
La demande laisse pantois Toomey qui s'attendait à tout, sauf à cela... Il demande un temps de réflexion à l'archevêque, mais on sent que le vieil écrivain a bien envie de décliner la proposition. Comme s'il ne se sentait pas à sa place dans cette affaire. Oui, quelques jours de réflexion et ensuite, il renverra l'archevêque à sa mission pastorale, Campanati à sa tombe et l'hypothétique miracle aux oubliettes de sa mémoire...
Mais, des événements vont encore changer la donne... Le soir même, Kenneth et Geoffrey sont invités à l'antenne locale du British Council, où un dîner doit avoir lieu en l'honneur de Kenneth et pour célébrer son anniversaire. Pas franchement enchanté, l'écrivain finit par accepter d'y aller, mais il aurait mieux fait de se casser une jambe... La soirée est un fiasco complet, hilarante pour le lecteur, terriblement gênante pour la plupart des convives, à commencer par Toomey lui-même...
Au retour, éclate une violente dispute entre Kenneth et Geoffrey, suivie par un malaise du vieil homme, dont le coeur a toujours été fragile. Le lendemain matin, Kenneth, revigoré par la nuit, a pris plusieurs décisions : d'abord, il va écrire le texte sur le miracle demandé par l'archevêque de Malte ; ensuite, il va se séparer de Geoffrey qui a dépassé les bornes et qui doit surtout quitter Malte rapidement avant que des ennuis passés le rattrapent ; pour faire taire Geoffrey, qui pourrait fort bien parler à la presse ou écrire, il va le payer ; et, enfin, en retour de cette rémunération, il va lui demander un travail, aller à Chicago et réunir tout ce qu'il peut trouver sur le fameux miracle...
Car Toomey a la mémoire qui flanche un peu... Il n'est plus très sûr de ce qui s'est passé à Chicago, lors d'une visite dans un hôpital en compagnie de Don Carlo Campanati, encore simple prêtre, à l'époque. Il n'a pour référence qu'une nouvelle qu'il a écrite sur le sujet, mais il se connaît bien : il est un romancier dans l'âme, un auteur de fiction jusqu'au bout des ongles, il peut donc très bien avoir écrit quelque chose qui n'a rien à voir avec les faits véritables...
Voilà comment Kenneth Toomey, presque malgré lui, et gêné aux entournures par des faits qu'on va découvrir au fur et à mesure de son récit, va nous relater sa vie et sa carrière, au cours desquelles le personnage de Don Carlo Campanati va apparaître très régulièrement. Parce que ce saint homme (enfin, pas encore tout à fait) et l'écrivain n'ont pas seulement appartenu à la même famille, mais ils ont, d'une manière assez étrange, sans presque y toucher, nourri une vraie amitié, peut-être la seule véritable amitié de l'un comme de l'autre.
Car la famille sera importante dans ce roman, alors qu'on a d'un côté, un homosexuel obligé longtemps de se cacher, voire de se faire discret, à des époques ou dans des pays où cette orientation sexuelle est encore condamnable, et de l'autre, un prêtre que les questions autour de la chair ne semble pas concerner une seconde... La faute aux fratries !
Kenneth Toomey a un frère, Tom, militaire pendant la première guerre mondiale, gazé à cette occasion, et qui deviendra ensuite un comédien de renom, au comique léger mais efficace, et une soeur, Hortense, un prénom français, en hommage à la famille de leur mère, dont c'était la nationalité. Quant à Carlo, il a une soeur, qui finira mère supérieure dans un couvent, et un frère, Domenico, dont la vocation, lui, a pour objet la musique... A l'image de Kenneth, d'ailleurs, sa carrière n'atteindra jamais les objectifs fixés, malgré un indéniable succès et des récompenses multiples...
Comme les parents des deux hommes, ces frères et soeurs aussi seront très présents dans le livre, en particulier Hortense et Domenico, qui vont se marier, d'où l'appartenance de l'écrivain et du prêtre à la même famille, même si c'est par une alliance éloignée... Mais, la relation entre Kenneth et Carlo va aller au-delà de ça, on va y revenir.
Car, il me faut d'abord parler d'autres choses, eh oui, je sais, je "tease", pour vous tenir en haleine, chers lecteurs, ah, ah, ah ! De la personnalité de nos deux personnages centraux. En commençant par Kenneth Toomey, dont j'ai déjà dit beaucoup. Il faut pourtant préciser quelques points. Sur sa foi, ou plutôt, la disparition de sa foi. Lorsqu'il entame ses souvenirs, nous sommes en 1917. Son coeur fragile lui a épargné l'horreur des tranchées.
Peu lui chaut qu'on puisse le voir comme un lâche, ce qui le turlupine est d'une toute autre nature. Depuis qu'il a 14 ans, Kenneth sait qu'il n'aimera jamais que des garçons... A 27 ans, il vit clandestinement en couple avec un jeune poète, le genre poète maudit, Val Wrigley, assume en privé cet état de fait, mais n'arrive pas à concilier cela avec la foi, héritée de son éducation très catholique... L'Eglise condamne l'homosexualité, affirme que les homosexuels font le mal... Qu'en est-il pour lui, qui n'a pas l'impression d'être un mauvais croyant ?
Les réponses obtenues auprès de prêtres ne le satisferont pas et voilà comment Kenneth Toomey va perdre la foi. Pas au point de devenir un athée pur et dur, disons plutôt un agnostique convaincu. Mais, sa rencontre avec Don Carlo Campanati, presque fortuite, d'abord en Sardaigne puis, dans des endroits divers et variés du monde, va remettre ces questions sur le devant de la scène. Pas directement, mais dans l'esprit de l'écrivain.
Au cours de son existence chaotique, sans doute marquée aussi par cette impression tenace de faire le mal et par les risques encourus, Kenneth ne sera vraiment amoureux qu'une seule et unique fois, une histoire dramatiquement avortée. Le reste du temps, soit il vivra seul, ayant recours à des relations tarifées quand le besoin s'en fera sentir, soit à la colle avec des amants, comme Val ou Geoffrey, déjà cités, qui resteront à ses côtés plus ou moins longtemps et auront pour point commun, de tous finir par faire son malheur...
Je ne reviens pas sur sa carrière, mais un mot d'Hortense, qui va donc se marier devenir la belle-soeur d'un futur pape. Elle aussi, comme toute la famille Toomey, en fait, aura une vie marquée par les drames. Devenue sculptrice, artiste en vue, mère de jumeaux, elle connaîtra son lot de malheurs, à l'image de ses frères... Elle y perdra surtout sa joie de vivre, si rafraîchissante au début, mais ne lâchera jamais prise et sera aux côtés de son frère jusqu'au terme du livre.
Quant à Carlo, lui, vous allez comprendre en quelques mots, pourquoi Kenneth reste pour le moins interdit quand on vient lui apprendre qu'il est appelé à devenir saint... Très porté sur la bonne chère et les boissons qui vont habituellement avec, joueur redoutable capable, par d'étonnantes martingales, de faire sauter les banques des casinos, pratiquant des exorcismes sans état d'âme, sans garantie de résultat et comme si cela faisait partie pleinement de son job de prêtre, prêchant des idées qui lui vaudront d'être accusé de marxisme... Un iconoclaste qui s'éleva aussi contre Mussolini au grand dam du clergé de l'époque, ravi d'avoir signé les accords du Latran...
Bref, Don Carlo Campanati pourrait facilement passer pour une brebis galeuse au lieu d'être un berger guidant ses fidèles... Mais le prêtre possède quelque chose d'incroyable : un charisme sans égal. Certains diront que sa foi imputrescible est la source de ce rayonnement, d'autres y verront une roublardise digne du plus finaud des politiques... Il n'empêche que ce prêtre, qui va grimper les échelons peu a peu jusqu'à la papauté, le fera en martelant un unique discours : l'amour.
Pour lui, le bien est inné chez l'homme et le mal est l'arme du diable pour détourner l'homme du droit chemin. Jamais l'homme n'est lui-même mauvais. Mais alors, un homosexuel, vilipendé par l'Eglise ? Là, c'est plus flou... Pourtant, quoi qu'il en dise, Toomey aussi va ressentir une certaine fascination, peut-être même de l'admiration pour Carlo... Au point d'accepter une offre assez surprenante que lui fera l'ecclésiastique.
Kenneth Toomey publiera un long essai, retravaillé par sa plume d'écrivain de métier, dans lequel il exposera un programme de réforme de l'Eglise. On est encore dans l'Entre-deux-Guerres, ce n'est même plus iconoclaste ou d'avant-garde, non, cela frôle l'hérésie... On y parle de rompre avec le monopole du latin pendant les offices, d'utiliser les langues vernaculaires, de se tourner plus vers les pauvres, retrouver la vocation initiale de l'église, loin des ors et des fastes du Vatican...
Un texte qui, sans doute, aurait fait un immense scandale s'il avait été publié sous le nom de son auteur véritable, Don Carlo Campanati, mais qui va un peu passer inaperçu à sa sortie. Il sera moqué même, par certains, qui se demandent quelle légitimité un écrivain sans foi et dont l'homosexualité n'est qu'un secret de Polichinelle peut avoir pour réformer l'Eglise catholique romaine et ses presque deux millénaires d'existence...
Pourtant, devenu pape, Greoire XVII ressortira ce programme, presque électoral, et essayera de le mettre en place, au grand dam des plus conservateurs, à travers un concile qui défraiera la chronique. Tout cela ne vous rappelle peut-être rien, mais, si on lit entre les lignes, on comprend bientôt que, sous le personnage de fiction Don Carlo Campanati, se cache un véritable personnage historique : Angelo Roncalli, devenu pape sous le nom de Jean XXIII.
Mais, la mécanique est là : si Kenneth ne symbolise pas à 100% le mal, ou l'humain détourné de la conduite idéale par le diable, d'autres, partie prenante des événements historiques de ce siècle étant bien plus aptes à cela, il est quand même le pendant de ce saint homme, oint de bonté et d'amour de la tête aux pieds, écouté, révéré, adulé...
Carlo Campanati est clairement l'incarnation du bien, qu'aucun doute apparent ne semble traverser, tandis que Kenneth Toomey ne cesse de se débattre avec ses démons, intérieurs, ceux-là, qui minent l'image qu'il a de lui-même. Kenneth est en éternelle quête de rédemption quand Carlo est en quête de sainteté... Mais tous les deux ont une soif commune : celle d'être aimé. Tous les deux souffrent d'une solitude inouïe, parfois choisie, parfois subie ; ni l'un, ni l'autre n'aura sans doute connu un véritable bonheur terrestre. Pour Kenneth, vous avez sans doute compris pourquoi, pour Carlo, il faudra lire le millier de pages du livre !
Tout comme il vous faudra les lire si vous voulez comprendre le retournement de situation final et l'explication des doutes de Toomey quant à la sainteté de son ami Pape. Oh, ne vous attendez pas à voir Grégoire XVII devenir un monstre, révéler des travers inavouables, non, jusque dans la mort, il sera fidèle à ses idéaux de simplicité et d'amour. Mais, tout repose sur le fameux miracle et sur le cynisme consommé de Burgess...
Avec ce dilemme : d'un bien, peut-il sortir un mal effroyable ?
"J'imagine qu'aucun de nous n'était vraiment mauvais. En tout cas, nos intentions étaient bonnes", dit Hortense à son frère, en fin de roman, résumant en une phrase tout le propos du livre. Burgess aurait pu le titrer "l'enfer est pavé de bonnes intentions", d'ailleurs, mais il a choisi ce titre "les puissances des ténèbres", qui sera explicité en cours de roman, car elles sont, finalement, comme les voies du Seigneur : impénétrables. Même pour un pape, infaillible. Même pour un saint. Et donc, a fortiori, pour un écrivain rongé de doutes et de scrupules.
Oui, entre Kenneth et Carlo, à chacune de leurs rencontres, est posée la question du bien et du mal. Et même lorsque Kenneth observe le monde autour de lui, cela revient sans cesse. Lui est voué, apparemment, à échouer dans ce qu'il entreprend, échouant dans chaque entreprise, quand l'autre monte, marche après marche, vers le piédestal sur lequel les mots de Kenneth l'installeront certainement... A moins que, une fois encore...
De Londres, guindée, froide, à Paris, Monaco, l'Italie, avant et pendant le fascisme, l'Allemagne nazie, la Malaisie, sans oublier l'Afrique et les Etats-Unis, de Chicago à Hollywood, sans oublier New York, Burgess nous emmène en voyage à la suite de Kenneth Toomey. A chaque étape des histoires, qui inspirent l'écrivain présent dans le roman, mais aussi l'écrivain qui signe le livre.
Car, amusez-vous à lire une courte biographie d'Anthony Burgess, et vous serez sans doute frappé de voir les points communs que l'auteur, le vrai, a avec son personnage. Ses personnages, même, devrais-je dire, car s'il partage des choses en commun avec Kenneth, comme Jean XXIII en a avec Gregoire XVII, on en trouve aussi avec Domenico Campanati. Mais j'espère que cela s'arrête aux ambitions musicales...
Il y a aussi un très amusant clin d'oeil à "l'Orange Mécanique", dans la dernière partie du livre, comme une mise en abîme. Ajoutez quelques lignes, dans lesquelles Kenneth explique qu'un de ses romans est le récit de faux mémoires, sous couvert de la biographie imaginaire d'un écrivain né 20 ans avant lui, grosso modo, comme Kenneth, dont le récit commence en 1917, année de naissance de Burgess, et son créateur.
Un jeu qui se poursuit d'ailleurs quand Kenneth avoue régulièrement avoir des trous de mémoire, mélange les époques, fait quelques anachronismes, avoue mélanger les réactions des uns et des autres ou ne plus se souvenirs des mots exacts de chacun ou des faits tels qu'ils se sont passés... Burgess joue avec nous et l'on peut se demander si ce texte, signé Kenneth Toomey, n'est pas en fait le dernier pied-de-nez littéraire d'un écrivain qui sent sa dernière heure prochaine et qui a finalement tout inventé comme une gigantesque farce...
Une réussite, car au-delà du côté sérieux de ce que j'ai exposé plus haut, "les puissances des ténèbres" sont aussi un roman très drôle, usant de la caricature et de la satire avec une férocité sooo british, comprenez : pince-sans-rire et tout en flegme. Même certains épisodes dramatiques présentés dans le roman suscitent le sourire, quand d'autres, eux, émeuvent sincèrement (je pense à la fin du séjour de Kenneth en Malaisie, le destin de son neveu, Johnnie ou la fin poignante d'un personnage secondaire mais important, Dorothy).
Enfin, dernier point (oui, je sais, c'est long, mais avouez que, le roman faisant 1000 pages, je me suis bien restreint !), "Les puissances des ténèbres" sont aussi une chronique très intéressante de la vie littéraire et artistique du XXème siècle, des années folles naissantes jusqu'aux seventies, que nos vieillards ont bien du mal à cerner... Le tout, à la sauce Burgess, évidemment...
On croise Joyce (tiens, encore un point commun entre Kenneth et son créateur, qui a beaucoup écrit sur l'auteur d' "Ulysse"...); Kipling, Maugham, HD Lawrence, Aldous Huxley, Jerome K. Jerome ou encore Orwell, de mémoire, chacun n'ayant pas un rôle à proprement parlé, mais étant cités car connus personnellement par Kenneth.
Là encore, ce qu'on dit d'eux est sujet à caution, bien sûr, tout comme ce qui touchera à la musique et aux arts plastiques, à travers Domenico et Hortense, certains artistes en prenant pour leur grade, mais aussi le système dans lequel ils gravitent... La vacherie de Burgess égratigne, mais elle en apprend aussi pas mal sur ce microcosme littéraire britannique du tournant des XIXème et XXème siècle...
Et, puisque je parle des écrivains, je ne peux m'empêcher de finir avec un exemple qui illustrera tout ce que je viens de dire, à la fois sur le contexte du récit et l'esprit de Burgess... Parmi les écrivains qui jouent un rôle secondaire mais important pour l'histoire, on trouve Jakob Strehler. Oh, ne cherchez pas, c'est une invention de Burgess... Un écrivain autrichien, juif, prix Nobel de littérature en 1935, sorte de modèle littéraire pour Kenneth, qui le porte au pinacle et rêve de le rencontrer... Mais, les conséquences de cette rencontre n'auront rien à voir avec l'écriture, oh non, et elles pèseront lourd dans la vie de Kenneth... Là encore, en oscillant entre drame et pochade...
Voilà, vous l'aurez compris, j'ai pris grand plaisir à lire ce "vieux" roman, réédité dans une collection ou ressortent pas mal de titres moins connus d'auteurs anglo-saxons du XXème siècle. Amusant de confronter cette lecture qui date de 30 ans aux questions actuelles sur l'homosexualité, sur un pape auquel on compare beaucoup le nouveau Souverain Pontife, la foi dans le monde moderne, à la vie artistique et à la dichotomie entre succès et qualité, les chocs culturels d'un pays ou d'un continent à l'autre, etc.
Oui, je suis conscient qu'un pavé de plus de 1000 pages puissent freiner le lecteur, voire effrayer, mais vous avez là une lecture d'une richesse peu commune au cours de laquelle, j'en suis certain, vous ne vous ennuierez pas une seconde. Et c'est aussi l'occasion de découvrir ou redécouvrir un grand écrivain, Anthony Burgess, pas seulement à travers "l'Orange Mécanique", encore fort lisible également, mais aussi dans ce roman ou dans d'autres, car, s'il est devenu tardivement écrivain, il a été très prolifique !
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