vendredi 9 août 2013

"Pourquoi le fait divers d'aujourd'hui aurait-il été moins sanglant que le mythe des temps anciens ?"

Le fait divers, une vraie source d'inspiration pour les écrivains, et pas seulement les auteurs de polars ou de thrillers, d'ailleurs. Oui, en s'inspirant d'un fait divers, on peut raconter des histoires en collant à la réalité, comme Morgan Sportès, avec "l'Appât" ou "Tout, tout de suite", ou bien comme cette collection, chez Grasset, "ceci n'est pas un fait divers", dans laquelle des écrivains revisitent des événements qui ont défrayé la chronique en leur temps. On peut aussi partir du fait divers pour créer une fiction complète, comme vient de le faire Michel Quint, avec son dernier livre en date, "En dépit des étoiles", publié chez Héloïse d'Ormesson. Un roman qu'on peut classer différemment, selon les sensibilités, soit en littérature générale, comme la majorité des romans publiés chez EHO, soit, comme je vais le faire, en roman noir, en polar, même, car on a une intrigue et une enquête dans ce livre qui met aussi en scène une ville et ses alentours, la métropole Lilloise.





Jules, la trentaine, est homme à tout faire pour l'agence immobilière familiale, tenue par son oncle, sa tante et sa mère... Une dynastie familiale dans laquelle il a trouvé son rôle. Car, s'il y a, dans le terme homme à tout faire (qui est le mien, je précise), une dimension tout à fait clair, entretien du parc, remise en état des lieux qu'on met en vente ou en location, petits travaux par-ci, par-là. Et puis, une autre dimension, plus obscure, dans laquelle Jules repère de futures acquisitions, en agissant parfois aux limites de la légalité... Des missions spéciales qui vont bien avec le physique de l'homme, qu'on, pourrait aisément prendre pour un loubard...

Un jour, alors qu'il travaille dans le hall d'un immeuble, il fait la connaissance de Lisa Arnoux, une jeune femme en émoi. Celle-ci cherche son frère, qui a disparu depuis quelques jours, subitement. Lisa est terriblement inquiète et a décidé d'agir, en allant placarder dans la ville de Lille la photo de son frère afin de récolter des renseignements susceptibles d'aider à le retrouver.

Il faut dire que Sébastien Arnoux n'est pas un inconnu complet à Lille. Le garçon est l'un des plus grands espoirs du LOSC, le Lille Olympique Sporting Club, le club de foot professionnel de la ville. Certains lui prédisent déjà un avenir doré, dans les prochaines années, star des plus grands clubs européens, qui seraient déjà en train de se disputer son futur transfert à coups de millions d'euros.

Jules, sans doute un peu charmé par la jolie Lisa, mais aussi curieux de cette histoire, accepte d'aider la jeune femme à poser ses affiches. Puis, il lui propose de l'emmener dans quelques endroits que Sébastien aurait pu fréquenter avant de disparaître et où on l'aura peut-être vu... Car, tout footballeur qu'il est, Arnoux reste un jeune homme comme les autres, avec en plus, des moyens financiers bien au-dessus de la moyenne...

Ce ne serait donc pas surprenant qu'il ait passé quelques soirées en boîte ou dans des bars à la mode. D'ailleurs, la police, prévenue de la disparition, mise sur une fugue de quelques jours avant d'entrer en sacerdoce footballistique, avec tous les sacrifices que cette vie de star impose également. Il reviendra, il passe juste un peu de bon temps... Une idée que Lisa rejette absolument, son frère n'a rien ni d'un don juan, ni d'un flambeur, affirme-t-elle.

Jules emmène Lisa dans deux lieux qu'il connaît et fréquente lui-même. Un bar, d'abord, tenu par un couple, enfin, en apparence, Bernard et Christine. Le lieu est appelé l' "In-Quarto", dont la particularité est d'avoir pour comptoir l'ancien autel d'une église... Ca donne du cachet, non ? Puis, une boîte de nuit, "le Loveless Nights", tenue par deux femmes, Astrid et Gilda, pour leurs noms de scène, si je puis dire.

C'est dans cet établissement que Jules va retrouver sa cousine, Emma, une plantureuse et voluptueuse jeune femme, dont la gestuelle clame toute la liberté et le sex-appeal à chaque pas... Un repère de femmes fatales, cette boîte, telle qu'on en croise tant dans les romans noirs... D'ailleurs, Gilda, c'est en hommage à Rita Hayworth, tout un programme, n'est-ce pas ?

Mais Jules et Lisa ne sont pas là pour ça... Et, si Sébastien a bien été vu au "Loveless", quelques jours plus tôt, depuis, il n'a pas remis les pieds dans la boîte. Comme nulle part ailleurs, dirait-on... Pas vraiment de quoi rassurer Lisa qui redouble d'efforts pour retrouver son frère. En vain. Et les jours passent, sans nouvelle. Avec les affichettes, les médias s'emmêlent, mais le discours de la police ne change pas.

Et puis, on repêche un corps, dans la Deûle, près d'un lieu qu'on appelle l'Esplanade. Un lieu de rencontres nocturnes, souvent tarifées, où se retrouvent hétérosexuels comme homosexuels. C'est bien Sébastien. Sans doute était-il déjà mort quand Lisa a placardé ses affiches dans Lille... Il a la braguette ouverte, mais pas de signes probants d'une activité sexuelle au moment où il est tombé dans l'eau. Car Sébastien s'est noyé, et son taux d'alcoolémie est énorme...

Conclusion de la police : chute accidentelle alors qu'il urinait dans la Deûle, en raison d'un état d'ébriété plus qu'avancé... Imparable. Pourtant, Lisa ne veut pas croire que son frère est mort accidentellement, pour elle, c'est certain, on l'a poussé à l'eau, on l'a assassiné. Mais, encore faut-il le prouver, encore faut-il savoir où chercher pour débusquer un hypothétique meurtrier...

Commence alors une enquête officieuse, à laquelle vont activement participer Jules, Lisa et même Emma, avec le soutien des autres personnages déjà évoqués. Même le flic en charge de l'enquête, mains liées, va leur donner carte blanche. Et, comme l'affaire est médiatisée, déjà on évoque le tueur un peu partout, au comptoir des cafés du commerce, ça jase. On parle de tueur en série, de victimes à venir, on se rappelle d'autres faits divers marquants, dont un qui touche aussi au foot, tiens, tiens...

Un agent de footballeurs qui a disparu après avoir tué sa femme et leur enfant de façon sordide avant de disparaître... C'était loin de Lille, mais l'agent avait passé pas mal de temps dans la région. Bref, la psychose gagne du terrain, alors que tout semble pourtant indiquer que Sébastien a eu un terrible accident... Accident, oui, mais que faisait-il à l'Esplanade, alors ?

Quand foot, corruption, politique, sexe, prostitution et monde interlope et louche de la nuit pointent le bout de leur nez, quand l'image si lisse de la victime se trouble un peu plus à chaque instant, quand les mensonges apparaissent les uns après les autres, sans pour autant que la vérité éclate... Il y a de quoi se poser plein de questions... Jules ne sait plus à quels saints se vouer, dans cette enquête pour laquelle il se passionne plus que de raison...

Et puis, il y a M. Dimanche.

Oh, ce n'est pas son vrai nom, c'est le surnom que Jules a donné à cet homme bien mystérieux, lui aussi. Un vieux monsieur, dont on ne sait pas vraiment s'il est juste un peu extravagant, ou carrément cinglé, et qui essaye de faire quitter le trottoir aux prostituées lilloises... Son discours est assez curieux, empreint de religion, mais aussi, dirait-on, d'une quête personnelle... Quant à sa vie, qu'il va raconter petit à petit à Jules au cours de leurs errances nocturnes, elle aussi est particulièrement intrigante...

Alors que s'instaure une ambiance sombre, oppressante, nocturne, Jules essaye de mener de front son enquête impromptue et sa vie professionnelle. D'ailleurs, lors de ses errances nocturnes aux côtés de M. Dimanche, au départ pour veiller sur les filles, mais aussi pour surveiller l'Esplanade pour qu'une nouvelle mort ne puisse se produire, Jules va découvrir des lieux qui vont éveiller sa curiosité d'agent immobilier : des friches industrielles...

Ces lieux, ultimes vestiges de la grandeur industriel de Lille et des autres villes composant désormais la Métropole, tombent en ruines... Mais, entre le terrain et les murs, il y a là un potentiel inégalable pour envisager de nouveaux complexes immobiliers particulièrement profitables... Les méninges de Jules tournent à plein régime, il doit y avoir là une vraie manne pour l'agence immobilière familiale...

Entre ce Vieux-Lille, devenu un quartier où se multiplient bars et boîtes de nuit, l'Esplanade, lieu de promenade réduit à un site de prostitution, et ces friches qui pourrissent avant qu'on en fasse des lofts ou d'autres lieux de vie aux antipodes de leur vocation industrielle, Michel Quint nous emmène dans cette ville en mutation, qui, petit à petit, quitte ses oripeaux paternalistes pour entrer dans une modernité effrénée.

Avec un passage qui m'a marqué. Il est court, ce passage, il n'influe pas forcément directement dans l'intrigue elle-même, mais, comme tout roman noir, "En dépit des étoiles" a une dimension sociale forte. Il concerne la notion de vulgarité dans notre monde... Si je m'en tient au sens littéral du mot, c'est ce qui concerne le peuple. C'est vrai qu'il a pris une connotation très péjorative, mais, en suivant l'étymologie du mot, on a, dans les lieux que j'ai cités, les cadres où évoluaient le populo, comme on disait, ce peuple qui faisait aussi l'image de la ville et de ses alentours par son travail.

Désormais, le populo a disparu, le vulgaire est devenu "bling bling", à l'image de ces footeux qui gagnent des fortunes avant même d'avoir fait quoi que ce soit dans leur vie, de ces boîtes qui n'ont pas toujours bonne réputation et qui deviennent vite des lieux de débauche, de ces hommes qui viennent profiter contre rémunération, de femmes ou d'hommes que la misère a poussé à la prostitution. Oui, le vulgaire n'est plus l'apanage du populo, mais celui de la bourgeoisie aisée, et rime avec pognon.

Dans le même ordre d'idée, Quint évoque la prostitution. On pourrait parler de l'archétype de "la pute au grand coeur", mais la réalité est bien plus triste, sordide. Une jeune femme qui peine à financer ses études, qui se dit qu'avec quelques passes, elle pourra payer les frais d'inscription, son gîte et son couvert... Mais, la pente est savonneuse, les besoins deviennent envies, beaux vêtements, bijoux, voiture... Et les quelques passes deviennent une activité quotidienne, les études sont sacrifiées et, avant de s'en rendre compte, l'ex-étudiante devient une professionnelle accomplie...

Le contraste entre l'indécence de la richesse et l'indécence de la pauvreté est saisissant. Et l'est d'autant plus que tout est lié, étroitement. L'indécente richesse s'offrant les services des prostituées qui ne peuvent s'en sortir, quand elles le veulent, malgré les efforts d'un M. Dimanche... Et dire que Michel Quint n'évoque pas les réseaux du Carlton de Lille, qui défrayent la chronique encore ces jours-ci...

Eh oui, faits divers, encore et toujours... Si Michel Quint ne s'inspire que d'assez loin de ce qu'on appelle "l'affaire des disparus de la Deûle", il joue en revanche parfaitement sur le flou qui règne autour de ces jeunes hommes tombés à l'eau en peu de temps, dans un périmètre restreint... Dans la réalité comme dans le roman, la rumeur enfle d'un tueur... Rumeur qui trouve du crédit avec d'autres disparitions du même genre à Nantes ou Bordeaux (à voir, le numéro des "Faits Karl Zéro", consacré à ces disparitions)...

"En dépit des étoiles" n'est pas un roman à thèse sur la question, mais bien une fiction à 100%, qui imagine une histoire à partir de la mort d'un jeune homme dans la Deûle, selon toutes les apparences, accidentelle et qui, par un effet boule de neige, devient une espèce de légende urbaine autour d'un tueur qui pousse à l'eau volontairement de jeunes hommes qui ont eu le malheur de trop arroser leur soirée...

Voilà qui nous ramène au titre de ce billet, une phrase tirée du roman de Michel Quint. Et je ne suis pas allé bien loin pour cela, puisqu'on la trouve dès la première page. Oui, le fait divers est le mythe contemporain, son pouvoir de fascination, véhiculée encore bien plus rapide et efficace par nos médias modernes, est inégalable. Peu de sujets sont capables de rassembler autant de personnes dans une même communion laïque, de susciter une telle émotion collective qu'un fait divers...

Bon, je ne vais pas faire de la sociologie de bazar, ce n'est pas le lieu, mais le roman de Michel Quint illustre parfaitement cela. A sa manière, Arnoux, vedette en devenir, est comme un de ces dieux de l'Olympe antique, dont on suit les aventures et les exploits avec assiduité. Sa disparition n'est qu'une péripétie de plus qui va plonger l'auditoire dans l'inquiétude... Quant à son dénouement, il provoque l'hystérie, comme on le voit lors de l'enterrement...

Ce qui ressortira de l'enquête de Jules, ces scandales financiers, cette corruption dans le sport, ces intérêts mafieux à l'oeuvre, tout ce qui ressort de l'enquête de Jules et Lisa participe à cette mythologie contemporaine, apportant son lot de rebondissements, de frasques, de fissures dans l'image policée du dieux. Mais, peu importe ces turpitudes quand son destin tragique lui assure d'entrer dans la légende ?

Je vous ai, je l'espère sans trop en dire, exposé tous les éléments de l'intrigue, tous ceux entre lesquels Jules et Lisa sont bringuebalés dans le cours de leur enquête, aux relents de plus en plus louches au fur et à mesure que les recherches avancent. Car, même si elle tarde à donner des résultats concrets, même si les intérêts mis en cause, directement ou indirectement, ralentissent la révélation de témoignages utiles, les soupçons ne manquent pas...

Avec la crainte que seul un nouveau décès dans des circonstances proches, voire identiques, de celui de Sébastien Arnoux, ne puisse faire progresser bien plus vite l'enquête. Mais aussi qu'elle pousse la police à sérieusement entrer dans cette enquête, avec un regard professionnel et des moyens démultipliés par rapport à l'action de Jules et Lisa.

Malgré la noirceur du propos et de l'ambiance globale, il se dégage de tout cela quelque chose de nostalgique. La quatrième de couverture parle de poésie, mais j'y vois surtout un amour immense pour cette ville, cette métropole de la part d'un auteur qui est né et vit dans cette région. La nostalgie de ce passé urbain qui s'efface au profit d'un autre, plus voyant et clinquant, mais nettement moins glorieux...

Le rythme du roman n'est pas celui d'un thriller ultra-rapide, non, on avance au rythme de la Deûle, oserais-je dire, dans une histoire où aucune des existences présentées n'est vraiment un long fleuve tranquille. Quint instaure une vraie tension, multiplie les fausses pistes, joue avec le scandaleux, le scabreux et réussit, dans son dénouement, à jouer aussi avec les faits de manière très habile...

Chaque personnage a des choses à cacher, des failles qui seront exploitées en temps et en heure... "Tous les enfers sont individuels", dans cette histoire, et "le monde est un récit mensonger", pour reprendre des phrases extraites du livre. Et l'on se rend compte aussi comme il nous est vite devenu facile, quand nous nous emballons tous autour d'une affaire de ce genre, de dire tout et n'importe quoi...


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