lundi 5 août 2013

Une véritable histoire de fous…

Bon, OK, je ne fais pas dans l’original avec ce titre, mais vous allez voir, en lisant ce billet, mais, j’espère plus encore en lisant le livre du jour, qu’on doit pouvoir lui donner plusieurs sens… Certains romans sortent et demeure dans un anonymat quasi général, d’autres ont la chance d’attirer l’œil de certains lecteurs curieux et capable de fouiller dans les rayonnages de leurs librairies préférées ou d’écumer les plateformes de vente en ligne à la recherche de la perle rare. « Hôpital psychiatrique », de Raymond Castells (disponible en poche chez Rivages / Noir) est arrivé entre mes mains par cette double entremise : mon cher papa, capable d’aller dénicher ce livre alors qu’on en parlait peu, et Gérard Collard, dont les choix méritent toujours une attention certaine. Ce roman nous emmène au cœur d’un hôpital psychiatrique, vous l’aurez compris, dans une période à la fois décisive pour ces institutions mais aussi dramatique sur le plan historique. Et, à travers la fiction, le talent de Castells, qui connaît, c’est vrai, très bien la question, c’est de parvenir à montrer l’horreur de ces lieux, un certain nombre d’incohérences et de situations purement scandaleuses, le tout à travers une fiction rondement menée et pleine de rebondissements.





Louis et Louise Dantezzi ont 90 ans ou pas loin en cette année 2010, lorsqu’ils reçoivent des journalistes. Ce qui intéresse les médias, c’est de découvrir la famille de figures montantes de la politique actuelle, Elie, leur fils, déjà député-maire d’une commune du sud-ouest de la France, patron de presse, j’en passe… et Louis, leur petit-fils, dont on dit déjà, malgré son jeune âge, qu’il aura, au pire, un destin ministériel.

Mais, le récit du couple va surprendre totalement les journalistes qui vont patiemment écouter l’incroyable histoire de ce couple, si calme, si posé, mais dont la vie, et plus particulièrement la vie commune, est née sous des auspices pour le moins pas ordinaires… Une vie si incroyable qu’en lisant le compte-rendu, Louis et Louise se diront qu’on ne les a pas crus, eux, les deux vieux, sans doute considérés comme séniles…

Pourtant, lorsque l’on découvre Louis, en 1937, il n’a que 17 ans et il est sans doute loin de se projeter en 2010. Et pour cause : c’est les menottes aux poignets et passés à tabac par les gendarmes qui le conduisaient qu’il arrive aux portes de l’asile d’aliénés de Murmont, entre Toulouse et Carcassonne… Pourquoi ces « faveurs », me demanderez-vous ? Sachez que je ne vous dirai pas tout, car c’est un des fils conducteurs du roman…

Si Louis va être enfermés chez les fous, c’est parce qu’il est accusé de crimes gravissimes. Lui crie à son innocence, mais les gendarmes n’y croient pas une seconde et sont particulièrement remontés contre lui, au point de réclamer plus vengeance que justice. Le juge, puisqu’on l’évoque, a préféré botté en touche. Ce qu’on reproche à Louis n’est pas totalement corroboré par les preuves qu’il a en mains et, plutôt que de risquer un procès d’où un scandale pourrait sortir, il a préféré déclarer le jeune homme irresponsable et le confier à un asile plutôt qu’à la prison.

A Murmont, c’est un tout nouveau monde que l’adolescent découvre. Il a beau être costaud, avoir du charme, de l’intelligence et une grande culture, il reste un jeune homme encore bien naïf face aux horreurs qu’il va devoir supporter… Sa vie dehors n’avait pas toujours été rose, peut-être, mais là, c’est juste innommable…

Pour mieux vous expliquer, voici une petite galerie des principaux personnages que Louis Dantezzi va rencontrer à son arrivée à l’asile d’aliénés de Murmont :

Commençons par Monsieur le Directeur. On ne saura jamais son patronyme, mais c’est ainsi que « ce gros petit moustachu affolé de la braguette et toujours satisfait de lui-même », pour reprendre la description lapidaire de Louis, veut qu’on l’appelle. Tous, sans exception, patients et personnel. Plus le roman va avancer et plus ce personnage va montrer des côtés sombres : raciste, misogyne quoi que recourant à nombre de patientes pour assouvir ses besoins sexuels, opportuniste, tellement imbu de sa personne qu’il finira par se persuader qu’il est meilleur que les médecins et chirurgiens diplômés et que « son » asile peut donc facilement se passer d’une telle catégorie de personnel.

Sa vanité est telle qu’il est persuadé d’œuvrer pour le plus grand bien de l’Humanité, alors que ce qu’on lui voit faire est tout simplement monstrueux, digne d’un Mengele au meilleur de sa forme. Mais, qu’à cela ne tienne, il est tout-puissant entre les murs de son établissement, rend très peu de comptes à qui que ce soit, a trouvé mille combines pour s’enrichir sur le dos des pauvres malades et se montre à chaque instant d’un effarant mépris pour ceux qu’il a à sa charge…

A ses côtés, Ignace Crochu, l’intendant de l’asile. « La limace répugnante et bavassante », dit de lui Louis. Il est mou, pusillanime et obséquieux à souhait, ce brave homme… Sous la coupe de « Monsieur le Directeur », il gère l’établissement (qui, outre la partie médicale, possède d’importants terrains agricoles sur lesquels on cultive et élève de quoi alimenter tout le monde) en suivant scrupuleusement les ordres de son supérieur, en particulier pour la comptabilité, habilement trafiquée…

Sabine Dumont, une des rares femmes à avoir un rôle important dans ce roman, avec Louise. Elle est le bras droit de « Monsieur le Directeur » pour ce qui concerne la gestion des patients internés. Mais elle dirige seule la section féminine de l’asile. Elle aussi est complètement inféodée à son patron, allant puiser dans son cheptel les « heureuses élues » qui auront droit aux faveurs du maître des lieux.

Et, comme elle-même n’est pas de marbre, elle va rapidement mettre son grappin sur Louis, se montrant aussi « vorace » (le terme et de Louis) et dépravée que ses collègues masculins. Son appétit semble insatiable et Louis va trouver là un formidable outil pour se hisser au-dessus de son statut de simple « agité ou criminel dangereux » qu’on lui accole à son arrivée à Murmont. Mais, il va aussi découvrir que cet appétit s’accompagne d’une jalousie féroce avec laquelle il devra aussi compter, lorsque Louise fera son apparition.

Continuons notre galerie de portraits, avec Jules Cloporte, le gardien chef de l’asile à l’accent du sud-ouest marqué, l’homme qui fait la pluie (de coups, en général) et le beau temps à Murmont. Lui aussi n’hésite pas à assouvir ses besoins avec des patientes triées sur le volet, lui aussi manigance allègrement. Communiste fervent, il attend son heure pour faire payer à « Monsieur le Directeur » son côté bourgeois, lutte des classes oblige, mais, dans les faits, pas sûr qu’il vaille beaucoup mieux…

Cloporte est toujours accompagné, quoi qu’il fasse, de ses deux sbires, Black et White. Ce ne sont pas leurs vrais noms, bien sûr, mais ces armoires à glace, aussi muettes que féroces, semblent perpétuellement et sur n’importe quel sujet en totale adéquation avec leur chef direct, Cloporte. Ils sont ceux à qui l’on confie les plus basses œuvres en sachant bien que l’on ne sera pas déçu par le résultat…

Même à l’extérieur, Louis a des ennemis. Le plus déterminé s’appelle Alfred Matarex. Un adjudant de gendarmerie de près de 2 mètres, tout en muscles, et qui a juré d’avoir la peau du jeune homme. Sans cesse, il cherche comment piéger le garçon pour le tuer, disons les choses clairement. A chaque fois qu’il apparaît, Louis sait qu’il devra jouer serré, que l’autre profitera de la moindre erreur pour le renvoyer à la case prison, ce qui serait synonyme de mort, forcément viiolente.

Le Docteur Elie Bronstein est le seul médecin présent à Murmont. Certes, il doit gérer tous les bobos et autres problèmes de santé traditionnels des patients comme du personnel, mais sa spécialité, c’est la psychiatrie. Dire que c’est le seul être bon et normal que Louis va rencontrer au cours de son internement parmi le personnel est presque un euphémisme…

Bronstein va découvrir un jeune homme surprenant, dont on pourrait se demander comment il a pu atterrir dans un asile alors qu’il ne paraît présenter aucun signe de folie. Si ce n’est ce qu’on lui reproche… Or, Bronstein voudrait bien connaître la version de lui sur les faits qui l’ont conduit derrière ces murs, ce que refuse avec obstination le jeune homme…

Jusqu’à la fin tragique de leur relation, il est certain que le médecin ne croit pas Louis coupable ou, s’il pense qu’il a commis tout ou partie des faits, c’est parce qu’on l’y a poussé, non mû par la folie qu’on lui a imposée et qui l’a amené là, plutôt que sur l’échafaud.

On peut aussi citer des patients qui vont jouer un rôle clé dans l’arrivée de Louis à Murmont : Tony et ses hommes de main. Aussi petit qu’il est gros, homosexuel qui ne se cache pas, Tony est le caïd du quartier des agités et des criminels dangereux. Lui, c’est clair, il appartient à la seconde catégorie et il régente tout ce qui se passe à cet étage, semant une terreur inextinguible chez tous les autres malades livrés à son bon vouloir…

A son arrivée, il va tomber sous le charme de Louis, comme Sabine. Mais Louis ne cèdera jamais. Ni pour la bagatelle, ni pour intégrer l’équipe de Tony et de ses gros bras et participer au rançonnage en règle des patients, aux trafics avec l’extérieur via Cloporte, aux violences diverses et variées. Non, Louis ne va pas se laisser faire, quitte à ce que Tony le considère comme un ennemi mortel, ce qui aurait sans doute été le cas, sans la fascination physique que le jeune homme exerce sans même le vouloir sur le truand.

Et puis, ensuite, il y aura Justin le jardinier. Un doux homme, celui-là. A 65 ans, il est guéri et pourrait quitter Murmont. Mais pour aller où ? Il va expliquer à Louis qu’il y a si longtemps qu’il est là qu’il n’y a plus rien qui l’attend au dehors, alors il reste, comme s’il était encore un patient, continue à vivre au quartier des « débiles et des séniles » et s’occupe de l’entretien des plantes de la cour d’honneur.

Peut-on parler d’amitié entre Justin et Louis ? D’une relation quasi paternelle ? Possible, en tout cas, Justin sera sans doute, avec Louise, le patient pour lequel Louis aura la plus grande tendresse et la plus grande affection au cours de son internement. Au point de le protéger quand la situation, entre guerre et hiver, deviendra plus que pénible…

Et je m’en voudrais d’oublier Jésus… A Murmont, pas de Napoléon, comme le veut l’imagerie classique des asiles, mais un Jésus, donc, qui se prend et agit vraiment comme le Christ, prêchant et faisant des miracles, si, si, et cherchant à calquer son destin sur celui de son célèbre modèle. J’en parle parce qu’il aura un rôle certes peu important en termes de longueur, mais fondamental dans le roman.

Et Louise, me direz-vous ? Evidemment, e vais vous en parler ! Mais nous n’étions qu’au début du roman, en 1937. Or, ce n’est qu’en 1941 que Louis et Louise vont se rencontrer. Elle aussi est admise comme patiente et, curieusement, son parcours ressemble beaucoup à celui de Louis. Elle aussi, sa folie va permettre de masquer des vérités qui pourraient embarrasser bien du monde, et des notables en particulier, alors, pourquoi ne pas l’envoyer ad vitam aeternam chez les fous ? Qui la croira ?

Le coup de foudre est immédiat, sans doute des deux côtés, même si c’est Louis (principal narrateur du roman) qui l’exprime le plus clairement, tandis que la jeune femme, à peine 19 ans à son arrivée à Murmont, semble plus en retrait, presque timide. Oh, Louis aussi elle va le rendre timide. En tout cas, il va la respecter comme s’ils étaient deux tourtereaux hors des murs de l’asile et lui promettra de ne concrétiser avec elle qu’une fois qu’ils auront quitté ces lieux sinistres.

Et puis, avant de revenir au récit, un mot des Allemands qui vont venir s’installer à Murmont, dès l’entrée des troupes nazies en zone libre. A leur tête, le colonel Von Katz, un aristocrate issue d’une vieille famille de militaires prussiens. Plus surprenant encore, il est à moitié Français. Il n’est pas un nazi convaincu, loin de là, mais il applique les ordres, et sans se révolter. Il a baisser les bras et Louis, qui vit un moment en lui une possible solution à ses problèmes, va déchanter et finir par le mépriser.

Aux côtés de Von Katz, car il faut bien un peu d’humour dans cet océan d’abomination (et il y en a beaucoup dans le livre, assez noir, forcément), un aide de camp au nom prédestiné, Klebs, qui accompagne donc Von Katz et ne s’exprime que par des aboiements, en tout cas, c’est ce qu’a retenu Louis, qui ne parle pas l’allemand.

J’ai présenté tout le monde. Un mot de l’intrigue, car il y en a une : dès son arrivée à Murmont, dès son entrée à l’asile d’aliénés, Louis n’a qu’une idée en tête, s’enfuir. Un projet qu’il va devoir longuement mûrir, car si quitter l’enceinte serait facile, la fuite qui s’ensuivrait serait bien plus compliquée à gérer, surtout seul. Il faut donc travailler à la structure d’un projet d’évasion solide, qui ne risque pas, tel les soldats du film « la Grande Evasion », de le ramener derrière les murs à peine les aura-t-il quittés.

Voilà pourquoi il va rester 5 années dans cet univers clos, étouffant, violent, dangereux. Une donne qui sera modifiée par l’arrivée de Louise, à qui il faut faire une place coûte que coûte dans le projet. Une donne modifiée aussi par les événements historiques qui se déroulent à l’extérieur et affectent la situation de l’établissement.

Mais, Louis a déjà pris les choses en main, à ce moment-là. En fait, son idée est simple : ne plus être un patient. Et pour cela, il va user de son intelligence et de sa courte expérience dans le milieu du travail. Louis va berner son monde dans les grandes largeurs, même si rien ne sera simple, la partie adverse s’avérant certes assez peu finaude, mais retorse.

Ce que Louis va mettre en place et réaliser relève d’un sacré tour de force. Oh, bien sûr, on peut, à l’image des journalistes du roman, ne pas y croire une seconde… Mais, on peut aussi accepter de jouer le jeu, comme un lecteur qui se laisse prendre par la main et regarder faire le jeune homme, sûr de son plan et de lui-même, poussé par la certitude d’être dans son bon droit.

Attention, cela ne veut pas dire que Louis est blanc comme neige. On ne connaîtra sa vérité que très tard dans le court du récit, comme tout le reste, il peut être considéré comme sujet à caution, mais d’autres événements vont montrer que Louis est prêt à tout et surtout pour sortir de là. Et le choix qu’il fera sera incroyablement spectaculaire et culotté…

Ca, c’est pour l’histoire principale. Mais, il n’y a pas que cela dans le roman de Raymond Castells. Celui-ci a choisi le roman sans doute pour exposer son sujet de manière moins formelle que s’il avait signé un essai, par exemple. En fait, tout ce qu’il raconte, les punitions, les brimades, les viols, la promiscuité, la violence, les expériences sur les patients, tout cela repose sur des faits, hélas, effectivement arrivés dans les établissements psychiatriques français (et même, bien après la période 1937-1942 que couvre le livre).

Il y a des choses absolument abominables dans tout cela. Les responsables, je les ai cités plus haut, « Monsieur le Directeur » en tête. Si Louis paraît avoir la tête sur les épaules, on découvre que les responsables profitent sans vergogne de la faiblesse d’autres patients internés. Je ne parle même pas de l’enrichissement personnel de certains cadres, qui pourrait presque être le moins grave si, durant l’occupation, cela n’avait coûté la vie à des centaines de patients…

Un simple exemple : les baignoires. Au sous-sol de l’établissement, se trouve une grande salle avec des bassins, comme des bassins de décantation, par exemple. Ils sont traversés en largeur par une planche, trouée en son milieu. Comme un pilori, on place la tête du patient récalcitrant dans ce trou, le reste du corps est dans la cuve, dans l’eau croupie, sale, froide… Une eau que les gardiens additionnent régulièrement d’eau chaude pour faire durer « le plaisir » et ne pas risquer que le patient meure de froid… Charmante torture, non ?

En fait, c’est l’exemple parfait pour comprendre le propos du livre de Castells : quel rôle doit-on donner à la psychiatrie ? Cette discipline doit-elle juste prendre en charge des personnes souffrant de pathologies réelles, incontestables, en les emprisonnant et les inhibant par tous les moyens possibles, y compris les camisoles chimiques ou bien doit-elle chercher à guérir ces maladies ?

Voilà un débat qui se teinte souvent de politique, parfois avec des situations absurdes. La première d’entre elle, et c’est aussi sans doute une des raisons du choix de Castells de situer le début de son roman en 1937, c’est le changement de nom de ces établissements par décision ministérielle, en 1938. Finis les asiles d’aliénés, appellation sinistre s’il en est, place aux hôpitaux psychiatriques ! Avouez que ça fait tout de suite plus sérieux, non ?

Ensuite, dans la foulée, et dans l’idée d’attirer des vocations faire ces établissements à la mauvaise réputation insigne, on décide de modifier le statut des gardiens pour en faire… des infirmiers ! Et tant pis s’ils n’ont aucune formation véritable dans ce domaine, ce sera plus attractif ! Car la décision ne concerne pas seulement les personnels en place, mais aussi ceux qui s’engageront… Infirmiers, sans l’être, dans les faits… Rassurant, non ?

Avec, au passage, pour le livre qui nous concerne, un phénomène de légitimation des actions désolantes des anciens gardiens qui, désormais, jouissent d’un statut quasiment intouchable… Dans la lignée, et comment le reprocher ?, certains directeur, on le voit avec celui de Murmont, vont s’octroyer des fonctions médicales alors qu’ils n’en ont aucunement les compétences…

Dans le roman, cela donne ces expérimentations atroces, avec un taux de mortalité effarant, réalisées par un « Monsieur le Directeur » devenu, en tout cas à ses yeux, l’égal d’un dieu… Le voilà qui a droit de vie et plutôt de mort sur ses patients… Ils en meurent ? En grand nombre ? Qu’à cela ne tienne, si c’est à ce prix que la science doit avancer…

En fait, le plus effarant dans « Hôpital psychiatrique », c’est qu’au fil des pages, on se demande, les yeux écarquillés, si les vrais malades ne seraient pas dans l’encadrement de l’asile… Et des fous dangereux, qui plus est, dénués de tout sens moral et de tout respect pour les êtres humains qu’ils ont en charge…

Louis dénote dans ce paysage. Pourtant, il va agir de telle manière qu’on pourra au final, lui reprocher son égoïsme et son peu d’intérêt pour ses pauvres camarades. Pire, il n’a que mépris pour nombre d’entre eux, comme si c’était un moyen infaillible de ne pas en faire partie. D’ailleurs, dans son plan, exceptée Louise, il n’y aura guère de places pour eux, ils seront même un des instruments de son évasion…

Et puis, il y a l’aspect, à la fois plus léger et complètement absurde, de ce qui va se passer pendant l’Occupation. Là encore, il s’agit de faits réels, remis à sa sauce par l’auteur, mais qui montre, on en revient à mon titre, que cette histoire est vraiment complètement folle… Ainsi, le désormais hôpital psychiatrique de Murmont va se transformer en une reproduction à petite échelle de la France…

D’abord, ce sont des résistants qui vont jeter leur dévolu sur l’endroit. Idéal, qui viendrait fouiller là à la recherche de terroristes ? Ils vont pouvoir mener tranquillement leurs affaires, en toute clandestinité et sans attirer l’attention de quiconque, puisqu’ils vont parfaitement se fondre dans un décor qu’ils connaissent bien…

Sauf que, peu après, ils vont devoir partager les lieux… avec des collaborateurs ! Des membres de la milice, qui, eux aussi connaissent parfaitement l’hôpital et savent qu’ils pourront y faire leurs mauvais coups (et là, je ne parle pas que de la traque des résistants et de l’application des lois de Vichy, non, il faut bien assurer son train de vie…). Jamais ils ne se douteront de la présence initiale des résistants qui, de leur côté, les garderont discrètement à l’œil.

Enfin, cerise sur le gâteau, Murmont sera réquisitionné par un régiment de l’armée allemande, qui s’y installera avec armes et bagages… J’ai évoqué le colonel Von Katz, mais avec lui, ce sont des centaines de soldats qui vont loger pour certains dans les bâtiments, pour les autres, camper sur les terrains annexes…

Et voilà donc, vivant à quelques mètres les uns des autres, résistants, collabos et occupants… Sans oublier un personnel qui est en train de perdre les pédales dans la gestion des lieux et des malades, livrés à eux-mêmes dans ce maelström délirant… Louis, lui, regarde tout cela d’un œil goguenard, il sait que Murmont est devenu une vraie poudrière, ce dont il entend bien profiter pour se faire la belle, et sans ticket de retour…

Je vous l’ai dit, « Hôpital psychiatrique » est bien une véritable histoire de fous, car ils sont partout, dans ce livre. Y compris un bon nombre qui s’ignore… Encore une fois, Louis est un garçon sympathique, mais il a des côtés impitoyables et certaines zones d’ombre qui font qu’on n’est pas complètement en phase avec lui… Fou, peut-être pas, dangereux, c’est bien possible…

A tel point que je me suis dit que l’arrivée de Louise avait été une bénédiction… Certains des agissements de Louis, même dans la période qui suivra l’évasion, sont assez choquants, mais ils seront la parenthèse refermée sur cette époque où Louis aura dû se montrer parfois dur et inhumain dans ses choix et ses gestes.

Ensuite, l’histoire de ce vieux couple, unis depuis près de 70 ans, sera presque un long fleuve tranquille, sans écart… Mais que pensez vraiment de ces deux-là, qui ont des circonstances atténuantes, mais ont aussi démontré qu’ils étaient capables de choses terriblement violentes. Ce ne sont pas Bonnie and Clyde, mais ce ne sont pas des héros, non plus.

Enfin, et parce qu’il faut jouer au jeu des références, encore et toujours, Louis, féru de littérature depuis sa prime jeunesse, a un modèle… Un personnage dont le patronyme et le sien son assez proche. Car, après tout, Dantezzi, c’est un peu Dantes en version italienne, non ? Pourtant, Louis n’est pas Edmond Dantes et « Hôpital psychiatrique » n’est pas une énième resucée du classique de Dumas, « le Comte de Monte-Cristo »…

Non, c’est un peu plus subtil que cela. D’abord, parce que Louis, avec l’arrogance de sa jeunesse, estime que Edmond Dantes a, dans sa folle aventure, commis énormément d’erreurs et c’est l’une des raisons pour lesquelles Louis va prendre son temps avant de s’évader. Car il sait que son évasion ne sera totalement réussie que s’il parvient à refaire sa vie loin des murs de Murmont, mais plus discrètement que son modèle littéraire…

Alors, on s’écarte de la trajectoire du Comte, c’est vrai, et surtout, Louis va inverser une des tendances du roman de Dumas : c’est dans la phase qui précède, pendant et juste après l’évasion qu’il se montrera impitoyable… Mais ensuite, comme la vengeance n’a plus lieu d’être, les coupables de ses malheurs étant châtiés, il pourra se consacrer à sa vie de famille… et à une discrète mais efficace philanthropie.

Pardonnez-moi, je me rends compte que j’ai fait un peu long sur ce très bon roman, mais je crois sincèrement qu’il en vaut la peine. A la fois pour son intrigue romanesque, qui prend fin de façon absolument ahurissante, mais aussi pour le fond qui sous-tend le tout, par les vérités qu’assène Castells sur l’exercice de la psychiatrie…

Et ce n’est certainement pas un hasard si, malgré les errances et les erreurs, malgré les critiques virulentes et les remises en question nécessaires, le plus humains des personnages du livre est le seul psychiatre du lot, Elie Bronstein. C’est lui qui montre la voie à suivre, même si c’est difficile, même si on ne dispose sans doute pas encore de toutes les clés pour y parvenir, mais avant tout parce qu’il a la volonté, absente chez les autres, de vouloir guérir les malades, et pas seulement de les isoler du reste de la société.


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